Lundi 22 mars 2010, Google a fermé son service chinois, Google.cn, pour ne conserver qu'un service en chinois, Google.com.hk, hébergé à Hongkong. L'entreprise conserve quand même ses bureaux chinois — «toutes ces décisions ont été prises par nos dirigeants aux Etats-Unis et aucun de nos employés en Chine ne peuvent en être tenus pour responsable», écrit David Drummond, vice-président de Google — et même, formellement, reste sur le territoire chinois — Hongkong a été cédé à la Chine en 1997, mais doit garder son «mode de vie» pendant 50 ans.
Ce contournement du «grand firewall de Chine» lui permet de proposer désormais des résultats de recherches non «filtrés» sans enfreindre les lois chinoises. La crise entre Mountain View et Pékin a commencé le 12 janvier, lorsque Google a décidé de réagir après avoir constaté que les comptes GMail de plusieurs dissidents chinois avaient été forcés, probablement sur ordre des autorités chinoises. Selon le New York Times, l'enquête a relié ces attaques à l’université Jiaotong de Shanghai et à Lanxiang, une école informatique.
A l'époque, Google reconnaissait que les hackers avaient eu accès à l'intitulé des courriers électroniques mais pas plus. Aujourd'hui, la direction de l'entreprise dit avoir des preuves que «les comptes de dizaines de militants des droits de l'homme en lien avec la Chine ont été régulièrement redirigés vers une tierce partie».
Ceci, ajouté au blocage de sa platerforme de blog, Blogger, d'hébergement de vidéos, YouTube, ... et de l'obligation de trier parmi ses résultats de recherche — d'autocensure, donc — avait conduit Google a brandir la menace du départ, et à commencer à desserrer les mailles de son filtre, laissant passer des informations sur la répression de la manifestation sur la place Tienanmen en 1989 ou sur le Tibet. «Durant les prochaines semaines, nous discuterons avec les autorités chinoises de notre volonté de proposer un moteur de recherche non filtré dans le cadre de la loi, si cela est possible. Nous sommes conscients que cela pourrait nous emmener à fermer Google.cn, et potentiellement nos bureaux en Chine», annonçait alors Google.
>>> Lire l'interview de Lucie Morillon, RSF: «D'autres entreprises doivent suivre Google».
Entre temps, les négociations ont capoté: malgré l'intervention directe d'Hillary Clinton, le gouvernement chinois a annoncé que, même hors du territoire chinois, Google devrait respecter les règles qu'il avait accepté lors de son arrivée en Chine, en 2007, pour ne pas être déclaré, lui aussi, hors la loi et filtré. Et Google a laissé filtrer dans le Financial Times, qu'il était sûr «à 99,9%» de fermer son moteur chinois. La licence de «fournisseur de contenu sur Internet» accordée à Google par le ministère chinois de l'industrie pour exercer en Chine expirant en avril, la firme californienne a visiblement préféré partir plutôt que d'être expulsée. «Le gouvernement chinois a été très clair, écrit David Drummond. L'autocensure n'est pas négociable. La redirection du trafic est une solution raisonnable et entièrement légale. Nous espérons que le gouvernement chinois respectera notre décision, même si nous savons qu'il peut à tout moment bloquer l'accès à nos services.»
Google a décidé de continuer à faire des affaires en Chine en y maintenant une équipe commerciale et technique: dès que l'entreprise a annoncé son projet de se retirer de Chine, les entreprises qui avaient signé un contrat la société ont commencé à s'inquiéter du respect de ceux-ci. La possible disparition d'AdSense – la principale source de revenu de Google Chine – aurait pour effet d'augmenter les tarifs publicitaires en supprimant la concurrence.
>>> Google vient de mettre en place une page spéciale permettant de constater en direct quels services sont bloqués sur le territoire chinois.
Les médias officiels chinois se sont empressé de minimiser l'affaire: «Cette affaire ne va pas affecter l'environnement global d'investissement en Chine. Cela ne va pas changer fondamentalement le fait que de nombreuses entreprises étrangères, notamment des firmes nord-américaines, tirent d'excellent résultats et de juteux profits en Chine», a déclaré le porte-parole du ministère des affaires étrangères. Le Quotidien du peuple cite également un «sondage» à propos du départ de Google: «84% des plus de 27 000 personnes ayant répondu ont déclaré “ça m'est égal”». Dans un éditorial, le journal insinue néanmoins qu'il y aurait une volonté de déstabilisation politique derrière la décision de Google: «Tout un chacun ne peut s'empêcher de se demander ce que veulent réellement ceux qui la soutiennent. (...) Le comportement de Google montre clairement que le principal moteur de recherche sur internet du monde fait fi de ses principes commerciaux et montre maintenant au monde un autre visage, totalement politisé.»
Qui profitera donc de ce retrait de Google? Microsoft explique le Wall Street Journal, dont le moteur Bing représente moins d'1% du marché, ou Yahoo! dans la même situation (alors que la société n'hésite pas à collaborer avec le gouvernement chinois). Mais aussi est surtout Baidu, déjà majoritaire (55%) ou QQ dont les chats ne seront plus concurrencés par Google Talk...
>>> Lire aussi: «Un pays sur trois censure Internet»
Dans une lettre ouverte adressée à la fois aux autorités chinoises et à la direction de Google (... et postée sur Google Docs!), des «cybercitoyens» (netizens) chinois posent une série de questions et soulignent par là des contradictions. D'abord, la constitution chinoise garantit en principe le droit de s'exprimer, mais des circulaires (inférieures, donc, dans la hiérarchie des normes) ministérielles limitent ce droit. Les auteurs exigent le respect intégral de la loi, en appliquant au plus près le droit chinois et en organisant la transparence. Un exemple: «Google a-t-il obéit à la loi à propos de la censure de la pornographie, de la violence et des jeux? (...) A part cela, que devrait-il censurer d'autre? Comment fut décidée la censure de sujets tels que les accidents miniers, les enfants-esclaves des breiquetteries, Yilishen, les expulsions violentes, le lait contaminé de Sanlu, Deng Yujiao, la confiscation par un gouverneur de l’enregistreur d’un journaliste, la scandale des vaccins du Shanxi ?»
Acceptant, sur le fond, le principe de limiter l'accès à l'information, ils proposent néanmoins de fonder la régulation et la censure sur des procédures claires qui ne violent ni la loi ni constitution chinois — au lieu de normes vagues qui conduisent à la pré-censure, à la «surcensure» et à l'autocensure. Elle doit être décidée par des services identifiés — et non par «les services compétents» (façon d’éluder les responsabilités). Il doit y avoir une procédure d'appel des ces décisions.