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Billet de blog 9 mai 2014

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Le Parlement européen pourrait-il refuser le futur Traité transatlantique ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le Traité sur l'Union européenne est complémentaire du futur traité transatlantique (TAFTA). Mais en l'absence de remise en cause réelle des mécanismes ultralibéraux au sein de l'Union européenne, l'européisme de gauche se replie vers l'antiaméricanisme. Ne voyant pas bien que ce projet ne serait rien d'autre qu'une mise à jour du Traité sur l'Union européenne, le Traité transatlantique avec les USA nous est présenté comme un projet inédit et terrifiant d'abandon des régulations sociales. La gauche de la gauche (ainsi que le Front national) se prononcent ainsi contre ce projet, après que l'ensemble du Parti socialiste s'y soit rallié, y compris la gauche du PS en la personne de Benoît Hamon.

Pas de rupture avec le néolibéralisme, mais de l'antiaméricanisme

Face à la menace de boycott massif des prochaines élections européennes, le refus du projet de traité transatlantique devient le point névralgique de la campagne à gauche du PS. Ecoutons Nouvelle Donne et le Front de gauche qui prennent au sérieux l'Union européenne en tant que système en situation de "déficit démocratique". 

Le Front de gauche met ainsi en rapport les élections au Parlement européen et le TAFTA, partant du constat que la Commission européenne négocie avec les USA et que si Traité il y a, il devra être ratifié par un vote du Parlement européen. Il serait donc essentiel que ce parlement soit majoritairement composé de députés qui voteront contre le TAFTA. (*) 

De même, l'énarque gouvernementale Fleur Pellerin nous assure-t-elle que l'adoption de ce traité se fera de manière quasiment démocratique :

ce texte, s'il aboutit, « ne sera pas adopté dans le dos des populations », puisque « l'ensemble des parlements européens », mais aussi le parlement européen de Strasbourg, en bout de course, devront donner leur avis, et le ratifier ou le rejeter.

Nous voilà donc rassurés. De gauche à droite, on nous assure qu'un processus démocratique sera respecté. Selon le Front de gauche, il faut élire un Parlement européen qui votera contre le TAFTA. Au centre droit, on nous assure que tous les parlements seront consultés.

Et pourtant ces tentatives de justification, qui sont censées rassurer l'opinion, sont erronées ou mensongères.

Valéry Giscard d'Estaing, acteur majeur de la construction européenne

Quel est en réalité le processus en cours ?

C'est la Commission européenne qui négocie actuellement ce traité par délégation des conseils de ministres européens. Le Parlement européen ne joue strictement aucun rôle dans cette négociation. 

Quels sont les pouvoirs du Parlement européen ?

Le Parlement européen n'a pas le pouvoir de discuter du projet de traité, ni de négocier, mais pourrait avoir in fine un droit de veto sur sa ratification, selon les dispositions de la procédure d'approbation. Il pourrait donc se prononcer.

Cependant, est-il possible que dans l'adversité, par exemple dans la perspective d'un rejet, le Parlement ne soit autorisé par le Conseil à s'exprimer que selon la procédure ordinaire ? Qui le décide réellement ? C'est important, car dans la procédure ordinaire, le droit de veto du Parlement européen peut être annulé par le veto du Conseil. Le Parlement n'a donc qu'une très maigre marge de manoeuvre. Il est même parfois ignoré, comme en 2012 lorsque le Conseil a été amené à se prononcer sur la suspension de l'espace Schengen et le rétablissement des frontières.

Habituellement, le Parlement européen ne prétend pas détenir un pouvoir, mais il joue un rôle dans les processus décisionnaires. Le Parlement européen est moins un dirigeant qu'un acteur de la construction européenne.

Ce rôle est difficile à admettre quand on a l'habitude de penser dans une logique politique ou démocratique ; même Fleur Pellerin, qui vient d'annoncer que les parlements nationaux seraient consultés au même titre que le Parlement européen, ne voit pas l'absurdité de ses propos.

