Ces dernières années, il y a eu une évolution de l’enseignement des sciences vers une focalisation sur l’analyse de données et sur la construction de la connaissance par l’élève via des expérimentations, ce que les bureaucrates de l'éducation nationale appelle "la pédagogie inductive". Il s’agit de méthodes très peu efficaces pour apprendre quand elles ne sont pas complétées par des cours structurés. Par ailleurs, c'est très facile de tomber dans des expérimentations ou des exemples creux ou complétement déconnectés de la réalité, l'enseignement devient contre-productif. C'est indéniablement le cas au collège et au lycée.
L’enseignement des sciences dans le système éducatif a été soumis à des tensions ces dernières années qui l’ont amené à évoluer. Cependant la méthode utilisée pour faire évoluer les enseignements a tenu plus du bidouillage autour "modes pédagogiques accompagnés des éléments de langage nécessaires pour faire une belle communication grand public", que de la démarche rigoureuse alignée sur les enjeux pour le pays et pour les enfants, prenant en compte les résultats réels des enseignements. Les résultats n'étaient d'ailleurs jamais testés.
Voici les tensions sur l’enseignement des sciences qui ont forcé son évolution :
- la prise de conscience d’un manque de culture générale scientifique dans la société en particulier chez les politiques et chez les journalistes. Cette méconnaissance du rôle de la science et des métiers scientifiques dans les évolutions économiques et sociales handicape la France dans sa capacité de prendre les bonnes décisions sur les enjeux incluant les sciences, d’innover et de produire au moindre coût.
- la nécessité de susciter des vocations pour les métiers des sciences et de la technologie, de manière à avoir les ingénieurs, techniciens et scientifiques indispensables pour gérer les changements sans précédents que le monde va rencontrer dans les trente prochaines années (changement climatique, mondialisation, fin du pétrole). Il est, en particulier, nécessaire de mieux faire connaître ces métiers et d’encourager les filles à se diriger vers ces métiers. Cela suppose de faire connaître les métiers et leur intérêt.
- la prise de conscience que l’enseignement des sciences et de la technologie au collège ne devait plus être une préparation au lycée général et technologique, mais destiné à donner une culture générale scientifique aux jeunes. Cela suppose de faire évoluer ces enseignements.
- le niveau en maths est trop souvent utilisé comme critères de sélection dans l’enseignement supérieur, y compris quand ce critère n’est pas pertinent. En effet, il est très facile de mettre une mesure avec une échelle sur les niveaux d’acquis de maths et l’être humain aime ce qui est mesurable y compris quand la mesure n’est pas pertinente par rapport à la finalité recherchée. Ce qui explique les enfants des parents informés demandent généralement la filière d’enseignement général et technologique qui a la plus forte exigence en maths parmi celles qu’ils peuvent réussir quand les autres matières obligatoires liées ne leur déplaisent pas, de manière à avoir le moins possible de portes fermées après leur bac. Cela crée une hiérarchie implicite des filières, baséee sur les acquis en maths. Ces dernières années cette hiérarchie a été renforcée, car ceux qui criaient contre la prétendue "excellence de la filière S" ont imposé les mêmes exigences sur les fondamentaux des les matières littéraires, dans la filière S que dans la filière L, de manière à permettre aux élèves de la filiière dite scientifique d’aller vers l’hyper-sélective prépa littéraire (25% des élèves d'hypokhagne viennent de S), satisfaisant les parents élitistes mais renforçant ainsi les tensions entre les filières. Contrairement à ce qui a été affirmé par les média, la réforme Chatel a renforcé la part de l’enseignement littéraire dans la filière scientifique. Ces tensions autour des maths ont provoqué des évolutions aux dépens des jeunes qui s'appuient sur les sciences pour réussir et aux dépens de la pertinence des enseignements scientifiques.
