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Billet de blog 5 septembre 2014

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Des œufs au carré

Sur mon blog (comme dans mes livres) j’essaie d’appliquer un principe simple : que vous soyez d’accord ou pas d’accord, vous aurez au moins appris quelque chose en visitant cette page. Si la chose est belle en plus, c’est cadeau. Donc voici un fait d’une importance folle qui concerne les œufs, oui, le bête et anonyme œuf que vous fréquentez depuis votre naissance, et sur lequel vous ne vous êtes jamais (assez) penché.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sur mon blog (comme dans mes livres) j’essaie d’appliquer un principe simple : que vous soyez d’accord ou pas d’accord, vous aurez au moins appris quelque chose en visitant cette page. Si la chose est belle en plus, c’est cadeau. Donc voici un fait d’une importance folle qui concerne les œufs, oui, le bête et anonyme œuf que vous fréquentez depuis votre naissance, et sur lequel vous ne vous êtes jamais (assez) penché.

L’œuf de poule est constitué de blanc et de jaune (ça, vous savez déjà). C’est un fait peu connu du grand public que la densité du jaune est plus faible que celle du blanc, en sorte que le jaune flotte dans le blanc. A chaque fois que vous voyez un œuf, dans n’importe quelle position, le jaune est situé en haut. Si on secoue l’œuf, en quelques secondes le jaune se repositionne en haut. Par ailleurs, l’embryon, quand l’œuf est fécondé, se situe au sommet du jaune, et il est donc toujours « au-dessus ».

Une conséquence tordante de ce phénomène est que les poules doivent rouler les œufs dans le nid pour que les poussins soient normaux, si elles ne le font pas, le poussin se développe toujours au même endroit, applati contre la coquille. Il prend alors une forme toute tordue qui « suit la coquille ». Et le poussin est monstrueux. Les couveuses industrielles sont équipées d’un système de motorisation qui fait basculer les œufs à intervalle régulier. Comment les ovipares ont-ils développé d'instinct la rotation des œufs dans le nid? Mystère. Mais… ce n’est pas de cela que je vais vous causer.

Le jaune d’œuf est entouré d’une mince peau, dite peau du jaune d’œuf en français vernaculaire, et « membrane vitelline » en jargon scientifique. Cette membrane présente la particularité d’être tendue, et c’est pour ça que le jaune «éclate » quand elle se déchire. De là les difficultés à réussir l’œuf sur le plat. C’est un problème très relatif, surtout quand on le met en relation avec les titres de la presse (particulièrement des web-journaux de gauche « pure player »).

Par conséquent, quand on laisse flotter un jaune d’œuf, il prend une forme pratiquement sphérique (voir photo) :

Ah, pour les besoins de la démonstration, j’ai fabriqué une coquille d’œuf en verre carrée (d'où le titre cryptique de ce billet qui a attiré au bas mot sept personnes sur cette page).

On voit quand même mieux ; on m’a même dit « c’est beau ». Jusque là, rien de bien extraordinaire.

Cependant, un phénomène curieux a lieu : la membrane vitelline se ramollit au cours du temps et devient de moins en moins tendue. Si l’on photographie des œufs à des stades différents, voici ce que cela donne : est-ce que vous voyez le phénomène ? Le jaune d’un œuf de 3 jours n’est plus rond du tout.

En vérité, si on prend des photographies de plusieurs œufs au même stade on observe une « variabilité », les œufs n’ont pas tous la même forme, ni la même mollesse.

Les causes de ces phénomènes sont probablement :

1-Que le blanc d’œuf n’est pas homogène (le jaune non plus d’ailleurs). En particulier il existe un tortillon de blanc sur le côté (appelé chelazée), dû à la descente en vrille de l’œuf dans l’oviducte de la poule.

2-La poule ne pond pas son œuf toujours au même moment, il y a  de la variabilité dans l’âge réel de l’œuf, quand il pointe le bout de son nez hors du kiki de la poule.

La variabilité dans le moment de la ponte a pour cause l’activité physique de la poule :  comme pour les accouchements des humaines, si la poule s’agite, l’œuf descend plus vite (ce qui pourrait suggérer une performance à l'artiste Milo Moiré). C’est pourquoi d’ailleurs, à une époque les poules pondeuses étaient élevées sur des plaques électriques qui leur donnaient des châtaignes, histoire de les faire danser de force, et de faire descendre les œufs plus vite (notion de productivité, c'est quand même beau le progrès). Je ne sais pas si c’est encore pratiqué, maintenant que le bien-être animal est pris en considération.

Il existe des modèles dits de « goutte sessile », qui permettent de calculer la tension dans la membrane rien qu’à partir de la photo de la boule déformée, c’est l’équation de Worthington (notez que ça marche pour une goutte lourde qui tombe au fond d'un bocal, comme d'une goutte légère qui monte au plafond).

Elle est utilisée pour calculer des tensions de surface de fluides dans certaines circonstances (elle a a été utilisée historiquement pour calculer la tension de surface du mercure). Si vous connaissez la largeur R de la boule et la hauteur de la pointe h par rapport à l’équateur, il existe une formule qui vous donne la tension :

Alors pourquoi un chercheur au CNRS dépense-t-il l’argent du contribuable à calculer la tension dans l’œuf, au fil du temps ? Parce que cette tension a une certaine importance dans le développement des embryons. Je vous expliquerai ça une autre fois.

En revanche, c’est l’occasion de dire que le ramollissement de la membrane vitelline est un problème dans l’industrie agro-alimentaire, où le traitement d’œufs à haut débit par des machines est rendu plus difficile quand la membrane vitelline est plus fragile et molle. C’est pourquoi des chercheurs américains ont proposé des brevets pour faire des œufs artificiels « mieux faits », avec une membrane vitelline de synthèse, dont la consistance (module d'Young) est constante dans le temps. C’est à peine croyable.

Pour finir une photo d'une œuvre de l'artiste mexicaine Avelina Fuentes. Si vous êtes maso, vous devriez pouvoir calculer la tension de surface d'un œuf, rien qu'à partir de cette œuvre.

Références

Kemball C., On the surface tension of mercury, Trans. Faraday Soc. 1932, 28, 866.

Ziesing G. M. The determination of surface tension by sessile drop measurements, with application to mercury, Australian Journal of Physics, CSIRO, 1952.

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