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Billet de blog 26 décembre 2012

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Homoparentalité : en effet, freudiens, bouclez-la !

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Un an après la grande confrontation sur l‘autisme, le débat en cours à propos de l’homoparentalité devrait achever de convaincre les consciences progressistes du caractère parfaitement ascientifique et réactionnaire du freudisme (j’allais écrire « ascientifique donc réactionnaire », mais je me suis retenu à temps, ouf !). Je dis « devrait », parce que je sais bien qu’une croyance, ça ne s’extirpe pas si facilement, et que pour beaucoup à gauche, la représentation du monde issue du gloubi-boulga post soixante-huitard est figée pour l’éternité. 

Par exemple, l’autre jour, alors que je végétais sur le canapé devant la télé… je veux dire : « alors que j’analysais tranquillement le monde contemporain depuis un poste d’observation privilégié »…., je suis tombé sur un débat sur LCP (très bien, la chaîne parlementaire, by the way. Ça manque de reportages animaliers à mon goût, mais très bien quand même). Il s’agissait de causer de l’homoparentalité dans le cadre de la polémique en cours à propos du « mariage pour tous », et la configuration du débat m’a interpellé : face à deux « Pour » [deux parlementaires PS, LCP oblige], il y a avait forcément un représentant de l’UMP, et un représentant de l’Eglise. Mais il s’agissait de l’Autre Eglise, en l’occurrence. Pas la Catholique Apostolique et Romaine, mais la Freudienne Freudienne et éventuellement Lacanienne. Avec un pédopsychiatre freudien à la noix, le genre de type que l’on ressort quand on veut donner sur ce genre de sujet une parole d’autorité qui ne soit pas scientifique. Et en effet, ces jours-ci, à propos de   l’homoparentalité, l’ordre supposé éternel des choses est défendu un coup avec « Les Evangiles et Dieu disent que… », et un coup avec « Les Ecritures freudiennes et l’Inconscient disent que ». Mais au final, c’est du pareil au même, sur le thème « Il y a des invariants fondamentaux que si t’y touches hou la la c’est la fin de la civilisation et la barbarie qui pointe».

Au passage, dans le même registre, le mec de l’UMP en a sorti une bien bonne : pour justifier son refus de la nouveauté législative et des transformations de la société qu'elle accompagne, il a invoqué...le principe de précaution inscrit dansla Constitution! Nous y voilà ! Il faut lui reconnaître le mérite de la cohérence,  sur ce coup, car il brandit effectivement un principe fondamentalement  conservateur pour justifier une position réac. Bravo à lui.

Et ce matin, je tombe sur une tribune sur le Monde.fr, qui est elle aussi intéressante par la configuration qu’elle met en lumière dans ce débat : 

http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/12/25/homoparentalite-psys-taisons-nous_1810190_3232.html

Voilà enfin une contribution utile d’une freudienne à un débat, puisqu’elle appelle ses coreligionnaires... à se taire un peu !

Ce qui d’ailleurs nous changera, pour ce qui concerne les médias français.

Globalement, on ne peut qu’être d’accord avec la conclusion et la soutenir: oui, freudiens, pour une fois, fermez-la un peu. Car sur ce sujet-là, comme sur bien d’autres, vous devriez faire preuve d’une modestie et d’une discrétion inversement proportionnelles à la réalité encore une fois constatée de votre omniprésence médiatique et de votre arrogance fondée sur un pseudo-savoir archaïque. Quand on sait le lourd passé du freudisme vis à vis de l’homosexualité, on aimerait qu’ils se cachent sous la table quand on cause du sujet, plutôt que de les voir truster les plateaux de télé et les tribunes libres des journaux. Les freudiens ont en effet été parmi les derniers,  avec les cathos, à considérer l’homosexualité non pas comme une variable statistique des préférences sexuelles constatées, mais comme  une maladie mentale à soigner. Un problème de mère trop envahissante ou un truc du genre, en tous cas la faute de la mère très probablement.

Donc, OK sur ce point avec le cri du cœur de l’auteure de l’article, Sylvie Faure-Pragier : de grâce, taisez-vous.
OK sur la conclusion, mais sur les considérants, y a encore du boulot, houlà !