- le besoin de compensation d’un sentiment passé de dévalorisation de la biologie par rapport à la physique due à la différence entre les exigences en Maths des ex bacs D et C. Ces bacs ont été supprimés en 1995 pour être remplacés par le bac S. Les exigences de Maths de l’ex-bac D (Biologie) étaient inférieures à celles de l’ex-bac C (Mathématiques et Physique). Par le même mécanisme que celui expliqué dans le paragraphe précédent, les meilleurs élèves choisissaient la physique. Donc le bac D était vu comme celui de ceux qui n’avaient pas été admis en C. Ce qui explique que les associations de profs de SVT ont été proactifs pour tester les méthodes innovantes qui plaisaient tant aux permanents des services centraux. D’ailleurs, leur stratégie à été payante pour la gloriole de la matière : la dotation horaire de SVT a augmenté, le mot SVT figure dans le nom d’une des deux filières S qui sont S-SVT et S-SI. Les élèves y ont perdu puisque leurs acquis dans la matière ont diminué, et ceux qui ont des difficultés avec les exercices littéraires un peu artificiels, sont en difficultés dans la matière quels que soient leurs acquis et leur attirance pour les sciences de la vie et de la terre. Je parle des exercices du type "tu cases le mot-clé qui va bien à côté d’une courbe en disant qu’elle monte ou qu’elle descend".
Au niveau du collège, il y a une focalisation sur l’expérimentation, due à une généralisation inadaptée d'une approche développée en lien avec l'académie des sciences à partir de 1995 pour le primaire ,appelée "la main à la pâte". C'est la fameuse théorie de la "pédagogie inductive". Cette théorie me semble tout à fait intéressante de manière complémentaire à d’autres enseignements et pour les élèves volontaires qui ont une curiosité pour ce type d’activités. Malheureusement pour certains, c’est la solution miracle, alors qu'elle ne permet pas d'ancrer des connaissances structurées qui restent en mémoire, et ce type d'enseignement avec des élèves "non motivés" exige beaucoup d'énergie de l'enseignant pour éviter les dérives. Il est vrai que les parents qui ont une vision élitiste pour leur petit rejeton, savent compenser le manque de structuration et sont heureux que leur "petit chéri" fasse au collège les enseignements complémentaires qu'ils n'ont pas les moyens de mettre en oeuvre.
De la même manière, il y a un large consensus parmi ceux qui connaissent les besoins de apprentissage en science au collège, pour dire qu’il faudrait regrouper la physique, la SVT et la Techno en un seul enseignement de manière à lui donner plus de cohérence et que le contenu soit plus facilement mémorisable. C’est, bien sûr, refusé par les associations de professeurs de matière qui verraient ainsi leur spécialité diluée.
Au niveau du lycée, le groupe SVT a été pro-actif dans les années 2000 pour intégrer de nouvelles pédagogies qu’ils appellent actives et « constructivistes » qui sont censées donner du sens.
Lorsque mon deuxième fils est arrivé en 1èreS, il avait de graves difficultés dans les matières littéraires, bien qu’il apprenait très bien et très vite ce qui l’intéressait. Cependant, il avait un bon niveau de connaissance sur la SVT, parce qu’ils regardaient très régulièrement l’émission « C’est pas sorcier » et parce que nous faisions tous les ans 2 ou 3 visites scientifiques, en famille. J’ai été étonnée qu’il soit en échec en SVT. Je lui ai demandé d’emprunter le contrôle d’une camarade qui avait eu une bonne note. J’avoue que je n’ai pas compris ce qu’on demandait à l’élève. Ce qui était écrit ne me semblait n’avoir aucun intérêt. Le niveau de rédaction était très faible. J’ai appris, plus tard, que l’exercice consistait à faire des phrases en utilisant le vocabulaire appris dans la leçon en commentaire à des graphiques et à des courbes. Le prof principal m’a expliqué que c’était normal que mon fils avait du mal, la moyenne de de SVT est souvent très proche de la note d’histoire-géo. Pour réussir il fallait : apprendre des mots en mémoire courte et savoir faire un exercice artificiel, devant lequel mon fils faisait un blocage car il le percevait comme idiot.
Par ailleurs, j’ai eu sous les yeux le compte-rendu d’une réunion pour étudier les conséquences pour l’enseignement supérieur scientifique des évolutions de programme de la réforme Chatel. Il y était affirmé que pour la biologie, les profs de l'enseignement supérieur reprenaient les enseignements à zéro, comme si les étudiants ne savaient rien. C'est à dire que les cours de biologie de l'enseignement de l'enseignement supérieur n'ont pas de prérequis de connaissance en Biologie. Ce qui ne plaide pas en faveur de l'efficacité de cette géniale forme d'enseignement.
