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Billet de blog 4 janvier 2010

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Pour un jukebox à livres

C'est une drôle d'idée, pas bête mais probablement pas aboutie qu'a posté Akin Ajayi, le dernier jour de 2009, sur le blog «livres» du Guardian. De peur de manquer la bonne idée, on la mentionne ici, pour la bonne bouche.

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C'est une drôle d'idée, pas bête mais probablement pas aboutie qu'a posté Akin Ajayi, le dernier jour de 2009, sur le blog «livres» du Guardian. De peur de manquer la bonne idée, on la mentionne ici, pour la bonne bouche.

Les éditeurs, les fabriquants de liseuses, les libraires en ligne, dit-il, se battent comme chiffoniers pour s'imposer sur le marché du livre numérique.

De fait, aux Etats-Unis, Amazon, qui veut faire du Kindle la norme sur laquelle les autres s'aligneront, achète les droits numériques des livres au même prix que le papier mais propose les best-sellers à moins de 10 dollars contre deux fois plus pour la version papier (qui doit payer en plus la fabrication, le stockage et l'expédition, soyons juste). Les éditeurs (Harper & Collins, Simon & Schuster, Hachette) ont d'ailleurs pris la mouche qui exigent un délai d'au moins un trimestre après la sortie du livre papier pour vendre la copie numérique.

En France, on reste assez loin de cela: les ventes de livre numérique restent confidentielles (à peine 0,1% du marché). Et le dernier (en date) Marc Levy, La Première Nuit, tiré à 400.000 exemplaires, ne s'est écoulé qu'à 140 exemplaires en numérique les 15 premiers jours. Certains titres méritent le papier...

Tous se démènent, mais aucun — comme c'est le cas pour la plupart de secteurs en transition du monde physique à celui du numérique — n'a trouvé l'équilibre. Et beaucoup se tournent vers le succès de l'iPod et de sa boutique iTunes pour dégoter la martingale de la rentabilité en ligne.

Evidemment, note le blogueur, ce qui a fait le succès de l'iPod pour la musique, c'est avant tout le système de la playlist personnalisée: quelques titres vendus pour un prix à peu près indolore et réagencés au goût de l'auditeur. La chose est beaucoup plus incommode pour le livre: l'assemblage de trois pages de Tristan et Yseult, d'un chapître de Radiguet et des aveux de madame de Clèves pour monsieur de Nemours aurait plus l'air d'un ressucée du Lagarde & Michard que de la petite sélection branchée à télécharger sur son gadget technomobile.

Il faut probablement nuancer ce propos pour ce qui est des livres non littéraires (livres techniques, manuels, ...) pour lesquels on peut souvent se contenter d'un chapitre par-ci et d'un autre par là.

Or, Akin Ajayi rappelle judicieusement qu'à l'été, Amazon avait su effacer (pour des questions de droits) deux œuvres d'Orwell, 1984 et La Ferme des animaux, à distance et sans demander de confirmation, des Kindle sur lesquelles elles étaient téléchargées.

Pourquoi, dès lors, ne pas utiliser cette possibilité pour limiter non dans l'espace (mémoire) mais dans le temps, l'utilisation des livres «loués» pour un temps d'utilisation donné. Au prix d'un abonnement, le lecteur aurait accès un catalogue complet, sur le principe du juke-box, juste le temps de l'utilisation, sans pour autant être dans la logique du streaming (il y aurait bien téléchargement sur la machine). Au terme de la période, l'ouvrage serait effacé à distance.

Il y a bien sûr, pour le lecteur, la possibilité qu'il ne se reconnecte pas (et garde donc le bénéfice du livre), mais cela enlèverait beaucoup d'intérêt à la liseuse et surtout au principe de l'abonnement.

Un tel principe — qu'il nomme Bookify, sur le modèle de Spotify — permettrait la création de playlists cohérentes, curieuses, utilisant éventuellement des livres épuisés ou dont l'intérêt commercial (sinon littéraire) est limité. Ce serait, appliqué au livre, le principe développé pour la longue traîne. Ce qu'un ancien employé d'Amazon, justement, définissait ainsi: «We sold more books today that didn't sell at all yesterday than we sold today of all the books that did sell yesterday» (Nous avons vendu aujourd'hui plus de livres qui ne se sont pas vendus hier que nous n’avons vendu de livres que nous avons vendu aussi hier).