«Désormais, l'Internet est devenu l'échelle de crédibilité d'une démocratie ou l'échelle de honte d'une dictature.» Quel est le doux rêveur qui a tenu ces propos au «Davos du numérique», mardi matin?
Pourquoi l'agitateur qui persévérait en assenant que «l'internet libre est devenu le critère pour savoir quel pays est une démocratie et quel pays, une dictature. C'est la ligne de partage. Ceux qui se sont rangés dans le camp de l'internet fermé se sont rangés dans le camp des dictateurs» n'a-t-il pas été écarté de la séance inaugurale du eG8 comme le furent, dans un premier temps, les détenteurs de la seule accréditation presse?
Peut-être parce que le trublion était sur la scène. Et qu'il est, quand même, président de la République. Oui, Nicolas Sarkozy a pris un risque en demandant publiquement aux congressistes de s'engager à «ne pas laisser se construire de nouvelles barrières là où vous avez fait tomber les vieux murs de l’ancien monde».
Il n'en prendra pas autant lorsque, interrogé par Jeff Jarvis, qui lui demandait de prêter un serment d'Hippocrate: Primum, non nocere, d'abord ne pas nuire si l'on n'est pas capable de soigner. «Je sais que toute réglementation définitive est inadaptée à votre secteur. Qu’il vaut mieux ne rien faire plutôt que de faire mal, a-t-il répondu. Est-ce qu’évoquer la question de la sécurité face au terrorisme, c’est vous nuire? Vous demander de respecter les autres créateurs, c'est vous nuire? Dire qu’il faut protéger un enfant face aux turpitudes des adultes, c’est vous nuire? Vous nuire, ce serait ne pas reconnaître que vous pouvez être responsables. Je peux vous faire ce serment, mais, honnêtement, demandez-moi des engagements plus forts.»
Car le message que le président de la République entendait tenir était autre: «Il s’agit pour les Etats de signifier que l’univers que vous représentez n’est pas un univers parallèle, affranchi des règles du droit, de la morale et plus généralement de tous les principes fondamentaux qui gouvernent la vie sociale dans les pays démocratiques. Dès lors qu’Internet fait aujourd’hui partie intégrante de la vie du plus grand nombre, ce serait une contradiction de vouloir écarter les gouvernements. Personne ne peut ni ne doit oublier que ces gouvernements sont dans nos démocraties les seuls représentants de la volonté générale. L’oublier, c’est prendre le risque du chaos démocratique, donc de l’anarchie.»
Le «chaos démocratique» est bien ce qui fait peur à ce gouvernement, comme à d'autres qui seront représentés à la fin de la semaine au G8 de Deauville, qui redoutent cette parole incontrôlée, cet accès sans barrière à la tribune publique, qui craignent le jugement immédiat de chaque décision par les citoyens – « la transparence totale, celle qui ne laisse jamais l'homme en repos, se heurte tôt ou tard au principe même de la liberté individuelle » –, la reprise individuelle d'une partie du pouvoir accordé lors de l'élection: «la juxtaposition des volontés individuelles n’a jamais fait une volonté générale»; c'est pourtant l'approximation inventée par la démocratie.