Première partie : L'origine de la Cora et Salif Keïta
Les années ont passé, la petite fille est devenue une jeune fille, elle s’est mariée puis a eu un enfant, un garçon.
Lorsque son bébé était triste, lorsqu’il pleurait, elle le berçait et elle prenait son instrument pour lui chanter des chansons, puis pour s’accompagner lorsqu’elle lui racontait des histoires.
Les gens de son village lui demandait de jouer pour les fêtes et aux veillées de contes et l’enfant baignait dans la musique de sa mère. Il aimait la regarder, voir ses doigts danser sur les cordes et écouter cette musique qui, au moment de l’endormissement l’aidait à affronter la peur de se retrouver seul dans le monde des rêves.
A six ans, il a été chercher lui-même l’instrument et il a dit : « maman, je peux en jouer moi aussi ? ».
Sa mère lui raconta alors sa dispute avec son frère et pourquoi et comment elle avait inventé cet instrument et elle conclut en riant : « je n’ai aucune raison d’être fâchée contre toi en tant que garçon. Je sais que tu prendras soin de mon instrument et que tu sauras en jouer, alors prends-le, il est à toi maintenant. »
A partir de ce jour, on n’a plus vu le garçon sans son instrument, il l’emmenait partout avec lui et en jouait en toute occasion et il inventait des airs de plus en plus beaux. Les gens du village lui demandèrent alors de venir pour les fêtes, puis ceux des villages alentours l'invitèrent à leur tour.
Devenu adolescent, il jouait dans la grande fête d'un village éloigné lorsque le conseiller du roi l’entendit. Celui-ci le fit appeler et lui dit :
- Le roi va donner une grande fête dans trois mois et les plus grands musiciens du royaume sont invités, toi et ton merveilleux instrument y avez votre place. »
Le garçon courut voir sa mère pour lui demander ce qu’elle en pensait et elle lui a dit que le palais du roi était loin, que ce serait un long et dangereux voyage mais qu’il était grand et que c’était à lui de décider. Elle ajouta qu’il était un excellent musicien et que le conseiller savait ce qu’il faisait en l’invitant. Puis elle se rendit auprès du conseiller et lui dit
- « Mon fils ira à la grande fête du roi, à la condition qu’il n’y reste qu’une seule journée et que sa sécurité soit assurée pendant son trajet.
- Des messagers viendront chercher ton fils avant la fête. Qu’il soit prêt, pour le reste, tu as ma parole. »
Au début, le garçon était fou de joie mais bien vite l’inquiétude vint gâter cette joie : les plus grands musiciens seraient là ! Son instrument lui parut soudain trop fruste, rudimentaire, pas assez raffiné, brillant pour plaire au roi. Il eut peur de perdre la face.
Sa mère perçut son désarroi et lui dit :
- " Quand ton oncle a inventé son instrument, il a réfléchit dans sa tête pour le faire, quand j’ai fabriqué le mien, j’ai fait pareil. Tu as trois mois pour améliorer cet instrument, alors réfléchis toi aussi et les idées te viendront. Tous les gens du village seront heureux et fiers de te donner ce dont tu as besoin pour améliorer ton instrument. Ne te décourage pas si tu n’obtiens pas tout de suite ce que tu veux et tu surmonteras toutes les difficultés."
Le garçon mit un mois pour fabriquer un nouvel instrument qui non seulement soit capable de jouer une belle musique mais dont l’apparence soit à la hauteur des prestigieux instruments qu’amèneraient les autres musiciens.
Tous les habitants du village participèrent avec joie en lui donnant ce qu’ils avaient de meilleur : l’un sa calebasse la plus grande et de la forme la plus parfaite, un autre une peau d’antilope, un autre encore les clous pour tendre cette peau sur la calebasse et sa mère lui offrit des cauris pour décorer la calebasse et lui porter chance.
C’était déjà mieux mais il restait malgré tout insatisfait du résultat.
Sept cordes, c’était peu, mais s’il en mettait plus, comment faire ? Il eut alors l’idée de rajouter un manche en bois de palissandre ce qui lui permit de placer 21 cordes. Et d’améliorations en amélioration, il finit par être satisfait du résultat obtenu.
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Mais, une fois l’instrument terminé, il paniqua à nouveau : c’était bien autre chose d’en jouer que de répéter les gestes qu’il avait vu sa mère accomplir devant lui pendant des années ! Puis il réfléchit que sa mère, elle aussi, s’était trouvée confrontée au même problème lorsque, gamine, elle avait inventé de toute pièce son instrument et qu’elle s’était longuement exercée pour arriver à en jouer.
A partir de ce moment-là, il prit à peine le temps de manger et de dormir : il s’exerçait à jouer jusqu’à l’épuisement. Parfois il allait voir les autres musiciens du village et il leur demandait des conseils, puis il joua avec eux et pendant deux mois le village entier ne fut que musique et création musicale.
Enfin arriva le jour à la fois désiré et craint où les messagers du roi vinrent le chercher. Tout le village était là pour fêter son départ et il savait qu’il emportait avec lui les rêves et les espoirs de toute sa communauté.
Il profita du trajet pour continuer sans répit, malgré la fatigue et les aléas du voyage, à s’exercer. Lorsqu’il arriva à la cour du roi, le conseiller l’attendait et le reçut chez lui comme un hôte de marque.
Il lui apprit les manières de la cour, le rassura sur son art et lui offrit un magnifique vêtement digne des plus grands musiciens. C’était beaucoup d’honneur et beaucoup de responsabilité aussi pour un tout jeune villageois.
Le jour tant attendu de la fête arriva trop vite, mais même s’il se sentait maladroit, s’il n’avait pas le sentiment d’être prêt la joie d’être là balaya toutes ses réticences et quand son tour de jouer arriva il donna le meilleur de lui-même sans songer à autre chose qu’à l’exaltation que provoquait en lui la musique.
Et jamais il n’avait joué ni chanté aussi bien. Quand il eut finit de jouer le roi le fit appeler et lui demanda de jouer encore pour lui. Encore, et encore… La nuit y passa et le roi ne se lassa pas de l’entendre. Mais au matin le jeune homme rappela au conseiller qu’il ne s’était engagé que pour une journée. Cependant le roi le pria de rester deux jours de plus et il ne put refuser.
Au bout du troisième jour le roi lui dit qu’il le laissait partir à condition qu’il promette de revenir le plus rapidement possible. Pour le remercier de la joie qu’il lui avait procurée il lui fit des cadeaux somptueux. Et l’on dit que c’est de là que vient le nom de « Cora » du début d’une phrase qui signifie « ce qui apporte la richesse »
Le joueur de Cora
Cilia Sawadogo © DR