«Claude Perdriel et Carlo De Benedetti en finale pour la reprise du Monde», claironne Le Point. «Prisa et Le Nouvel Observateur font alliance pour reprendre Le Monde», croit savoir ElectronLibre.Bigre! Les confrères sont bien informés. Mieux visiblement que les journalistes du Monde qui devront se prononcer le 10 juin sur les offres de reprises.
«Leur seule divergence porte sur la désignation du président du directoire ; Juan Luis Cebrian, PDG de Prisa ayant ses préférences pour Bruno Patino [actuel patron de France Culture, éphémère vice-président du directoire du Monde] tandis que Claude Perdriel a choisi Denis Olivennes», précise même Emmanuel Schwartzenberg.
En toute franchise, on n'en sait pas beaucoup plus que ce que l'on a déjà écrit ici et là: une offre de Prisa, une éventuelle de L'Espresso (De Benedetti), une de Claude Perdriel, une de Matthieu Pigasse et Pierre Bergé également sollicités par Libération pour une recapitalisation.
On se contentera donc de quelques observations éparses. Tout le monde s'accorde à trouver l'affaire plutôt belle: se payer la majorité au groupe Le Monde pour un minimum de 50 ou 60 millions d'euros est plutôt bon marché, surtout lorsque la rédaction semble résignée à perdre le contrôle. Le Monde aurait aussi bien pu laisser partir Télérama, Courrier international et ses dernières possessions pour se désendetter et se concentrer sur le quotidien et son site. A leur acquisition, Jean-Marie Colombani avait présenté ces dépendances comme des «flotteurs», maintenant la tête du quotidien hors de l'eau, mais dont il pouvait se défaire au besoin. Tout le monde semble avoir oublié cette possibilité.
L'offre d'El Pais (Prisa), adossée au fonds Liberty Acquisition Holding, a longtemps semblé la seule sérieuse. L'est-elle toujours? Le 18 mai, la commission espagnole du marché des valeurs (CNMV) a décrété les conditions dans lesquelles Prisa pouvait obtenir une prolongation de son crédit (le groupe est endetté pour 5 milliards d'euros!) au-delà du 30 juillet. Si Prisa ne les réunit pas, il sera dans une situation aussi catastrophique que le groupe Le Monde. L'espagnol doit trouver 450 millions d'euros en augmentation de capital, vendre des parts de Media Capital, le principal groupe de médias portugais, dont il détient 95%, les quelques 200 millions d'euros dégagés par la vente de ses parts dans l'éditeur Santillana (le noyau historique de Prisa) devront être placés, et ses participations dans les groupes de télévision Digital+ et Telecinco devront être mis en gage. Si Prisa monte dans le capital du Monde SA, les banquiers qui assurent les fins de mois du quotidien de référence jugeront-il cet engagement suffisamment crédible?
Claude Perdriel s'annonce (dans un billet de blog de Challenges, qui fait partie du groupe Nouvel Observateur) prêt à prendre 60 à 70% du capital du Monde et de ses filiales, sans en céder aucune ensuite. Et pour prouver qu'il en a les moyens, fait annoncer que «Le Monde deviendrait une filiale à quelque 60% du groupe SFA [les toilettes portables], au même titre que le groupe Nouvel Observateur est une filiale à 92%.»
Pourtant, il y a un an seulement, interrogé le 24 juin 2009 sur France Inter sur l'éventualité qu'il investisse dans Libération, il tenait un tout autre discours.
«Renaud Revel: Iriez-vous au secours de Libé en investissant dans ce journal?
Claude Perdriel: Pour ce qui est de soutenir Libé, je voudrais bien, mais aujourd'hui les difficultés de la presse écrite rejaillisent aussi sur les trois journaux [Nouvel Observateur, Sciences et Avenir, Challenges], que je dirige et nous même depuis deux ans, nous avons des difficultés, nous avons du mal à équilibrer les budgets, nous avons besoin de trouver de nouvelles recettes et l'avenir n'est pas très heureux.
La question que l'on peut se poser aujourd'hui, c'est «est-ce que l'existence des quotidiens n'est pas menacée?», parce que s'il faut aller chercher en permanence de l'argent pour leurs échéances, ils disparaîtront.»