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Billet de blog 27 février 2013

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Topos de laboratoire XV : éthique, pathétique

L’affaire Iacub (qui est chercheuse au CNRS, me dit-on) nous donne l’occasion de rappeler simplement quelques règles éthiques que nous tentons de suivre dans les laboratoires de sciences. Je ne suis pas naïf, les chercheurs (/ses) sont des hommes et des femmes faibles aussi, en raison de quoi, il arrive que ces règles soient violées, publiquement ou secrètement, avec parfois des conséquences pour les coupables, donc ci-après florilège de règles éthiques, avec quelques exemples de transgressions.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’affaire Iacub (qui est chercheuse au CNRS, me dit-on) nous donne l’occasion de rappeler simplement quelques règles éthiques que nous tentons de suivre dans les laboratoires de sciences. Je ne suis pas naïf, les chercheurs (/ses) sont des hommes et des femmes faibles aussi, en raison de quoi, il arrive que ces règles soient violées, publiquement ou secrètement, avec parfois des conséquences pour les coupables, donc ci-après florilège de règles éthiques, avec quelques exemples de transgressions.

1-On ne fraude pas des résultats. Bon, ça c’est tellement évident qu’on ne devrait même pas en parler. Cependant, j’ai encore ouï récemment d’une importante affaire de fraude dans un centre de recherches très connu, qui a été étouffée par tout le monde avec beaucoup de zèle. Les affaires de fraude n’existent pour ainsi dire pas, car le système immunitaire est très prompt à les circonscrire. Mais bon. Pouf pouf.

2-On ne se publie pas soi-même. C’est-à-dire qu’on ne profite pas du fait d’être éditeur d’un journal scientifique pour publier un article plus facilement. Voici par exemple une note dans un article récent de Organogenesis :

J’ai été accusé il y a quelques temps d’avoir publié complaisamment un de mes propres articles, dans cette revue, étant moi-même éditeur associé. En réalité, les sots ignorent qu’il n’y a rien de plus simple que de faire traiter le circuit de « refereeing » par quelqu’un d’autre, puisque nous sommes assez nombreux dans les comités éditoriaux.

Mais il y a des contre exemples célèbres, de chercheurs ayant pris la responsabilité de s’auto-publier. Considérant leur travail comme essentiel, et les réactions des rapporteurs anonymes comme nulles et stupides (ce qui est parfois le cas), ils ont fini par trouver un moyen de se publier eux-mêmes. Un exemple fameux est « Period three implies chaos » de David Ruelle, article fondateur de la théorie du chaos.

Dans le même esprit, il m’est arrivé de subir une sorte de chantage d’un grand chercheur, exigeant pour faire une communication dans un congrès, que l’article soit publié.

3-On ne publie pas dans la presse ou dans l’édition généraliste des résultats non soumis à des revues de pairs.

C'est une règle en apparence universelle, mais qui souffre des exceptions. De grands auteurs ont publié leurs travaux dans « des livres », et c’était même la règle par le passé (exemple :L’origine des espèces de Darwin). Un consensus existe selon lequel les temps auraient changé, et seuls ont (ou auraient) une  valeur les résultats publiés dans des revues à comité de lecture. Cette idée résulte d’une sorte de main obscure de l’édition scientifique. Le jugement par les pairs est considéré comme le seul critère de valeur, à la fois moral et professionnel (c’est au nombre d’articles qu’on a des promotions). Cependant, les pairs aussi peuvent se tromper, et une façon de faire savoir quelque chose est aussi de le publier dans des livres. Il existe par ailleurs des faits ou résultats qui ne peuvent trouver de place ailleurs que dans un livre, et parfois du fait même qu’écrire un livre permet de les faire advenir. Les chercheurs contemporains n’écrivent pas assez de livres.

4-On publie tout d’un seul coup, on ne fait pas d’annonces fragmentées dans la presse avant la parution d’un article.

Cette règle est connue également sous le nom de règle de l’embargo. Elle est relativement bien respectée, les revues scientifiques ne voulant pas qu’un résultat important soit divulgué autrement que par leur canal. Au fond, cette règle résulte d’une mauvaise raison, qui est le souhait des revues scientifiques de bien vendre leurs numéros. La bonne raison, cependant, est de commencer à discuter un résultat scientifique, sur la base de l’ensemble des preuves et expériences produites dans l’article, et non de bribes diffusées en conférence de presse.

 On remarquera donc qu’en l’espèce, le mécanisme est diamétralement opposé au principe détestable des « bonnes feuilles », puisque le principe des bonnes feuilles est précisément de faire vendre le maximum de papier à un journal puis à l’éditeur, sur la base de fragments croustillants. Aujourd’hui l’éditeur de Mme Iacub et le rédacteur en chef du Nouvel Obs condamnés par la justice pleurnichent en sanglotant que le livre de Mme Iacub n’est pas si mauvais et ne mérite pas ce « lynchage médiatique ». Ben voyons mon coco, fallait pas faire ça : les principes éthiques servent justement à éviter ce genre de mauvaise posture.