Le point essentiel à retenir, c'est que l'Union européenne ne reconnaît pas la séparation des pouvoirs, base de la théorie de la démocratie représentative depuis la Rome antique. Il ne s'agit pas d'un système démocratique.

Ainsi, le pouvoir législatif n'est-il pas assuré par le Parlement européen mais par le Conseil de l'Union européenne. Le Conseil est aidé dans son travail par les commissaires européens et par le Parlement européen. Auxquels sont associés les états membres par le biais des procédures de transposition des directives.

Le Parlement européen ne dispose pas entièrement des pouvoirs de codécisions avec le Conseil : ses pouvoirs diffèrent selon les procédures. Il participe au pouvoir législatif mais il n’est pas l’organe qui amène les propositions de lois, contrairement aux Parlements nationaux. Le monopole de l’initiative reste à la Commission et du reste le PE n'utilise que rarement le pouvoir d'initiative acquis en 1992. Toutes les décisions sont donc prises de manière collégiale entre la Commission, le Conseil et le Parlement européen.

Il ne s'agit donc pas d'un système dans lequel le Parlement européen serait placé en haut d'une pyramide démocratique.

Un seul article du Traité sur l'Union européenne énumère les fonctions du Parlement européen, de manière donc absolument exhaustive  :

TUE, à l’article 14, §1 : « Il exerce conjointement avec le Conseil, les fonctions législative et budgétaire. Il exerce des fonctions de contrôle politique et consultatives aux conditions prévues par les traités. Il élit le président de la Commission. » (**)

A quel niveau combattre le TAFTA ?

Compte tenu des procédures de négociation et de décision de l'UE, ce sont les parlements nationaux et les exécutifs nationaux qui vont décider de l'avenir du Traité transatlantique. Il s'agit ainsi d'un enjeu démocratique, typiquement national où chaque nation doit s'engager à renoncer ou non à ses propres régulations économiques et sociales.

La lutte contre les traités de libre-échange (tous, pas seulement celui avec les USA, mais aussi celui sur l'Europe, dont Nouvelle Donne ne parle pas) passe par des pressions sur les exécutifs nationaux qui délèguent leurs pouvoirs à la CE. Il s'agit donc d'une affaire de démocratie, c'est à dire de souveraineté populaire à l'échelle nationale. Prétendre qu'il n'en est rien et contourner le problème en le reportant sur le Parlement européen est une imposture, une tentative de dissimuler la réalité des lieux de pouvoir et des rapports de force.

Quand le texte du TAFTA arrivera au Parlement européen, les parlementaires n'auront aucun droit d'amendement. Arrivant en toute fin de procédure, le droit de veto sera automatiquement présenté comme un enjeu de survie pour la construction européenne. C'est pour cette raison que la contestation du TAFTA doit se faire en amont.

Les gens de Nouvelle Donne et du Front de gauche devraient faire un travail d'éducation populaire pour expliquer au citoyen quels sont les pouvoirs au sein de l'Union européenne. Ils apparaissent au contraire comme portant une idée sans substance et participent à réintroduire l'idée d'"Europe sociale", celle qui a été portée par le Parti socialiste pendant trente ans, avec les conséquences qu'on sait. Ils nous font croire que l'Union européenne est une zone de discussion démocratique, alors qu'il s'agit d'une zone de guerre économique où les plus forts tentent d'écraser les plus faibles.

UE, Eurogroup, BCE et FMI ensemble pour conduire la guerre économique au sein de l'Europe

________________

(*) Voir le travail de Jean-Luc Mélenchon à ce sujet (merci à Francis Baldassi) : http://www.jean-luc-melenchon.fr/arguments/six-ans-de-lutte-contre-le-grand-marche-transatlantique/

(**) Sur la problématique institutionnelle, on se reportera par exemple à ce travail universitaire consacré au système parlementaire européen : http://fdsp.univ-lyon2.fr/sites/fdsp/IMG/pdf_Le_systeme_parlementaire_europeen-2.pdf

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