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Billet de blog 16 juin 2014

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Autour du "livre de mon ami" d'anatole France / 1

 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je viens de découvrir, sur le conseil d’une amie très chère, ce livre d’Anatole France dont la lecture m’a stupéfaite. Si je ne savais pas que l’auteur l’a écrit à la fin du XIXème siècle, je me dirais qu’il s’est inspiré de certains textes que j’ai lus de Françoise Dolto pour écrire une œuvre de fiction !

J’ai passé la majeure partie de ma vie à observer les enfants quotidiennement, en essayant d’éliminer au maximum le filtre de mes propres a priori pour tenter d’éviter les interprétations erronées, sachant que je ne pouvais me fier à mon "instinct" c'est à dire mon regard d’ancienne enfant maltraitée qui ne pourrait que projeter les interprétations malveillantes des adultes à son égard.

L’avantage du regard d’Anatole France sur l’enfance c’est qu'il est dénué de ces scories car  même si ses parents et les adultes de son entourage n’avaient pas la connaissance pédagogique infuse, ils portaient sur l’enfant qu'il fut un regard suffisamment empreint d’une bienveillante indulgence pour que les inévitables malentendus ne lui soient pas préjudiciables.

Par la suite, l’auteur portera un regard émerveillé sur les tout-petits qui lui permettra de faire des observations qui sont de nos jours confirmées par les chercheur/ses et par nombre de personnes qui ont appris professionnellement à regarder les enfants de la façon la plus objective possible, c’est-à-dire non pas en traitant les enfants comme des objets mais en étant toujours conscient/e de leur propre subjectivité et capables de prendre de la distance avec celle-ci.

Dans la démarche que je vais suivre concernant ce livre agréable à lire au cours de billets de lecture dont j'entame ici l'écriture, je vais commencer par citer les passages qui ont suscité ma réflexion et ensuite non pas me livrer à une explication de texte - que chaque personne qui lira le texte cité est capable de mieux faire pour elle-même que moi  ! – mais à l'expression de tout ce que cela m’évoque par rapport à ma propre expérience en tant qu’ex enfant moi-même et surtout par rapport aux observations similaires que j’ai pu faire concernant les enfants que j’ai eu l’immense privilège de rencontrer.

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LE LIVRE DE PIERRE

31 décembre 188...

« Net mezzo del cammin di nostra vita...

Au milieu du chemin de la vie… »

Ce vers, par lequel Dante commence la première cantate de La Divine Comédie, me vient à la pensée, ce soir, pour la centième fois peut-être.

Mais c'est la première fois qu'il me touche.

Avec quel intérêt je le repasse en esprit, et comme je le trouve sérieux et plein ! C'est qu'à ce coup j'en puis faire l'application à moi-même. Je suis, à mon tour, au point où fut Dante quand le vieux soleil marqua la première année du XIVe siècle. Je suis au milieu du chemin de la vie, à supposer ce chemin égal pour tous et menant à la vieillesse.

Mon Dieu ! Je savais, il y a vingt ans, qu'il faudrait en arriver là : je le savais, mais je ne le sentais pas. Je me souciais alors du milieu du chemin de la vie comme de la route de Chicago. Maintenant que j'ai gravi la côte, je retourne la tête pour embrasser d'un regard tout l'espace que j'ai traversé si vite, et le vers du poète florentin me remplit d'une telle rêverie, que je passerais volontiers la nuit devant mon feu à soulever des fantômes……

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Le tout début du livre commence par une annotation à propos d'un vers de Dante qui me touche car elle rejoint une prise de conscience personnelle que j’ai faite assez tardivement : on ne peut percevoir ce que vivent les gens qu’en l’expérimentant soi-même sinon cette compréhension reste théorique, fictionnelle, rationnalisante et influencée inconsciemment par ses conditionnements moraux.

Cela ne signifie pas que nous fassions les mêmes choix que ceux qu’ils ont faits mais que nous sommes plus à même de comprendre ce qui les a poussés à les faire.