Parce que, en gros, en lisant son papier, en dehors du début où elle fait une référence vague à des "études" faites dans d'autres pays, tout cela reste très ésotérique, et on lit son texte comme on lit un théologien de gauche répondant à des théologiens de droite. Genre ça :

"Jusqu'à aujourd'hui, le coït procréateur, nommé aussi scène originaire, a été un des fantasmes organisateurs de la psyché. Cependant, n'est-il pas lui-même une représentation privilégiée d'un complexe enchevêtrement de désirs parentaux ? D'autres représentations ne pourraient-elles avoir la même fonction ?

La symbolisation me paraît être une capacité de notre psychisme et non une conséquence de l'organisation familiale réelle. »

Bla bla bla….

Dans le même registre, le titre de l’ouvrage de l’auteure signalé par Le Monde est : Bébés de l’Inconscient : le psychanalyste face aux stérilités féminines aujourd’hui. Gloups ! A priori, on se demande bien quelle aide la psychanalyse pourrait apporter à une femme stérile.La PMA, c’est sans doute bien plus efficace, et ça doit être pour ça que les couples de lesbiennes réclament d’avoir accès à celle-ci plus qu’au divan…

Avec ce genre de prose indigeste, on reste dans le registre des dogmes freudiens, qui, parce que parfaitement arbitraires, peuvent servir dans un débat comme celui-ci à justifier une chose ou son contraire. Chez les cathos aussi, il y a des théologiens réacs et des théologiens progressistes, qui font l’un et l’autre semblant de s’appuyer sur les Ecritures Saintes pour fonder leurs jugements qu’ils ont en fait constitué par ailleurs –avec à mon avis plus de cohérence du côté des littéralistes réacs, pour tout dire.
Le stade de la réflexion auquel l’humanité a pourtant accès depuis plus de trois siècles, c’est celui qui consiste à se débarrasser en bloc de la théologie. Allez, encore un petit effort, les freudiens progressistes, on va y arriver !

La titre de la tribune a aussi quelque chose de très significatif « Homoparentalité : ″psys, taisons-nous″ ».
Mais pourquoi diable les psys en général devraient-ils se taire dans ce débat ? N’ont-ils pas une expertise particulière, d’ordre factuel et analytique,  qui donne des éléments de réflexion au politique, qui lui va trancher en se fondant également sur des valeurs ?

Demander aux psys en général de se taire dans un débat sur l’homoparentalité, c’est un peu comme demander aux climatologues de se taire à propos du changement climatique. On ne voit pas très bien pourquoi il faudrait se passer du savoir des experts, ça peut sembler un peu irresponsable comme attitude – même si les experts en question relèvent des sciences humaines plus que des sciences de la nature, et sont donc plus marqués par l’opinion. Il faut au contraire convoquer dans le débat les psychologues et psychiatres, ainsi que les sociologues ou anthropologues, pour nourrir ce débat sur le strict terrain des connaissances, et en prenant bien soin de séparer les magistères, entre ce qui relève du scientifique et ce qui relève du politique. Entre d’un côté le : « on constate que ça se passe comme ça , et de l'autre un  : « on voudrait que çà se passe comme ça. ».

 Non, ceux qui doivent se taire, ou plutôt ceux dont on se contrefout de leur opinion [car tout le monde doit avoir droit à la parole, évidemment], ce sont ceux qui n’ont aucune expertise particulière qui serait fondée sur une démarche scientifique, ne serait-ce que celle des sciences sociales. Et le titre de la tribune devrait donc plutôt être : « Freudiens, taisons-nous ».

D’ailleurs, l’auteure elle-même ne demande pas à tous les psys de se taire, vu qu’elle convoque certains travaux au début de son papier : 

« Les données publiées dans les pays où cette possibilité existe depuis suffisamment de temps pour que ces enfants soient devenus adultes sont superbement ignorées. Les informations et les études pourtant précieuses des auteurs américains, australiens, israéliens, belges et autres sont disqualifiées. »
Si dans ces pays des psys ont ainsi travaillé sur les enfants d’homosexuels et sur les éventuelles difficultés qu’ils rencontrent, c’est précisément parce que ces chercheurs ne sont très certainement pas freudiens, et qu’ils ont préféré mener des enquêtes pour voir comment ça se passe en vrai, plutôt que de blablater dans le vide à partir de concepts frelatés et de leur propre interprétation de quelques cas qu’ils auraient rencontrés sur leur divan. Sur ce sujet comme sur tous les autres, le savoir scientifique s’est construit non seulement en-dehors de la psychanalyse, mais probablement en partie  contre elle.

