Comment expliquer à un étranger, partisan d'un système de retraite par capitalisation, l'intérêt d'un système par répartition ? Lorsqu'en plus l'étranger est bulgare, et parle de ses parents ayant une retraite de 100€ ou 200€ par mois parce que l'État socialiste a fait faillite, la tâche est un peu plus compliquée qu'au sein d'une réunion du Parti de Gauche, où il suffit de dire "solidarité" pour que tout le monde soit d'accord (sans qu'on sache nécessairement sur quoi), ce qui a l'avantage de perfectionner sa propre compréhension du problème.
La retraite par répartition est une arnaque pyramidale
Le principal argument fut que la retraite par répartition est une arnaque pyramidale dans le temps (Ponzi scheme, en anglais, du nom d'un célèbre vendeur de timbres postaux): on paye pour participer en espérant que ceux qui viendront participer plus tard paieront pour nous. La démographie des pays industralisés va rendre ce remboursement impossible car il n'y aura plus assez de nouveaux entrants, donc les régimes de retraites par répartitions feront faillite. Si cet argument fait souvent mouche, il n'en est pas moins à côté de la plaque.
Les fonds de retraite par capitalisation gardent rarement l'argent dans une forme complètement liquide. D'abord parce qu'il est impossible d'imprimer tous les billets qui suffiraient, et ensuite parce si quelqu'un veut partir à la retraite dans 30 ans, et qu'il est absolument sûr que l'État remboursera ses dettes dans les 30 années qui viennent, c'est beaucoup plus avantageux d'acheter tous les ans un titre de dette à 30 jusqu'à sa retraite. À partir du départ en retraite, tous les ans et pendant 30 ans, on recevra ce qu'on a cotisé avec 30 ans d'intérêts dessus. Pour illustrer ce raisonnement, la publicité du gouvernement Japonais pour l'achat de bons du trésor locaux (Japanese governement Bonds, JGB) est je pense assez parlante.
Par rapport à cette stratégie individuelle, les fonds de pension essayent d'optimiser les durées d'emprunts par rapport aux dates prévues de départ en retraite de cotisants, ou prennent des risques, soit en prêtant à des États ou des entreprises dont ils ne sont pas absolument sûr du remboursement, ou carrément en investissant dans des sociétés qui rapporteront à long terme plus que les taux proposés par les États. Leur stratégie est qu'en étant moins "liquides" ils gagneront plus d'argent, une fois leurs honoraires déduits, qu'avec la stratégie précédente. Donc, ils investissent les cotisations, ce qui suppose qu'ils espèrent trouver dans le futur une personne rachetant à un meilleur prix ce qu'ils ont payé. Cette personne est un État ou une entreprise dans le cas des obligations ou d'autres investisseurs pour les actions et les entreprises. Dans le cas des obligations, on en revient donc au mieux à la garantie de l'État, et on espère juste que les États tiendront plus leur parole vis-à-vis de riches capitalistes (les fonds de pensions) que vis-à-vis des travailleurs. Le calcul n'est pas très moral, mais n'est hélas pas forcément faux non plus.
En généralisant, l'investissement suppose qu'il y aura quelqu'un dans le futur pour racheter à un prix supérieur (ou a un prix fixé d'avance pour les obligations) ce dans quoi on a investi. Mais on se retrouve alors de nouveau avec un problème démographique : s'il y a plus de retraités et moins de nouveaux cotisants, les fonds de pension vont devoir vendre plus d'actif qu'il n'y a de personnes pouvant investir. Notre regard est biaisé par les 30 ou 40 dernières années, mais cela veut dire que la retraite par capitalisation ne va plus faire monter le prix des actifs (actions ou obligations) mais va avoir tendance à le faire baisser par la loi de l'offre et de la demande. De ce point de vue, les banques centrales qui ont cherché à regonfler le prix des actions et des obligations est presque une subvention aux fonds de pensions, en leur permettant de vendre à un bon prix alors qu'il n'y a plus d'acheteurs. De même, les campagnes pour faire passer de nouveaux pays aux retraites par capitalisations peuvent être vues comme cherchant à augmenter le nombre de participants au système financier pyramidal.
En conclusion, le système de retraite par répartition n'est pas plus une arnaque pyramidale que celui par capitalisation. Son principal défaut, aux yeux de certains en tout cas, c'est qu'il n'oblige pas à passer par des fonds de pension qui vont toucher leur 2+20 (2% des sommes placées, par an, et 20% des bénéfices de l'année), paye standard au moins pour les fonds américains. Un défaut secondaire est que le cotisant ne peut pas jouer à choisir LE fond qui va faire mieux que les autres (l'argument que j'ai utilisé est global, il n'empêche pas que certains fonds fassent beaucoup mieux tant que c'est compensé par d'autres qui font moins bien), ce qui peut être amusant pour certain, mais est une juste une manière supplémentaire de plumer les moins éduqués (à la finance) au profit des plus éduqués, mais sans bénéfice global.
