On dira que c'est une manière de pénitence pour avoir donner souventes fois ici la parole à ceux qui s'opposent, sinon au droit d'auteur, du moins à l'idée que la répression pourrait être un moyen de le protéger. La semaine passée, vers les grands boulevards à Paris, un petit plateau de professionnels du film et de startupeurs se sont réunis pour affirmer qu'Internet et le cinéma allaient se réconcilier. C'est donc qu'ils étaient brouillés.
Thomas Thévenin (responsable des nouveaux médias chez Pathé, après des fonctions similaires chez TF1 international)
Internet s'est construit sur le mythe de la gratuité et de l'immédiateté. De là, le cinéma est confronté à deux problèmes: l'acceptation du fait qu'il faut de l'argent pour faire un film et la temporalité particulière d'un calendrier de diffusion sur formalisé légalement (la salle, le DVD ou la VOD, la télévision à péage, la télévision gratuite, ...). La question alors est «comment faire migrer l'appétit immédiat pour des film frais vers une plateforme numérique où les films arrivent plus tard?»
On constate que le consommateur est prêt à payer si l'on peut lui apporter des films avec une aisance de consommation (Appstore, VOD), un paiement sécurisé, une garantie de sécurité (il ne télécharge pas de virus). Bien sûr, il y a une frange de la population qu'on ne rattrapera jamais. Une étude montre qu'en Grande-Bretagne, il y a 20% de la population qui se moque des conditions de visionnage (désynchronisation, écran filmé dans un cinéma, etc.). Pour les autres, il est important de développer une offre légale, avec tarif adapté.
Aujourd'hui, on entend beaucoup dire chez Google que YouTube leur coûte cher et ne leur ne rapporte rien. Du coup, ils veulent se lancer dans la vidéo à la demande gratuite avec publicité. Je pense que l'internaute serait prêt à payer un peu plus pour que son film ne soit pas coupé par de la publicité, et encore un peu plus pour le voir un peu plus tôt.
Il faut pourtant préserver la salle. Le cinéma, c'est un lien social, c'est une sortie, un effort. Mais l'expérience est très différente: ce n'est pas la même chose de voir une comédie dans son salon et de rire ensemble à 200 dans une salle. Et même pour un film plus difficile: si je suis dans mon salon, la question est vite réglée: je zappe. Dans une salle, je fais l'effort.
Alain Rocca (préside Univers ciné, qui regoupe une quarantaines distributeurs et producteurs indépendants)
Le problème du cinéma, c'est l'encombrement: il n'y a que 52 semaines par an et 4.000 à 5.000 écrans en France. Internet peut être l'endroit où chaque film peut rencontrer l'ensemble de son public. Mais ça ne veut pas dire qu'Internet est le lieu où un film qui ne suscite pas le désir dans le monde analogique va trouver un public: sur Internet, la logique de marché est encore plus poussé. Chaque mercredi, c'est comme une sortie de tranchée: quinze films sortent de la tranchée, trois ont la possibilité de faire trois pas et un seul arrive vivant au bout. Cette loterie sauvage structure le film de cinéma. Si on touche à ça, on va faire de la salle de cinéma une chaîne de télévision hors de chez vous. Le cinéma est un événement social, avec des rendez-vous, singulier, irrationnel, mais c'est ce qui fait la différence de l'expérience du cinéma dans le salon ou en salle.
L'avenir du cinéma se situe sur Internet, et si le cinéma n'occupe pas ce terrain aujourd'hui, on y verra se développer des systèmes de télévision à péage bas de gamme piloté par les fournisseurs d'accès.
L'effet «tête de gondole» (tout le monde consomme les mêmes produits mis en avant) est encore plus poussé. L'appétit de cinéma sur Internet n'est pas un appétit de cinéphile — la mécanique qui tire la filière cinéma, c'est l'attrait pour ces films qui vous parlent d'aujourd'hui, pas le patrimoine — mais au moins le rayonnage est infini: on peut trouver tout, tout le temps. L'ensemble des films n'est pas disponible sur Internet, mais ça va se faire, tout simplement parce que la question du retour sur investissement n'est pas décisive: le film est déjà amorti.
Le modèle économique du cinéma est très particulier: c'est la rémunération des œuvres d'aujourd'hui qui permet le financement des oeuvres de demain. On peut dire que la diffusion gratuite des œuvres apporte un autre type de rémunération, mais je n'y crois pas. L'économie d'un film, c'est 15% de création, 85% de prestation et de main d'œuvre. L'argument de la visibilité d'un film plus grande sur Internet ne porte que sur ce 15% de création, qui vit de visibilité. Mais pour la personne qui s'occupe par exemple de l'étalonnage numérique, ça ne veut rien dire: même si le film rencontre un succès phénoménal, cela ne lui rapporte rien.
Les films de cinéma doivent être financés par ceux qui les regardent. S'ils sont financé par la publicité, si on a envie que le cinéma devienne un produit d'appel, produit dans des gros industriels pour lesquel le retour sur investissement n'est pas essentiel (par exemple le film Home pour le groupe Pinault-Printemps-Redoute), on aura des films Pinault, des films Carrefour, des films Google...