Cependant, cette règle a souffert quelques exceptions par le passé, s’agissant de découvertes immenses. La NASA est particulièrement friande de conférence de presse ; le CERN également.

5-On traite les animaux avec dignité, et on suit les règles les concernant. Bon, au fond, c’est bidon. Je ne devrais pas le dire, et on va me taper sur les doigts, mais en réalité, l’éthique relative aux animaux est ancrée au fond de chacun de nous, et nous suivons les règles autant que nous pouvons, sauf quand il n’y a pas moyen de faire autrement que de les contourner. Et ça arrive. Une façon très simple pour les contourner est d’utiliser des animaux pour lesquels il existe un vide juridique. Par exemple, vous pouvez faire à peu près n’importe quoi avec un poussin dans un œuf. Personne ne sait pourquoi. Sur le plan strictement biologique, ce n’est pas différent de beaucoup d’autres animaux pour lesquels il existe des réglementations très strictes.

L’éthique animale pose des questions profondes et subtiles : par exemple, je tue mes embryons surnuméraires en les mettant au frigidaire à refroidir lentement, et je me console de ne pas les avoir utilisés en pensant que nous mangeons 1 milliard de poulets par an. Je pense qu’on ne me reprochera pas de tuer quelques dizaines de poussins par mois ainsi.

Mais par exemple, je suis horrifié quand je découvre qu’un étudiant s’est amusé dans mon dos à injecter de l’encre dans des œufs à un stade précoce de développement, pour produire des poussins entièrement verts ou orangés (=> faute professionnelle, on ne joue pas avec des êtres vivants).

On peut dire que Mme Iacub enfreint également cette règle, car elle semble considérer M. Strauss-Kahn comme un cochon. Dans ce cas, elle devrait le traiter au moins avec le respect dû aux animaux. On ne joue pas avec un cochon.

En aparté, je dirais aussi que j’ai toujours été surpris par les actions et discours des faucheurs d’OGM volontaires, comme José Bové. Je respecte les positions politiques des uns ou des autres, mais je pense que si José Bové avait été chercheur, connaissant son tempérament, il aurait été le premier à travailler en enfreignant à peu près toutes les règles.

6-On ne drague pas ses étudiant(e)s.

Règle de base de l’enseignement, qui connaît des exceptions que chacun a pu observer autour de soi.

7-On ne drague pas ses échantillons.

Je ne suis pas médecin, mais il me semble que dans le domaine médical, on s’interdit de coucher avec ses patients, a fortiori si on fait des expériences dessus. Par exemple, je m’intéresse au développement et donc, je m’intéresse aux malformations ; il m’arrive, je le reconnais, de regarder discrètement dans la rue telle ou telle personne qui présente un syndrôme de Holt-Horam ou une hydrocéphalie. Mais ça ne me viendrait pas à l’esprit de draguer une femme difforme, pour la satisfaction de la déshabiller et de pouvoir observer de plus près ses malformations, pour après lui-dire que je n’ai couché avec elle que pour ça.

Il me semble que c’est ce qu’a fait Mme Iacub avec M. Strauss-Kahn.

8-On ne prend pas ses proches comme objet d’étude, comme cobayes.

Règle de base qui souffre une exception : on fait des expériences sur soi-même, le cas échéant. Ce n’est pas spécialement autorisé, mais il y a une sorte de consensus que l’irresponsabilité est moins grave lorsqu’on la prend sur son propre corps (e.g. Prof Zagury testant le premier vaccin contre le SIDA sur lui-même).

En l’espèce, Mme Iacub enfreint cette règle éthique aussi.

Des exceptions célèbres : les psychanalystes des années 20 qui psychanalysaient à tour de bras leurs femmes, enfants, maîtresses etc.

Röntgen qui utilisait sa femme comme modèle pour prendre des rayons X.

9-On prend en considération les éléments qui contredisent votre point de vue.

Oui et non. Disons que c’est une règle professionnelle à prendre en considération, à un moment ou un autre, mais je  ne suis pas sûr qu’il faille en faire une règle éthique. On peut ne pas être d’accord avec des résultats ou des théories, et travailler en faisant tout son possible pour démontrer que ces résultats ou théories sont fausses.

10-On cite les personnes qui vous ont précédé dans un domaine.

Une règle qu’on suit le temps de se rendre compte qu’on est tout seul comme un c…. à la respecter.

11-On ne publie pas plusieurs fois les mêmes résultats.

Oui et non, les disciplines scientifiques sont tellement spécialisées, que ça vaut la peine de publier plusieurs fois les mêmes résultats, dans des revues touchant des publics différents.

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