Et ce savoir n’est en rien prescriptif en lui-même. Il est possible que des enfants d’homosexuel(le)s rencontrent dans leur vie  des difficultés particulières, du fait par exemple du caractère minoritaire du type de famille dont ils font partie ou du poids de l’homophobie ambiante. Et alors ? Dans les années, 50, dans le sud des Etats-Unis, ça devait être plus compliqué pour un enfant Noir de s’asseoir avec ses parents dans la partie du bus réservée aux Blancs. Pour autant, il ne fallait pas le faire ?

Globalement, dans sa tribune, l’auteure explique que sans expérience clinique et sans avoir mené d'études [on comprend : "statistiques"] sur un sujet, les freudiens devraient se taire à propos de ce genre de  sujet :

 « Sans une expérience clinique réelle, les psychanalystes ne peuvent se substituer ni à l'opinion publique ni au législateur. D'ici là, "taisons-nous !"

La question est alors : mais sur quel sujet pourraient-ils encore l'ouvrir, en fonction de la démarche particulière de la psychanalyse elle-même, qui refuse les études sérielles au profit d'études de cas et de récits ? On a vu il y a quelques mois, au grand jour, ce qu’il en est de la pseudo expérience clinique des freudiens sur la question de l’autisme, et des dégâts qu’elle a provoqués – et qu’elle continue de provoquer en France. Pensons par exemple au cas de Pierre Delion, qui emmaillote depuis deux décennies des gosses autistes dans du linge froid, et qui se pose seulement depuis peu la question d’un protocole expérimental pour évaluer les effets de ce truc très désagréable – et après, il s’étonne que les associations de parents n’aient plus très envie de jouer à son petit jeu ! -. Tu parles d’une expérience clinique ! Et Elisabeth Roudinesco, qui s’exprime abondamment dans les médias sur plein de sujets d’ordre clinique ou sociétal, elle a quelle expertise, quelle expérience clinique, depuis sa position d’historienne (apologétique) de la psychanalyse ?

 
Si on laisse un instant de côté toutes les constructions abstraites sur le fonctionnement de l'Inconscient et qu'on regarde juste ce qui se passe en fonction des constats d'ordre biologique ou sociaux... qu'est ce qui resterait de psychanalytique là-dedans ?

La psychanalyse est dans la même position que l’Etat d’Israël : ou elle est et reste ce qui l'a fondée, et ça ne va pas du tout, c'est une impasse terrible ; ou elle devient autre chose…mais alors elle n'est plus elle-même, elle disparaît.

 Si Israël cesse de se penser comme un « Etat juif » pour pouvoir devenir un Etat disons « démocratique », ce ne sera plus Israël, ce ne sera plus l’idéologie sioniste. Ce sera juste des gens qui vivent ensemble sur un territoire donné, avec des règles de vie fondées sur une égalité de droits, quelle que soit leur origine et leur religion. Et si l’égalité n’était plus seulement « des droits », mais une égalité dans les faits, concrète, sociale, ce ne serait plus non plus une société capitaliste, mais le communisme.

De même, si la psychanalyse cesse de se penser comme une thérapie par la parole fondée sur une vision de l’Inconscient bâtie par Freud autour de quelques cas truqués, si elle adopte une démarche plus en accord avec les normes de la science moderne, elle ne sera juste plus la psychanalyse. Ce serait de la science. C'est-à-dire autre chose que ce qu’elle est.

Quelque part, pour elle, comme l’ont sans doute bien compris les lacaniens qui veulent continuer à profiter de leur rente de situation post soixante-huitarde,  s’adapter c’est périr.


Et, comme pour Israël, le plus tôt sera le mieux.

Yann Kindo

PS : Le premier exalté qui, sur la base de ma conclusion,  me fait le coup de l’accusation d’antisémitisme, comme savent très bien le faire et les défenseurs d’Israël (BHL, Finkelkraut, Alexandre Adler…) et ceux de Freud (BHL encore, Val, Roudinesco…) , je… je le laisserai faire, et il se ridiculisera tout seul.

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