Un homme est mort, qui aurait pu être mon fils. Il est mort sous les coups de militants d’extrême droite. La justice éclaircira les circonstances de cet homicide. Cependant, que la rixe ait été fortuite ou préméditée, il ne fait pas de doute qu’elle a pour toile de fond la persistance, et maintenant la montée de la violence fasciste.
La mort de ce jeune homme prend aux tripes et c’est avec une infinie tristesse que chacun la ressent. A ses parents et amis, vont toutes nos pensées et les marques de respect pour le courage de ce garçon.
Cependant, on se doit de réagir à deux témoignages entendus hier, et de rappeler quelques éléments du débat, ou plutôt de l’esprit du temps.
Hier au journal de France 2, un sociologue, Erwan Lecoeur, rapprochait la montée de l’extrême droite, de la montée de l’extrême gauche, justifiant l’une par l’autre. Dans l’extrait passé au journal télévisé, dont je veux bien croire qu’il résulte d’un montage biaisé, la responsabilité de cet homicide incombait à la montée de l’extrême gauche, ce qui dresse sur la tête les cheveux du moindre observateur de la vie politique et de son histoire.
Dans le même journal un « leader » d’un groupuscule d’extrême droite, M. Ayoub, analysait dans la panique cet homicide, comme le simple résultat d’une chute accidentelle, au cours d’une bagarre ordinaire entre jeunes. Aujourd’hui sur i-télé il persiste et rejette la faute de cette mort sur la victime elle-même, allant jusqu’à parler de légitime-défense.
Au sociologue fumeux on répondra ceci : il a existé dans ce pays pendant cinq ans un ministère de l’identité Nationale, qui organisait des débats sur la francité. Le nationalisme a monté en puissance par la force auto-référentielle d’idées nocives qui diffusent jusqu’à des jeunes instables et mal éduqués, adeptes de surcroît de la violence. Ces jeunes en perdition, rasés, tatoués, scarifiés, cloutés jusque dans leur visage, n’ont cessé d’entendre la chansonnette de la fierté d’être nationaliste, la revendication assumée d’être très à droite, elle-même portée par une dislocation de valeurs, comme la trahison d’Eric Besson portée aux nues, la chasse aux étrangers jusque dans les cours d’écoles, l’islamophobie institutionnalisée, l’homme noir qui n’est pas rentré dans l’histoire etc.
Dans le même temps, un nationaliste d’extrême droite paranoïaque, Andreis Breivik, assassinait sur une île 77 jeunes militants de gauche norvégiens. A cette époque, des écrivains de la mouvance identitaro-fasciste comme Richard Millet défendaient l’esthétique du mal, la beauté formelle de la violence, et justifiaient l’assassinat des uns, par le militantisme des autres. Leur rhétorique est connue : celle du combat contre l"invasion", de la révolution nationale, de la 3e voie etc.
Ces idées pourries, énoncées par des intellectuels irresponsables, fermentent dans des groupuscules insignifiants quantitativement, prêts à en découdre pour des motifs individuels qui échappent à toute raison. Cependant, l’élargissement du socle de l’extrême droite, par l’aplatissement de la droite républicaine vers son extrême, sert d’appui, de contrefort à ces jeunes détraqués. Depuis quelques temps, la droite « ordinaire » a sombré dans les superlatifs, « défense de la civilisation », « résistance » « révolution » à l’occasion notamment de la loi Taubira. Des résonances complexes mais évidentes ont lieu dans ces esprits faibles, qui desserrent les inhibitions.
M. Ayoub, fondateur des Jeunesses Nationalistes témoignait platement au journal télévisé d’hier soir, avoir eu au téléphone les protagonistes de cette tragédie, lesquels auraient expliqué qu’il s’agissait d’un accident au cours de la bagarre. Bagarre provoquée, disent-ils, par les autres. Dans pareille circonstance il eût été essentiel que M. Ayoub leur conseille de se rendre immédiatement à la plus proche gendarmerie ou antenne de police, et bien entendu, qu’il fasse preuve d’humanité et de compassion à l’égard de la victime et de sa famille. Au lieu de cela, M. Ayoub défend à tout crin les auteurs de cet homicide. La justice dira la part de responsabilité, voire de complicité de ce Monsieur dans l’affaire.
A nous de dire que les intellectuels qui défendent l’esthétique de la violence au nom d’un « idéal » nationaliste (Richard Millet, Renaud Camus notamment) ont une part de responsabilité dans cet homicide. Et que ceux qui, la bouche en cul-de-poule, ont défendu ces auteurs au nom de la liberté d’expression, s’attaquant notamment à Annie Ernaux, ont participé de la diffusion de ces idées criminogènes.
Pour finir, il faut dire un mot de la rue Caumartin, pour ceux qui ne seraient pas Parisiens. La rue Caumartin est située à deux pas de la gare Saint Lazare. Ces quartiers proches des gares ont été réhabilités et des galeries marchandes ont été construites, qui affichent un luxe insolent. Dans la rue Caumartin, de grands magasins de vêtements, sortes de hubs multimarques ont été ouverts, où se retrouvent des jeunes, renseignés par le bouche-à-oreille via internet. Mes propres enfants n’ont de cesse de me traîner là-bas, où je ne veux pas qu’ils aillent seuls. Dans les étages de ces boutiques, dont je tairai le nom pour m’éviter des procès, règne une atmosphère électrique.
Quelle est la cause de cette électricité ? La cause en est la suivante, et elle est triple. D’une part, la réhabilitation de mauvais quartiers livre de grands immeubles à loyer un peu plus bas qu’au centre de Paris. Ces immeubles sont investis par le commerce textile, qui est pratiquement le seul type de commerce à pouvoir s’installer dans ce genre d’endroit. La chalandise pour ces magasins réunit dans un même lieu des jeunes d’horizons extrêmement différents sous le double effet de la localisation à l’intersection de plusieurs lignes de métro desservant des quartiers sociologiquement très différents, et du fait que les magasins sont devenus de vastes coques réunissant en leur sein toutes les marques. Ceci est perceptible dans le fait que dans certains magasins, chaque plateau associé à une marque de vêtements, a sa propre caisse qui va directement dans la comptabilité de la marque. Les magasins en question sont donc de vastes galeries où traîne une population mêlée et non réellement un magasin en propre, sous la seule responsabilité d’un gérant unique.
Cette configuration rend inévitable le frottement entre groupes de jeunes aux valeurs antagonistes, ce qui rend propices les échauffourées. Pour couronner le tout, des petits trafiquants, cherchant à profiter du flux de jeunes rue Caumartin, grenouillent dans la rue, vivotant de petits trafics (téléphones portables volés etc.), qui créent une atmosphère canaille. Ainsi, de façon très périphérique, la configuration de ce lieu est également un phénomène sociologique récent, lié à la déstructuration de notre société, laquelle peut avoir été un facteur supplémentaire dans cet homicide.