A l'évidence, tous les éditeurs n'en ont pas contre Google. Le New York Times et le Washington Post ont dévoilé mardi l'expérience qu'ils viennent de tenter avec Google et qui, en cas de succès, sera disponible pour tous les éditeurs: Living Stories.
Rien de très impressionnant à première vue: Une liste de dossiers, avec les derniers articles publiés pour chaque sujet, la date de dernière mise à jour. Pas de fioriture. Simple. Rapide. Immédiat. Mais efficace: au lieu d'être dans la logique du flux interminable de l'actualité qui se répète et se contredit, où chaque péripétie chasse la précédente sans que le lecteur ait jamais le temps de se poser — et de se poser surtout la question du sens à tirer de l'information —, on passe à une lecture thématique, montrant à la fois la fraîcheur (le plus neuf d'abord) et la profondeur (tous les «contenus» déjà publiés sur le sujet).
Au point que beaucoup estiment que sur le Web, l'objet de base du journalisme n'est plus l'article, souvent court et soumis à l'urgence, au buzz, à l'inconsistance, mais le dossier qui regroupe les repères de base, les articles, les photos, les vidéos, les liens hypertexte, et surtout les archives de la couverture d'un sujet. C'est là, disent-ils, que le journaliste qui est payé pour suivre sur le long-terme un dossier, conserve une pertinence et une utilité sociale.
Clic. Deuxième écran. Plus complexe: c'est effectivement un dossier comme on en trouve souvent sur les sites de presse (ici, Times Topics, les dossiers du New York Times, USA Today le propose aussi et celle du Washington Post est toujours référencée mais ne fonctionne plus. On pourrait considérer que les pages Torture, made in USA et Copenhague, le rendez-vous du climat constituent, à leur manière, un premier embryon de dossier sur Mediapart) .
En tête, du classique: un titre, un texte de présentation, une illustration — qui peut être une infographie animée et interactive.
Une bonne idée au passage: la mention du nombre de nouveaux articles depuis la dernière fois que l'internaute est venu sur ce page (les articles mis à jour sont signalés).
Plus original: la chronologie, qui permet de remonter facilement dans les archives du sujet sans avoir à dérouler l'écran. Au clic, l'internaute n'est pas renvoyé à une autre page mais à l'endroit précis de la page présente où se trouve l'article souhaité (une «ancre», dit-on).
Sur le même modèle chronologique, la colonne centrale qui suit présente les derniers articles publiés sur le sujet en haut (ou inversement: l'interface propose «oldest first» à la place de «newest first»). Dans la colonne large de droite, l'éditeur a choisi de sélectionner des articles qui lui semblent plus important que les autres, auquel le lecteur peut accéder. Ce dernier a aussi le choix de basculer, pour la colonne centrale, de «standard view» (tous les articles) à «most important only» (uniquement les articles signalés par l'éditeur.
La colonne de gauche est une véritable «télécommande» du dossier:
— d'abord, l'éditeur a la possibilité de découper son dossier en chapitres. En cliquant sur l'un ou l'autre des intitulés, on bascule ainsi de l'ensemble des articles à une sélection de ceux-ci, un article pouvant être rattaché à plusieurs chapitres;
— ensuite, les contenus sont répartis selon leur nature (articles, images, vidéos, infographie, documents bruts, liens hypertextes) et leur fonction (articles d'information ou articles d'opinion);
— enfin, l'éditeur a la possibilité d'annoter son contenu en assignant l'article à une date d'événement (l'article apparaît alors dans la chronologie en haut de page), en distinguant des citations importantes (que l'on peut trouver regroupées dans «quotes») et en listant des personnages clés, que l'on retrouve dans «people» mais dont les noms sont aussi signalés dans les textes, permettant d'obtenir plus d'information sur la personne au moyen d'une «info-bulle».
En cliquant sur le nom de l'auteur de l'article, il est possible d'obtenir tous les «contenus» du dossier signé par le journaliste en question.
Chaque article peut comporter des images, des documents et des articles associés que l'on peut déplier pour les lire sans changer de page. Et tous disposent d'une option «share» (partager) qui indique l'adresse de l'article choisi à l'intérieur de la page (ce n'est pas une URL différente, mais une ancre à l'intérieur de la page).
Il est possible de s'abonner à chaque page par mail ou par flux RSS: l'internaute reçoit alors la notification des changements sur la page lorsqu'ils interviennent.
Plus gadget et totalement enterré au fond de la page, Google a prévu le participatif avec une rubrique «commentaires» dans laquelle les visiteurs identifiés à l'aide de leur compte Google, Twitter ou Yahoo peuvent laisser leur contribution au dossier complet (une traduction automatique est prévue).
Bien que la nature exacte de l'accord n'ait pas été rendu public, le patron de Google News, Josh Cohen, a précisé que Google ne payait pas le contenu publié sur son site et qu'il n'avait pas pour l'instant le projet d'ajouter de la publicité dans ces pages.
Reste un hic, et de taille: à aucun moment, Google ne renvoie vers le site d'origine des articles et se contente de publier chez lui de très larges extraits (plus de 3000 signes parfois pour les textes, des vidéos complètes, bien plus que les 150 signes qui font débat chez les éditeurs en colère...). On voit mal dès lors pourquoi le lecteur irait sur le site du New York Times ou du Washington Post, alors que tout ce qui peut l'intéresser peut se trouver sous une forme simple, pratique et efficace dans les pages de Google.