Il existe deux « contre-vérités » concernant les enseignants qui sont dénoncés comme des points de blocages du système alors que la réalité est tout autre.
Ces deux contre-vérités sont :
- les enseignants ne seraient pas bienveillants avec les enfants.
- les enseignants seraient responsables de l’incrustation dans l’échec et de la perte de l’estime de choix des enfants qui arrivent avec des lacunes en expression au collège.
Les enseignants ne seraient pas bienveillants avec les enfants
Les études internationales montrent que les enfants français sont plus hésitants à donner une réponse sans être sûrs qu’elle est juste et plus souvent mal à l’aise à l’école. Les coupables sont tout trouvés : les enseignants qui ne savent pas être bienveillants avec les enfants.
Cependant, ce n’est pas ce que j’ai observé quand j’étais très active dans une association de parents d’élèves. Un de mes fils a décidé de n’écrire que ce qui l’intéressait en primaire et n’écoutait que quand cela l’intéressait jusqu’à la fin de Troisième. J’ai donc eu des dialogues fréquents avec les enseignants : 90% étaient très bienveillants et 20% absolument remarquables. Ma sœur qui habite dans une autre ville et qui a un fils avec de fortes tendances autistes, a le même diagnostic.
Il faut donc chercher une autre explication. Les enseignants souvent ne comprennent pas les causes des difficultés des enfants. Je me rappelle avoir expliqué, en tout, à deux profs en langue étrangère que l’élève qui avait 3 de moyenne ne comprenait pas ce que l’enseignant disait quand ce dernier parlait dans la langue étrangère. Ils n'y avaient pas pensé. J’ai du mal à apprendre les langues étrangères car j’ai une mémoire visuelle : c'est-à-dire que je ne peux pas me rappeler ce pour quoi je n’ai pas une représentation visuelle. S'il n'a pas eu une formation ou une sensibilisation l'informant de l'existence de cette différence cognitive, l'enseignant ne peut pas comprendre les difficultés d'apprentissage de ce type d'élève, et adapter son enseignement en conséquence. Très souvent, l’enseignant diagnostique un manque d’effort, alors que l’enfant a des difficultés d’apprentissage dues à une différence de fonctionnement cognitif. Ce n’est pas de la faute de l'enseignant mais parce que « la diversité des mécanismes d’apprentissage et les difficultés des enfants liés à une particularité de fonctionnement » a été longtemps un sujet tabou à l’éducation nationale. Quand, j’ai participé aux débats sur l’école en 2003 sous le ministère de Luc Ferry, une enseignante s’était auto-formée aux diverses modes de mémorisation et était heureuse de pouvoir partager sa connaissance sur le sujet avec ses collègues. Elle regrettait que l’éducation nationale ne proposait pas de formation sur le sujet.
Il s’agit à mon avis d’un mécanisme de bureaucratisation telle qu’il est parfaitement connu en sociologie des organisations. Les personnes des services qui devraient être théoriquement en soutien des personnes sur le terrain, font évoluer le système pour « se mettre en valeur » et donner plus d’importance à leur rôle, au lieu de donner les moyens aux enseignants d’agir sur le terrain. Ils justifient un système où le mode de fonctionnement est imposé d’en haut, en conservant l'informations utiles pour eux et entravant l'initiative des personnes sur le terrain.
Par ailleurs, je fais parfois des interventions dans des classes, dans un cadre associatif. Dans la quasi-totalité des cas, ce n’était pas l’enseignant qui vexait un enfant, mais ses propres camarades. C'est ce confirme une enquête de l'AFEV qui a été présenté lors de la journée du 25 septembre. Dans les établissements où des élèves sont suivis par l'AFEV, la première cause de mal être des enfants à l'école est les taquineries de mauvais goût de leur camarade. Et il a fallu attendre fin 2011 pour que l’éducation nationale s’occupe de mettre en place une prévention des violences entre élèves. La France a 40 ans de retard sur le sujet. La fédération de parents d’élève FCPE a un rôle non négligeable dans ce retard, comme le montre l’exemple réel que je raconte dans un autre billet. (deuxième alinéa dans le paragraphe : mission 1).