Et pourtant, le groupe des Sciences de la vie de la terre lui est totalement satisfait du résultat, comme on peut le voir dans sa contribution sur la filière S située dans le rapport n°2007-090 de l’Inspection générale de l’Education Nationale, de novembre 2007. [Page 90] « Il s’agit donc d’une pédagogie le plus souvent possible ancrée dans le concret, fondée sur la pratique constante du raisonnement argumentatif, qui tend à rendre l’élève acteur, sous la conduite du professeur, de la construction de son savoir. Il s’agit de développer des qualités méthodologiques de raisonnement et des qualités pratiques de manipulations, dont l’ensemble constitue un tout suscitant la mise en oeuvre de toutes les formes d’intelligence de l’élève. Les séances de TP jouent naturellement un rôle primordial dans cette approche.
Sans aller jusqu’à croire naïvement que les pratiques ainsi définies d’une manière générale (qui laissent une très grande marge d’expression à la liberté pédagogique du professeur) sont toujours parfaitement mises en oeuvre, on peut néanmoins considérer que la compréhension de ces consignes est correcte et en constante amélioration sur le terrain. »
[page 92] Sans vouloir donner dans une excessive autosatisfaction, on peut considérer que le goût persistant des élèves pour ces orientations valide les méthodes pédagogiques actives et «constructivistes » en vigueur dans la discipline, aussi bien que les pratiques d’évaluation fondées sur l’encouragement plus que la sanction. »
Pourtant la Finlande réputée pour ces méthodes pédagogiques a refusé cette approche. Voilà ce que dit Patrick Scheinin, doyen de la faculté des sciences de l’éducation, Université, Helsinki, Finlande, dans un documentaire passé sur Canal+ en 2007. (L’Education Nationale, un grand corps malade, documentaire Canal+ et Bonne Compagnie ; réalisé par Jean-Philippe Amar et Emmanuel Amara.)
« En appliquant à la lettre la méthode d’enseignement dite « de l’élève au centre du savoir », vous pouvez facilement déraper vers un apprentissage dans lequel l’élève doit tout découvrir par lui-même. Si le pauvre élève doit lui-même inventer les mathématiques en bricolant pour recréer le principe de la roue, inventer l’histoire et les maths, c’est une façon extrêmement lente d’apprendre.
Dans certaines matières, cela peut donner de bons résultats, mais dans d’autres comme les maths, les résultats sont très mauvais. On sait que l’on a besoin d’un adulte pour faciliter la transmission le savoir, un adulte qui soit un modèle intellectuel pour obtenir de meilleurs résultats notamment dans les maths. Dans beaucoup de pays, on a pris le chemin inverse. Si l’élève est au centre du système, vous oubliez le professeur. Or c’est lui qui doit assurer la transmission du savoir dans de meilleures conditions. Sinon c’est comme si on travaillait sans cerveau. En s’y prenant ainsi, on obtient moins de résultats dans le temps scolaire imparti. Un bon enseignement nécessite de bons professeurs. »
Malheureusement, le groupe des sciences physiques de l’inspection générale de l’éducation nationale a fait siens de ces nouveaux concepts et les a imposés dans le nouveau programme de physique lors de la réforme Chatel. Heureusement, l’esprit de l’application n’a pas été le même qu’en SVT, et quelques outils théoriques ont été gardés. Cependant, cette évolution est tout de même très inquiétante. A priori, l’enseignement scientifique de la filière scientifique devrait préparer aux études scientifiques et il ne devrait pas exclure celles et ceux qui s'y intéressent et même qui y excellent mais qui n'arrivent pas à mettre des mots-clés en face des courbes qui montent et qui descendent parce qu'elles ou ils trouvent l'exercice idiot.
Pour éviter l’échec scolaire aux jeunes qui s’appuient sur les sciences pour réussir, pour rétablir une culture scientifique dans la population française, pour que la France puisse avoir les scientifiques, ingénieurs et techniciens dont elle a besoin pour affronter l’avenir, il est nécessaire de clarifier les attentes de ces enseignements et de mesurer l’efficacité réelle des nouveaux modes d’enseignement. Les modes d'enseignement ayant vent en poupe dans les hautes sphères de l'éducation nationale, tant au niveau du collège qu'au lycée, ont un niveau d'efficacité très faible. La "pédagogie inductive" est clairement inefficiente à partir du collège. En effet, la transmission du savoir est beaucoup plus efficace quand elle est étayée. Sur un grand nombre de sujets, il est impossible de trouver des manipulations qui ne soient pas déconnectées de la réalité. A vouloir enseigner trop tôt des notions complexes, on en fait de la bouillie en opposition à la rigueur scientifique.