Confiance en l'État
On vient de voir qu'il était critique, pour la retraite par capitalisation, de trouver un acheteur au moment où on en aura besoin. Avec une stratégie "japonaise", l'État se pose en acheteur garanti à un prix plancher, qui dépend du taux auquel le titre de dette a été acheté (et qui peut être inférieur au prix payé au départ). Le problème maintenant est de comparer cette garantie avec celle que donne l'État pour la retraite par capitalisation.
Premier point, et on a tendance à l'oublier car l'État en France n'a pas fait défaut depuis 1812, il arrive que les États (au sens large) fassent défaut, cf. le cas de la Grèce. Un exemple plus récent est celui du défaut de paiement de la ville de Détroit, au États-Unis, qui va entraîner une très forte réduction (en cours de négociation) des pensions des policiers et des pompiers. Sachant que beaucoup de villes et d'États sont au bord de l'implosion, et que les fonds de pension américains arrivent à prétendre avoir assez d'argent uniquement grâce à une comptabilité imaginative (en espérant un rendement net de 8%/an sur 30 ans, ce qui est un poil optimiste), ce risque est cependant très loin d'être négligeable.
Il faut donc comparer ce risque non-nul avec celui que l'État fasse défaut sur sa promesse de paiement d'une retraite par répartition. C'est là que ça devient intéressant, car cette question est politique et pas financière.
Première remarque, l'État français a fait défaut, et plusieurs fois, sur ses promesses. Pour être plus explicite, chaque renégociation des conditions de départ en retraite est un défaut partiel quand la situation devient moins bonne pour les salariés. Donc la question est moins celle de la possibilité d'un défaut que de celle de la situation qu'il y aura après ce défaut (i.e., le nouvel accord, ou dans le pire cas, rien du tout).
Fondamentalement, le système de retraite par répartition garantit qu'à tout moment, une proportion x de ce que gagnent tous les salariés sera reversée à tous les retraités. Tant que cette proportion est prévue comme étant (relativement) stable, le système est stable, car les cotisants actuels payent en sachant qu'à leur tour, ils auront à se partager cette même proportion x des revenus des salariés, ce qui globalement assure leur niveau de vie relatif par rapport aux autres français. Pour que la retraite par répartition soit durable, il suffit donc d'assurer aux cotisants actuels que les cotisants futurs auront aussi cette même proportion x des revenus à se partager, et que ces cotisants futurs, dans 20, 30, ou 40 ans, aient eux-même la certitude que dans 60 ans, 70, ou 80 ans, ils seront payés cette même proportion x qui leur assurera un niveau de vie suffisant lorsqu'ils seront à la retraite.
Finalement, l'opportunité d'adhérer ou non à un système de retraite par répartition est un «jeu» social : chaque citoyen regarde les coûts et bénéfices, et tente d'estimer ce que les autres joueurs vont estimer, en sachant que tant qu'il y a une majorité voulant adhérer au système par répartition, tout le monde est gagnant, mais si cette majorité devient une minorité, alors le système disparait à brève échéance, car ceux qui restent ne voudront certainement pas cotiser longtemps s'ils sont sûr de ne rien recevoir en échange. Dans la pratique, la question deviendrait : Pourquoi cotiser alors qu'on sait qu'on ne bénéficiera pas, ou très peu, de cette retraite ?
Pour l'instant, et probablement parce que les retraités sont toujours parmi les plus mobilisés pour aller voter, il n'y a pas de parti en France (honnêtement, je n'ai vérifié que sur le site du FN, qui était mon seul suspect sur le coup) qui prône la disparition de la retraite par répartition. Mais le «jeu» précédent montre qu'il faut faire attention, car les négociations sur les retraites ont trop souvent plus comme but de pérenniser les pensions actuelles (pour faire plaisir aux retraités votants) que de valoriser les pensions futures. Le gain à court terme pour le gouvernement est clair : il ne s'aliène pas les retraités, dont le vote est toujours indispensable. Mais les défauts successifs (ou renégociations) peuvent enclencher une dynamique du refus de la cotisation pour rien: dans un futur plus ou moins proche, il est possible qu'en quelques années (impossible de prévoir quand), les salariés décident dans leur immense majorité de sortir du système par répartition car il leur coûte beaucoup plus qu'il ne leur rapporte, et tant pis pour les pensionnés ce jour-là (j'imagine que l'État continuera de payer un minimum-vieillesse
dérisoire).
Conclusion
Finalement, je ne suis pas arrivé à la conclusion désirée, mais ça arrive parfois. Tout en étant convaincu que le système par répartition
assure mieux ce que doit être une retraite (un niveau de vie sûr plutôt qu'un capital risqué), j'ai aussi fini par me convaincre qu'il y avait un «risque» supplémentaire pour la retraite par répartition, qui n'existe pas pour la retraite par capitalisation, et qu'on pourrait résumer en une vampirisation des bénéfices par les retraités présents : en faisant cotiser les salariés plus qu'ils ne recevront à leur retraite, il existe un risque de désaffection pour le système de retraite par répartition, qui peut faire perdre toutes les pensions aussi sûrement qu'un Krach boursier. À suivre, donc...