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Billet de blog 30 août 2011

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Greenpeace, Lutte ouvrière: apolitisme et démocratie

L'association écologiste Greenpeace vient de mettre en ligne une enquête de son cru à propos du positionnement des candidats pour la présidentielle de 2012 sur la question du nucléaire. Il s'agit là d'une pratique de plus en plus en plus courante à l'époque de l'atomisation post-moderne des préoccupations politiques.

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L'association écologiste Greenpeace vient de mettre en ligne une enquête de son cru à propos du positionnement des candidats pour la présidentielle de 2012 sur la question du nucléaire. Il s'agit là d'une pratique de plus en plus en plus courante à l'époque de l'atomisation post-moderne des préoccupations politiques. Chacun a son dada et évalue les candidats à cet aune, plutôt que de porter un regard global sur les perspectives des uns et des autres autour d'une question comme «comment en finir avec l'exploitation et les inégalités ?»

Greenpeace a donc envoyé un questionnaire aux différents candidats, et a à partir de là bâti un « classement » [tout en nuances..] en fonction en gros de la vitesse à laquelle chacun(e) prévoit de sortir du nucléaire [puisque c'est cela l'option de Greenpeace, qui trouve plus urgent de sortir du nucléaire que du charbon]. Avec son sens de la com hypertrophié qui est une de ses marques de fabrique, Greepeace a intitulé cette enquête « Le stress test des candidats à la présidentielle ».

En, voici les résultats, (sans grand intérêt) :

http://greenpeace.fr/2012/#!/

Ayant des sympathies affirmées pour Lutte Ouvrière, je suis allé voir par curiosité ce que Greenpeace avait bien pu faire avec les réponses de Nathalie Arthaud. Or, surprise, ma candidate préférée ne figure pas dans le classement. Dans un premier temps, je me demande s'il s'agit d'un oubli, si Greenpeace ne s'est pas focalisée uniquement sur les gros candidats, les plus médiatiques. En fait non, puisqu'on y trouve Christine Boutin ou Frédéric Nihous [qu'il faut reconnaître d'après leur portrait, les noms n'apparaissent pas sur le document terminal, qui n'est donc pas facile à lire]. Peut-être alors que LO a simplement choisi de ne pas répondre parce qu'elle a autre chose à faire. Ou bien encore, plus probable : Greenpeace n'a pas réussi à faire rentrer dans son cadre de pensée binaire (nucléaire ou pas nucléaire) les réponses de LO - qui consistent à transférer la problématique de la question technologique vers les questions politique et sociales -, et a dû exclure de ses résultats une organisation ayant globalement répondu que le problème n'est pas la sortie du nucléaire, mais la sortie du capitalisme.

Même pas.

On trouve l'explication de cette absence dans la présentation de l'enquête, à partir de l'onglet « plus d'informations » :

« Greenpeace est une organisation apolitique. Nous avons décidé d'exclure de notre classement Lutte Ouvrière et le Front National. Greenpeace considère que Lutte Ouvrière est un parti non démocratique. De son coté, le Front National est en opposition totale avec des valeurs parmi les plus chères à Greenpeace, notamment le pacifisme et la non-violence. La « préférence nationale » prônée par le Front National est une forme de discrimination que Greenpeace récuse absolument. »

C'est donc par choix politique [apolitique...] que Greenpeace a exclu LO et le FN.

Pour le FN, on voit bien les raisons, même si, on y reviendra, celles-ci rendent incohérentes les présence d'autres candidats dans le panel choisi [puisqu'il y a bien eu choix et tri, selon des critères propres à Greenpeace]. Mais pour LO ?????? Il faudra se contenter d'un sobre et définitif :

« Greenpeace considère que Lutte Ouvrière est un parti non démocratique. »

Il va être très difficile de discuter cette assertion calomnieuse, étant donné que Greenpeace n'expose pas les considérants qui l'amènent à considérer que.

Greenpeace a-t-elle examiné minutieusement le mode de fonctionnement interne des organisations ayant conduit à la désignation des candidats en question ? Il est peu probable que ce soit cela, sinon on ne comprendrait pas le choix d'exclure une candidate désignée par vote lors d'un congrès annuel auquel peuvent prendre part tous les membres de l'organisation, et d'inclure par contre un Nicolas Sarkozy dont on ne se souvient pas à quel moment il a été désigné candidat par une procédure démocratique au sein de l'UMP [rien qu'à écrire « procédure démocratique au sein de l'UMP », je pouffe. Il est plus globalement intéressant de constater que Greenpeace inclut Sarkozy dans le champ du "démocratique", mais qu'elle en exclut Lutte Ouvrière ; ça ne nous apprend pas grand chose sur la démocratie, mais ça nous en dit beaucoup sur Greenpeace]. On peut donc penser que Greenpeace ne s'est pas penchée en détail sur les mode de fonctionnement de tous les partis présentant des candidats en 2012 [question qui relève largement des choix du parti en question et concerne les membres de celui-ci, et à la limite personne d'autre. Chacun a le droit d'adhérer au parti de son choix en fonction du mode d'organisation qui lui convient le mieux] Il ne sert donc à rien de discuter plus avant ce point, faute de la moindre justification de la part de Greenpeace.

