Il est assez fréquent dans la vie qu’on ait à connaître un problème par les deux bouts. L’exemple le plus simple est celui de l’achat d’une voiture. Vous entendez dire quotidiennement aux infos que l’industrie automobile va mal, et que nos voitures ne se vendent plus. Et puis un jour, Madame vous dit qu’elle changerait bien votre vieille voiture et vous allez aux journées portes ouvertes de votre concessionnaire favori en ayant calculé ce que vous pouvez mettre dans le prêt pour lui faire plaisir (à Madame, pas au concessionnaire).
Là, vous découvrez que les modèles immédiatement supérieurs à celui que vous avez, (parce que bon, quitte à changer et vu que vous viellissez, ce serait bien de prendre autre chose qu’une voiture de bolos) le modèle au-dessus, dis-je, n’est pas dans vos moyens (je sais je fais mon beauf, mais ce n’est qu’une manière d’introduire le sujet).
Cependant, vous découvrez dans le même temps les progrès de l’industrie automobile qui se traduisent par : GPS de série, Coyote détecteur de radars, écran tactile avec internet et bluetooth intégré, régulateur de vitesse, extinction et rallumage automatique du moteur aux feux, contrôle électronique du frein à main (pas de frein à main du tout, en fait), avertisseur de recul pour les créneaux, détecteur de premières gouttes de pluie, allumage automatique de phares dans les tunnels et le comble : le créneau robotisé : la voiture se gare toute seule. Super, on se croirait dans une chanson de Boris Vian, sauf que mon épouse ne s'appelle pas Gudule.
Mais ayant calculé de tête le coût moyen de chacun de ces accessoires, vous ne pouvez pas vous empêcher de penser que tout ça fait monter le prix de la voiture, et explique largement pourquoi vous sortez de la journée portes-ouvertes, sans avoir acheté de nouvelle voiture, que vous vous demandez si vous n’allez pas voir un constructeur étranger, voire même garder votre voiture de bolos, vu que vous n’avez pas les moyens de changer de voiture, en fait, et quoi qu’elle en pense (Madame, pas la voiture).
Cependant, j’ai eu connaissance d’un autre problème, par les deux bouts de la lorgnette également, qui sans être lié directement au précédent, l’est peut-être indirectement.
Prenant des nouvelles du fils d’un ami qui a failli faire un stage de 3e année d’école d’ingénieur, dans mon labo (oui, je prends les pistonnés, mais je prends aussi les autres), il me fait la remarque suivante :
-Il a pris un stage chez XXX, et d’ailleurs ils vont l’embaucher à la fin de son stage. Ce n’est pas forcément ce qu’il voulait mais il y restera un an ou deux, tu sais, il m’a dit qu’il faut pas rester dans sa boîte, ils changent de boîte rapidement pour faire progresser leur salaire plus vite.
Or il y a peu j’ai travaillé pour une boîte privée (la SAGEM pour tout dire), et me rendant un jour au centre de recherches pour un échange scientifique sur un sujet précis, industriel, j’ai du mal à rencontrer mon interlocuteur (un directeur de RetD) qui courait ce jour-là dans les couloirs d’un air très affairé. Finalement il me reçoit entre deux réunions et commence le rendez-vous en me disant : -
-Ah là là, aujourd’hui on ne peut plus les garder, on leur a mis en tête qu’il faut changer de boîte rapidement pour avoir des progressions de carrière et y’a un turn over pas possible.
Il passait sa journée à essayer de remplacer un ingénieur qui s’en allait en laissant tout tomber.
C’est-à-dire qu’aux deux bouts de l’échelle, ou de la lorgnette, j’ai la confirmation que les jeunes se barrent dès qu’ils peuvent de leur entreprise, où ils entrent d’ailleurs en sachant déjà qu’ils n’y resteront pas longtemps, juste le temps d’ajouter une ligne dans leur CV.
A mon avis, cette mentalité a un rapport avec la faillite progressive de l’industrie française. Il me semble qu’un des atouts reconnus de l’industrie allemande, est l’esprit d’entreprise, les ingénieurs formés sur le tas, parfois même par l’apprentissage. Au lieu de ça, apparemment on a des gars sortis de grandes écoles qui ont la grosse tête qui va avec.
Remarquez les voitures allemandes sont chères aussi, et ça ne m’a même pas traversé l’esprit d’aller à leurs journées portes ouvertes. Ah, y z’ en font pas ? Ont pas b’soin.