L'appel de huit cinéastes israéliens pour un cessez-le-feu
Par Art Monica et Virgil Brill
Huit cinéastes israéliens ont lancé un Appel pour le cessez-le-feu le 14 juillet, lors du festival de Jérusalem. Une goutte d’eau et de paix dans un océan de haine et de guerre.
Mais ils sont sans illusion aucune, car la gauche israélienne est laminée.
"Un sentiment déprimant, affreux" dit Nadav Lapid, l'un des signataires, pour résumer ce qui précéda l'appel. "Dans cette confrontation entre le Hamas et Israël, il se passe toujours quelque chose d'horrible et de violent. Malheureusement, d'autres violences sont encore à venir." Quelque chose qui se répète inlassablement. Comme "une mauvaise pièce de théâtre tragique, avec les mêmes gueules qu'on voit à la télé, remplies d'autosuffisance, les mêmes dialogues: 'il faut pulvériser le Hamas', et qui annonce aussi la préparation pour la prochaine fois."
Dans cette guerre, il y a déjà trop de victimes, de cadavres, de ruines, "ici, surtout là-bas." L'appel prend forme durant le Festival de films de Jérusalem dans lequel les huit cinéastes présentent leurs films, "dans une ambiance surréaliste". Sur la petite colline, face aux murs de la Vieille ville, on s'affaire à organiser les Premières des films, on réfléchit en stratège pour faire venir le maximum de spectateurs, on pense au film qui recevra le Prix, quels seront les lauréats. "C'est une autre galaxie", décrit Nadav Lapid. Et l'on se sent "idiot".
Les huit cinéastes se réunissent. Une première : ils n'en ont pas l'habitude parce que chacun d'abord travaille à sa façon, seul. Puis aussi, parce que la gauche en Israël, explique Nadav Lapid "est pulvérisée". Alors, à quoi bon ? Faire quelque chose ensemble, c'est compliqué. "Comment trouver la bonne formule ?" Et chacun son style. L'un est plus radical, l'autre plus sentimental, l'un préfère s'adresser au grand public et l'autre privilégie un style plus émotionnel. Complexe. Ils passent 24 heures au téléphone à peser chaque mot. La déclaration est lue face au public. Elle dit entre autres : "La douleur des Israéliens et des Palestiniens ne peut être distinguée, et l'une ne cessera pas tant que l'autre durera."
La ministre la Culture Limor Livnat a qualifié le geste de "honteux". Toutefois, les demandes en interviews des chaines de télévision israélienne affluent. Mais jusqu'où peut porter la voix des artistes ? "Nulle part", répond Nadav Lapid. "Une fois qu'on a fait un film, on doit se plier aux exigences des producteurs et des attachés de presse, dire ce qu'il faut pour ne pas fâcher les opinions majoritairement de droite en Israël, et donc risquer de porter préjudice au film."
"L'appel est une goutte dans un océan", poursuit Nadav Lapid. "Mais c'est l'acte le plus patriotique que nous puissions faire : dire ce que nous pensons réellement pour éventuellement changer les choses. Mais soyons réalistes : la gauche israélienne est une illusion. Le discours pour la paix est marginalisé".
La grande majorité des Israéliens a une inclinaison, dit Nadav Lapid, "à ne pas voir ce qu'il se passe de l'autre côté, à oublier l'existence même des Palestiniens". A perdre la notion de ce qu'"ils subissent depuis 50 ans d'occupation". Ainsi on pense d'abord à "éradiquer les terroristes", plutôt qu'à la "tragédie des Palestiniens." Deux camps qui se renvoient dos à dos, et dont l'un se rappelle fatalement à la mémoire de l'autre quand les sirènes retentissent dans les villes du sud d'Israël jusqu'au centre et dans les grandes villes, Tel Aviv, Jérusalem. "J'ai grandi à Tel Aviv", dit Nadav Lapid. "A 22 ans, je voulais devenir écrivain et cinéaste. C'est un processus compliqué, mais j'y parviens. Je fais des films, je voyage. Les Palestiniens,eux, "n'ont pas ce choix d'un Follow your dream."
"Dans mes films, je n'énonce rien. Je cherche à mettre sur l'écran une réalité, une sensibilité, un environnement comme un instantané de la société dans laquelle je vis". "Dans Le Policier, c'est comme un succédané des héros israéliens, ces robots portés par un système d'éducation implacable, de l'école au service militaire, en passant par les commémorations nationales, qui produit des êtres qu'on empêche de réfléchir, de mettre en doute". Dans L'institutrice, mon second film, une certaine vulgarité s'est diluée dans la société, et empêche là aussi de penser ou d'agir autrement".
Créer un espace pour autre chose, une autre solution, détachée de la violence et de la Loi du talion. Faire entendre la voix des artistes, comme ces huit cinéastes qui signent un manifeste pour affirmer leur droit de penser autrement. "C'est loin d'être évident. Et cela sonne étrangement ici". Mais qui sait ? "L'histoire en Israël est très sombre. Il suffit parfois d'une virevolte pour qu'il se passe, peut-être, quelque chose de différent."
Les huit cinéastes signataires de l'appel sont : Efrat Corem, Shira Geffen, Ronit Elkabetz, Keren Yedaya, Tali Shalom Ezer, Nadav Lapid. Shlomi Elkabetz, Bozi Gete.
http://www.huffingtonpost.fr/david-kanner/appel-cineastes-israeliens_b_5598669.html?utm_hp_ref=france