Il faut savoir que dans tous les lieux non régulés où il y a des enjeux pouvoirs (certains partis politiques, certains syndicats, …), il existe une technique qui sert à « faire de la com pour son clan » tout en dénigrant les adversaires. Cette technique consiste à déclencher une polémique "en prenant position contraire à l’intérêt général sur un sujet complexe tout en faisant une propagande qui permet de faire croire qu'on défend l'intérêt général». Jusqu’à 2005, dans certains établissements, les personnes qui voulaient poser une question sur l’ambiance de classe dans les questionnaires destinés aux parents ou qui voulaient discuter de violence entre élèves, étaient traitées d’activistes de droite dont le but était de stigmatiser les élèves. Pas dans tous les établissements, seulement ceux où un membre de la FCPE avait été formé à la technique décrite plus haut, généralement par son syndicat. Cela a suffi pour que l’ambiance de classe soit un sujet tabou pour la FCPE et, que les services centraux de l’éducation nationale inscrivent dans leur principe de ne pas parler des violences entre élèves pour « ne pas stigmatiser certaines populations ». Cela a eu comme conséquence que le problème a été très mal pris en compte jusqu’à une période récente. J'ajoute que la FCPE a fait des efforts pour éviter que ce type d'actions se reproduisent. Dans mon département, une grande attention est mise pour que les responsables locaux soient des femmes et hommes de dialogue.
La manière dont le problème est évoqué dans le rapport d’information sur la politique d’éducation prioritaire pour l’assemblée nationale le 23 juillet 2013, va dans le sens de mes propos. http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1295.asp
« Dans un souci louable de ne pas stigmatiser les territoires de l’éducation prioritaire on n’a pas toujours assumé la réalité de beaucoup de quartiers où les problèmes d’incivilités et de violence ont un impact fort sur la capacité à enseigner et en conséquence à faire apprendre. Dernièrement les données de la délégation à la prévention de la violence montrent que les enseignants sont davantage victimes de violence en éducation prioritaire. Il y a lieu de reconsidérer la question en négligeant le fait que les équipes et les élèves ont besoin de travailler dans des contextes apaisés. »
Les enseignants seraient responsables des élèves dans la spirale de l’échec
C’est le reproche des bureaucrates de l’éducation nationale. Pour eux, il existerait des méthodes miracles qui permettraient de faire progresser tous les élèves, quel que soit le programme, quel que soit le niveau d’hétérogénéité des classes, quel que soit le nombre de perturbateurs dans une classe.
C’est faux. Les programmes et le mode de contrôles sont faits de telle manière qu’un enfant qui n’a pas les acquis en lecture et en expression ne peut pas réussir les contrôles quels que soient les efforts qu’il fait. Un prof ne peut pas faire son cours et faire travailler la lecture à un enfant en situation de blocage ou faire travailler les principes de bases de l’expression à un enfant qui ne les a pas acquis. C’est tout bonnement impossible. Dans de nombreux établissements, les enseignants doivent se débrouiller avec les perturbateurs. L’énergie que les enseignants mettent pour générer les perturbateurs, ils ne l’ont plus pour faire les cours.
Comme lorsque un enseignant remonte ses difficultés, on lui répond : « si tu n’y arrives pas tu es un mauvais enseignant. » La majorité des enseignants ont pris la posture souhaitée par le groupe. Vers l’extérieur, il diffuse la langue de bois de l’éducation nationale. Avec sa classe, il fait mieux possible pour faire progresser tous les élèves dans les contraintes qu’il a et avec la compréhension des causes des difficultés qui est la sienne. Les élèves les plus en difficultés, sont noyés sans que l'enseignant ait les moyens de faire quoi que ce soit.
Le responsable est bien l’éducation nationale qui donne des missions infaisables et qui utilisent des méthodes d’intimidation pour que les difficultés ne remontent pas.