Enfants, nous imaginons les adultes comme tout puissants, entièrement maitres de leurs choix, infatigables et ayant tout compris de la vie. Aussi est-ce sans scrupules que nous nous confrontons à eux car le fait qu’ils puissent réagir par fragilité, douter d’eux-mêmes, avoir peur de la vie et de l’avenir est pour nous du domaine de l’impensable.

Ce n’est qu’en devenant adulte nous-mêmes, après une courte période où nous nous imaginons avoir enfin atteint notre stade mature, que nous finissons par nous rendre douloureusement compte que nous n’avons toujours pas accès au paradis des certitudes gravées dans le marbre pour l’éternité, que nous sommes plus démunis que jamais devant les décisions à prendre et que les choix que nous faisons nous surprennent souvent nous-mêmes.

Alors, il peut nous paraître plus rassurant de nous raccrocher à des morales toutes faites, des religions qui nous dictent nos choix et nos comportements, des règles dont les enjeux supérieurs nous échappent, des diktats qui, nous imposant des normes nous dédouanent du danger de la prise de responsabilité.

Et arrivé à la mi-temps estimée de notre vie, évaluant le chemin parcouru, nous souvenant de ce que nous pensions des personnes qui, à l’époque de notre jeunesse, avaient notre âge, voyant ce que les jeunes imaginent de l’apparence que nous leur donnons, nous nous rendons compte de l’étendue du malentendu intergénérationnel.

Certain/es se rassurent en revendiquant le statut lié à leur âge et qui, par le simple miracle de celui-ci devrait leur octroyer d’office respect et reconnaissance de l’expérience que les ans sont censés leur avoir octroyée d’office.

Cependant, la société dans laquelle nous vivons actuellement disqualifie tout parcours professionnel fondé sur une réflexion autour des pratiques puisque l’expérience accumulée au fil du temps est déclarée caduque et non avenue de plus en plus tôt – la question se posant maintenant dès 40 ans alors même que la durée du temps de travail est allongée.

Je me rends maintenant compte du désarroi de la génération de mes parents devant la mienne en étant à mon tour désorientée par celle des trentenaires qui ne jurent que par la rentabilité, les chiffres, les statistiques – camemberts fades mais colorés à l’appui – ne se posant aucune question concernant le sens de ce qui leur est demandé, s’efforçant d’être de bons outils performants, rentables prêts à occuper la place des générations précédentes disqualifiées et qui, ce faisant, n’ont donc rien d’intéressant à transmettre.

Aucune acrimonie envers les jeunes générations dans ce constat : elles ne sont pas responsables de leur formatage et sans doute nos parents ont-ils éprouvé le même sentiment d’incommunicabilité avec nous que nous avec elles, mais bien plutôt la crainte que la désillusion sera encore plus précoce pour elles qu’elle ne l’est pour nous parce que le rythme de la ringardisation s’accélère ce qui allonge la durée de la souffrance au travail.

Je résumerais cette situation ainsi : "avant 30 ans ferme-là, tu manques d’expérience, après 40 ans, ferme-là tu es dépassé/e, entre les deux soit conforme et soumets-toi."

C’est cette prise de conscience de l’impossibilité de comprendre, non pas intellectuellement – cela nous est toujours possible à tout âge et nous donne l’illusion de la connaissance – mais émotionnellement, affectivement  - ce qu’éprouve une personne qui a un parcours de vie plus long que le sien, qui permet à l’auteur dans la suite du livre de montrer à travers l’évocation de ses propres souvenirs d’enfance que les enfants perçoivent le monde adulte à travers le prisme de leur propre entendement. Et que la plupart des adultes ayant enfouis dans les profondeurs de leur mémoire leurs propres raisonnements d’enfants cela engendre forcément nombre de malentendus réciproques.

La suite du livre évoque cette distorsion avec une bienveillante tendresse toute empreinte d’un humour léger et une finesse d’observation et d’auto-analyse remarquables.

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