On en est donc réduit à penser que c'est le positionnement de LO sur l'organisation globale de la société qui ne convient pas à Greenpeace, qui a probablement [mais on ne le sait pas vraiment] choisi d'exclure du cadre de ce quelle considère comme « démocratique » la seule organisation candidate en 2012 qui se présente ouvertement et clairement comme « révolutionnaire », et que c'est cela qui gêne Greenpeace. Pourtant, vu depuis le prisme écolo de Greenpeace, le NPA, malgré ses confusions et ses multiples facettes, pourrait être éventuellement considéré comme « révolutionnaire » et donc non démocratique. Oui mais, peut-être que le NPA est démocratique aux yeux de Greenpeace parce qu'il est favorable à une sortie très rapide du nucléaire et qu'il est à la pointe de la démagogie ambiante sur ce point.

Peut-être, mais on ne le saura pas, Greenpeace n'ayant pas pris la peine d'expliquer ce qui est « démocratique » ou pas à ses yeux. On est donc obligés d'en rester à ce stade des supputations, en s'interrogeant toutefois sur le mode de fonctionnement interne de la multinationale écolo, qui permettrait de voir en pratique sa conception de la démocratie. Par exemple : quelle direction élue lors de quel congrès et selon quelles modalités par les membres de l'association, après un débat organisé de quelle manière ?, a décidé de décider que LO c'est pas démocratique ? Je n'ai pas beaucoup poussé mes recherches sur ce point, et je n'ai rien trouvé sur le site de Greenpeace France, qui, étrangement, lorsqu'il présente l'association, ne dit pas un mot (sauf erreur de ma part) sur son mode d''organisation, préférant essentiellement présenter ses campagnes et appeler les gens à soutenir par un don en argent. Je me contenterai donc de renvoyer à ce papier de Rue 89 rendant compte du jugement d'un autre écolo, Fabrice Nicolino, dont le propos m'a semblé assez cocasse ici :

 


"Greenpeace, l'ONG du Rainbow Warrior est devenue « une petite entreprise capitaliste comme ...une autre ». Son directeur général, Pascal Husting, se vante officiellement dans un article du Nouvel Economiste d'avoir mis à la porte la moitié des salariés et qu'aucun n'ait gagné son procès aux prud'hommes.
Chez Greenpeace, les campagnes sont décidées au niveau international, au nom d'une sorte de « centralisme démocratique à la mode Staline ».
"


http://www.rue89.com/planete89/2011/03/21/...ecologie-195929

Quittons le domaine des spéculations, et penchons nous plutôt sur ce que Greenpeace a dit effectivement de ses conceptions et valeurs.

Premier point :

« Greenpeace est une organisation apolitique »

C'est donc par apolitisme que Greepeace se mêle de tout un tas de sujets de société, fait campagne, organise des actions coup de poings, interpelle les élus, et, ici, « va fortement s’impliquer dans le débat sur les politiques énergétique et climatique ». Et c'est aussi certainement par apolitisme que Greenpeace interroge et classe les candidats à la présidentielle.

Chez Greenpeace, on fait donc de la politique, mais de manière « apolitique ».

J'en profite pour signaler cet article du mensuel Lutte de Classes, publié par Lutte Ouvrière, qui expose le point de vue de camarades espagnols sur les réalisations du mouvement des Indignés, mais aussi sur certaines fortes limites de celui-ci, avec des manquements à la démocratie qui ont justement comme un rapport avec l'apolitisme affiché. Ce qui est vrai pour les Indignés (ou certains d'entre eux) est sans doute vrai pour Greenpeace aussi :

http://www.union-communiste.org/?FR-archp-show-2011-1-1480-6119-x.html

Bref, Greenpeace aime les oxymores et fait de la politique apolitique, un peu comme elle promeut sans doute par ailleurs une « agriculture naturelle »...

Greenpeace affiche pourtant bien des valeurs éthiques et en fait politiques, comme le montre cette explication de son rejet du FN (qui est plus détaillé et justifié que celui de LO, alors qu'on aurait pourtant pu penser qu'il allait plus de soi, mais faut croire que non...) :

« le Front National est en opposition totale avec des valeurs parmi les plus chères à Greenpeace, notamment le pacifisme et la non-violence. La « préférence nationale » prônée par le Front National est une forme de discrimination que Greenpeace récuse absolument ».

Donc, politiquement, Greenpeace c'est (au moins) : le pacificisme, la non-violence et le refus des discriminations (et donc de la préférence nationale). Je ne vais pas discuter ces 3 valeurs et leur pertinence (disons que je partage pleinement la 3e, mais pas les deux premières). Remarquons simplement que leur application pose d'énormes problèmes quant à la manière dont Greenpeace a exclu LO (et le FN) de son panel, tout en retenant tous les autres.

Ce serait donc le pacifisme et la non violence de Greenpeace qui la conduisent à rejeter une des très rares organisations qui s'est opposée à l'expédition coloniale de l'OTAN en Libye, et à par contre interroger tous ceux qui l'ont soutenue. J'imagine que c'est cela, le « pacifisme » moderne.


Ce serait donc son rejet principiel des discriminations qui conduirait Greenpeace l'apolitique à ne pas exclure de son enquête tous les expulseurs de sans-papiers, qu'ils soient de droite ou de gauche, mais à exclure LO qui est favorable à l'ouverture des frontières et à la libre-circulation.

On le voit : il est donc bien difficile d'avoir des valeurs et d'être apolitique en même temps, il y a comme un hiatus.


Accordons quand même à Greenpeace le bénéfice de la cohérence sur au moins un point : ils n'ont pas exclu de leur panel Christine Boutin l'homophobe anti-IVG, sans doute parce que leur approche réactionnaire de la bioéthique est finalement assez semblable à la sienne.

Yann KINDO

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