En co-responsable, nous avons les vendeurs de solutions pédagogiques dont la pertinence n'est pas vérifiées mais qui sont cadrées pour être en phase avec les attentes des mandarins des services centraux de l'éducation nationale. Nous avons aussi, les utilisateurs de la technique décrite plus haut qui ont nié les difficultés rencontrés par les jeunes qui ne maîtrisaient pas les fondamentaux de lecture et d'expression, en particulier en 4ème et en 3ème ( les deux classes les destructrices pour les jeunes en difficultés). J'ai développé cela dans un précédent billet. Il s'agit d'une tactique utilisé par la gauche de la gauche. Le refus volontaire de reconnaître ce fait a été le principaux moteurs de l'incapacité de la société civile à dénoncer les conditions terribles faites à 20% des enfants dans nos collèges les plus en difficultés.
25/08/2013 – Jetons nos enfants au milieu de la piscine sans bouée pour leur apprendre à nager
Enfin, comme co-responsable la FCPE, qui au niveau national a préconisé, l'abandon de toutes autres solutions que la classe hétérogène ordinaire, alors que ce n'est clairement pas l'intérêt des enfants. Les personnes ont fait la synthèse des remontées dans leur fédération sans prendre la peine de vérifier l'intérêt réel des enfants.
Conclusion
La mise en accusation des enseignants provient d’un accord tacite d’utiliser la technique du bouc-émissaire pour expliquer les dysfonctionnements de l’éducation nationale.
Je reprends un paragraphe que j’avais écrit dans un précédent billet qui explique l’installation de croyances fausses.
« Des personnes qui considèrent l’Education nationale comme un terrain de jeu pour mettre en scène leur indispensabilité ont auto-construit collectivement, sans pour cela s’être forcément formellement concertées, des accords consensuels de valorisation mutuelle de leur fonds de commerce respectif. Ces personnes sont à l’intérieur ou à la tête de syndicats de professeurs, d’un parti politique ou de toutes sortes d’associations impliquées sur le sujet. Ce sont aussi des pseudo-pédagogues des ex-IUFM, ceux qui nient la part fondamentale de l’effet Hawthorne dans leurs « innovations pédagogiques forcément bénéfiques ». Ce sont des cadres des services centraux complètement déconnectés des réalités des établissements et dont la culture d’infantilisation des enseignants fait des ravages. Le mécanisme est le suivant. Ces gens, en recherche de positionnement dans un groupe, rebondissent sur les affirmations d’autres protagonistes quand elles les arrangent, sans vérifier ni leur pertinence pour l’intérêt des élèves, ni la correspondance avec la réalité. Des diagnostics faux accompagnés de principes de solutions inadéquates deviennent des vérités reconnues pas un grand nombre de partenaires, véritables doctrines. Elles sont généralement basées sur des schémas cognitifs présumés que les jeunes utiliseraient pour apprendre, pour se motiver, ou pour prendre des décisions concernant leur avenir, qui ne correspondent pas à la réalité. Certaines de ces personnes cherchent les théories populistes qui plaisent à leurs électeurs, d’autres d’avoir la matière pour faire des communications sur l’apport de leurs « méthodes innovantes », d’autres d’avoir des financements pour leur activités (responsable d’association ou chercheur), d’autres de favoriser leur promotion dans hiérarchie auxquels ils appartiennent, d’autres d’asseoir leur position dans l’organisation à laquelle ils appartiennent ou d’autres enfin de participer à des changements radicaux qui donnent la sensation enivrante d’être un démiurge. »
Dans tous les groupes qui ont participé à la construction de ces dysfonctionnements, il y a une majorité de gens qui font aux mieux avec les informations qu’ils ont, et il y a des gens totalement remarquables. C’est à eux que je m’adresse en essayant de leur faire comprendre les mécanismes qui ont abouti au désastre de l’enseignement français.
Je n’ai pas de doute, que s’ils connaissent les causes des dysfonctionnements, et les conséquences de certaines affirmations fausses, ils mettront autant d’énergie à les combattre, qu'ils ne mettaient d’énergie à les diffuser quand ils les croyaient justes.
Ces milliers de prises de conscience seront décisives pour le grand projet du gouvernement conduit par Vincent Peillon, pour changer le destin de millions d’écoliers, de collégiens et de lycéens français.