"Vous avez soutenu l'intervention militaire en Irak, en 2003, qui divisait profondément l'Europe. Le regrettez-vous maintenant?
J'ai toujours partagé la même opinion au sujet de la guerre en Irak: l'homme ne peut pas être indifférent aux crimes qui s'accomplissent autour de lui ni rester passif. La vie d'un être humain représente une valeur plus importante que la souveraineté d'un Etat; c'est mon point de vue. Cela veut dire qu'on a le droit d'intervenir par la force là où s'accomplissent des crimes de masse, où le mal opprime les peuples. Mais il faut toujours bien peser ses choix avant d'agir. En l'occurrence, il fallait bénéficier d'un appui international, mobiliser les milliers d'experts dont disposait le gouvernement américain afin d'évaluer les suites d'une intervention éventuelle. Je l'ai toujours dit, y compris au président Bush, avant le début de l'intervention. Tout cela n'a pas été fait, ou mal fait dans le cas de l'Irak" (Saint Vaclav Havel, ici).

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Vaclav Havel est mort hier et depuis, les louanges unanimes n'ont cessé de fuser. Sans doute l'homme eut-il un certain courage mais après tout, sous le nazisme en Allemagne, il y eut quelques futurs apparatchiks zélés de feu la RDA qui n'en manquèrent pas non plus, de courage. Mais à ces gens-là, hélas, l'unanimisme béat capitalo-parlementaire n'a pas jugé bon de rendre hommage. Il était sans doute pourtant plus dangereux d'être communiste sous Hitler que dissident dans le camp "socialiste" (à moins de penser que nazisme et stalinisme sont des totalitarismes qui se valent bien) mais non, rien. Lorsque Henri Krasucki est mort, ce fut la même chose. Rien non plus - ou presque - alors que l'ancien chef de la CGT, déporté à Auschwitz, résistant et homme de conviction avait lui aussi un idéal. L'idéal de l'égalité et de la justice entre tous, l'idéal du communisme.
Ah mais Krasucki, oui, d'accord mais il a mal fini. Il était avec Marchais, au PC. Il a soutenu le coup d'Etat de Jaruzelski en Pologne en décembre 1981 et il était le chef de la CGT. Tout cela, du reste, est vrai mais après tout, que l'enfant d'immigrés juifs polonais puisse en vouloir à sa patrie d'origine, il est aisé de le comprendre : il n'y a qu'à voir Shoah de Lanzmann. Sur l'ensemble de sa vie, Henri Krasucki force le respect en dépit même des désaccords possibles et justifiés qu'on pourrait avoir avec lui. Il fut un héros de la classe ouvrière - mais du mauvais côté de l'Histoire qui, comme on sait, est toujours écrite par les vainqueurs.
Ce sont donc les vainqueurs de l'après Guerre froide qui imposent aujourd'hui une louange unanime à l'endroit de Vaclav Havel. Gare à celles et ceux qui seront dans la dissonance ! (On est toujours le dissident de quelqu'un). Vaclav Havel a combattu "le communisme" (terme entre guillemets parce que le mot communisme appliqué au brejnevisme ne tombe pas sous le sens) et c'est ce qui lui vaut tant d'honneurs. Après tout, pourquoi pas ? Le problème, c'est la suite, l'après 1989 et le ralliement d'un grand nombre de ces dissidents au Nouvel ordre mondial de Bush père.
De tout cela, pourtant, il n'est nulle part fait mention et la médiacratie réussit le coup de maître de célébrer un dissident... absolument homogène au monde tel qu'il va depuis 20 ans ! Au-delà de la preuve qu'il manque à tous ces gens un ennemi politique d'envergure et que cela leur est source d'angoisse, qu'il ne puisse être rappelé que M. Havel, s'il se souciait de la "liberté" pour l'Europe, approuva le bombardement épouvantable de Fallouja et plus généralement la guerre en Irak est tout simplement honteux. Ce n'est pas le combattant - même supposé - de la liberté que saluent nos intellectuels à la botte et nos journalistes démocratiques, c'est l'anticommuniste.
De ce point de vue-là, la meute capitalo-parlementaire se saisit de la mort de Havel à des fins évidentes : rappeler à chacun ce que fut l'URSS pour justifier, une fois de plus - et comme s'y est livré l'inénarrable Glucksmann ce matin sur Inter - le monde occidental capitaliste tel qu'il va, c'est à dire libre comme le renard dans le poulailler. Comme ce monde-là est à bout de souffle et qu'il mène l'humanité à l'abîme, il est bon pour lui de réactiver ses saints en les sortant du formol pro-US dans lequel il se sont endormis : Havel est de ceux-là. C'est aussi pour cela que sur lui pleuvent des louanges - mais pas sur Krasucki...
Que l'URSS soit tombée il y a 20 ans est à la fois une catastrophe et une bonne chose. Daniel Bensaïd disait de la chute du Mur qu'elle donnait envie de boire une coupe de champagne pour, aussitôt après, prendre un alka-seltzer. Les thuriféraires de Havel - ou de Walesa - se limiteront, eux, au champagne. Qu'un socialisme régénéré, authentique puisse voir le jour est pour eux un pur cauchemar. Seul le capitalisme est compatible avec la démocratie. Reagan, Havel et Thatcher nous l'ont bien dit, à nous, à vous, pauvres idéalistes. L'inégalité, c'est le propre de l'homme.
Il faut d'ailleurs le répéter car, figurez-vous, il y a d'anciens opposants au brejnevisme qui considèrent, 20 ans après, que le compte n'y est pas. Je pense à des ouvriers de Solidarnosc dont plus personne ne se soucie désormais mais aussi à des manifestants de l'ex-Allemagne de l'Est qui, en 2004, manifestèrent contre le plan Harz IV du social-démocrate Schröder. L'un d'eux m'avait d'ailleurs dit à l'époque : "En 89, on intéressait les médias parce qu'on était antisoviétiques mais maintenant, ils n'en ont plus rien à f... de nous".
Ce sont ces indifférents-là qui s'émeuvent unanimement aujourd'hui en célèbrant le monde tel qu'il va.