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Billet de blog 4 juin 2015

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« La lutte des classes n'est pas républicaine »

Au Congrès des Républicains, Nicolas Sarkozy a tapé une fois de plus sur les assistés, victimes des politiques néolibérales dont il est un digne représentant. François Fillon, qui n'a pas parlé d'assistanat, a tenu à préciser que « la lutte des classes n'est pas républicaine ». Et l'Ifrap a encore frappé.

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Au Congrès des Républicains, Nicolas Sarkozy a tapé une fois de plus sur les assistés, victimes des politiques néolibérales dont il est un digne représentant. François Fillon, qui n'a pas parlé d'assistanat, a tenu à préciser que « la lutte des classes n'est pas républicaine ». Et l'Ifrap a encore frappé.

 Comme il fallait s'y attendre, non seulement Nicolas Sarkozy nous a annoncé au congrès de la Villette qu'Eric Woerth était "un très honnête homme et un républicain", mais il a aussi déclaré, prenant à témoin son "cher Laurent" (Wauquiez), que dans sa République "le travail ne sera pas moins payé que l'assistanat". C'est-à-dire que devant les militants, mais aussi devant le pays tout entier, il colporte une accusation infâme, qui ne correspond à aucune réalité et qui fut même démentie, sous son règne, par le ministère de Roselyne Bachelot, preuves à l'appui. ATD et Rue89 ont également démontré l'inanité de cette suspicion.

Ce n'est donc qu'une insulte supplémentaire à l'encontre des plus démunis de ce pays, victimes des politiques néo-libérales, dont M. Sarkozy est le digne représentant avec d'autres. Il s'en est pris violemment aux "socialistes" au pouvoir, sans trop que l'on sache pourquoi, comme si la politique économique en vigueur aujourd'hui avait une différence fondamentale avec celle qu'il a menée auparavant.

De son côté, Alain Juppé, sous les sifflets, a prononcé un discours dans lequel il n'a pas utilisé ce thème de l'assistanat. Sachant qu'il s'adresse davantage aux Français en général qu'aux militants ex-UMP, cela pourrait signifier que le discours anti-assistanat est surtout destiné à ratisser la droite de la droite et l'extrême-droite (FN).

François Fillon, bien que hué et traité de traître par des sarkozystes, a tenu un discours qui a peu été diffusé. Je l'ai écouté sur son site : il ne se démonte pas, hurle presque sa déclamation, et prononce un discours bien plus fort que celui de Nicolas Sarkozy, au point qu'il est acclamé en milieu de parcours et surtout à la fin. Passons sur le fait qu'il fait démarrer les "30 glorieuses" à 1958, arrivée du général De Gaulle, son attaque sur les assistés est plus léchée : il dit s'adresser à "ceux qui n'attendent pas le dernier mois de leur allocation pour aller chercher du travail", mais enchaîne aussitôt, pour faire une sorte d'équilibre, sur "ceux qui n'empochent pas leur parachute doré lorsque leur bilan ne le mérite pas". Il en appelle aussi à "la fraternité, l'oubliée de notre devise".

Il brocarde "les voyous et les intégristes" des cités, et fait dans le lyrique : "Est-ce ainsi que les hommes vivent ?". Ayant ainsi convoqué Aragon, sans le nommer, il proclame tout de go : "la lutte des classes n'est pas républicaine" ! Feignant d'ignorer que la lutte des classes c'est d'abord le constat d'une lutte incontestable d'intérêts entre classes sociales dans notre société, il confie que ce qui l'insupporte c'est que l'on puisse considérer qu'"un peuple de gauche est dressé contre un peuple de droite" ! Un seul peuple, un seul...

"Aide sociale ou assistanat"

Suite à la mise en place d'une prime d'activité, fin avril, une émission de C dans l'air, sur France 5, avait pour titre : "aide sociale ou assistanat". Finalement, il s'agissait surtout de discuter pour savoir si aider des salariés aux bas salaires (y compris des jeunes pour leur premier emploi) n'était pas de l'assistanat. Les participants, la fine fleur du libéralisme, admettaient tous que cela étaient une sorte d'impôt négatif qu'ils approuvaient. Si certains propos sont entendables (sur le soutien nécessaire à l'apprentissage), on a eu droit aux saillies habituelles d'Agnès Verdier-Molinié, de l'Ifrap, et de Michel Godet, aux oraisons de Bernard Vivier. Quant à Elie Cohen, qui apparemment a été consulté sur cette prime d'activité, il défendait cette incitation, rappelant qu'elle existe dans d'autres pays, et que ce n'est pas une mesure "bolchevique" (donc ce n'est toujours pas la lutte des classes).

Michel Godet constatait que "le RSA n'a pas marché" et en concluait, irresponsable, qu'on allait l'arrêter (sans doute ne voulait-il parler que du RSA activité, mais il n'a pas été clair pour bien foutre la trouille à ceux qui survivent avec cette allocation). De même, il prétendait qu'il n'y a pas de problème de logement... dans la Creuse ! Et aussi que, pour obtenir un crédit-auto à La Réunion, il suffit de dire qu'on a le RSA. Et qu'il y avait 400 000 emplois non-pourvus en France (voir sur Alternatives Economiques l'inanité de cette assertion). Et d'enfiler les perles l'une après l'autre. Pour être bien en phase avec cette émission qui ne se prive pas d'insulter régulièrement les fonctionnaires, il dénonçait les emplois d'avenir parce que "vous les mettez dans des collectivités territoriales avec autour des gens qui ne foutent rien, et qui ont 26 jours d'absentéisme".

Elie Cohen et Bernard Vivier, "Le plus simple serait qu'on puisse vivre de son travail", dit un Sms [capture d'écran France 5]

Réjouissons-nous du fait que ces privilégiés, reclus dans leur tour d'ivoire (qui ont le culot d'affirmer d'une même voix que le Smic est trop élevé), ont tout de même reconnu que les 7 heures de travail obligatoire pour les gens au RSA socle (que Nicolas Sarkozy exige dans les Départements UMP) c'est de la démagogie, une "punition" a même dit Godet, une mesure contre-productive puisqu'elle précarise ceux qui ont un emploi, a dit Cohen. Ce dernier, bien que néolibéral sans complexe, a défendu le principe de revenu de "survie", et reproché à certains responsables politiques de dénoncer l'assistanat uniquement pour en faire un "thème conflictuel". Donc par tactique électorale.

Mais Agnès Verdier-Molinié a poursuivi, elle, sa désinformation sur les questions sociales. D'abord en disant que le non-recours ne concerne que le RSA activité (68 %) alors qu'il affecte aussi le RSA socle (35 %). Mais l'admettre ferait tomber tout son discours de mépris à l'égard des "assistés" qui viennent quémander leur dû, comme elle s'en offusque dans son dernier livre. Elle a prétendu par ailleurs que les bénéficiaires du RSA socle ne sont pas suivis, du coup ils vont tranquillement travailler au noir (Michel Godet l'approuvant et estimant qu'il faut "avoir le courage" de le dire). Mais surtout, elle n'a cessé de répéter que les montants cumulés des aides sociales que perçoivent les assistés ne sont pas plafonnés, on n'en connaît pas le montant, dit-elle, mais elle sait que c'est énorme, et qu'il faudrait les fiscaliser ! Il faudrait même les fusionner. A aucun moment elle ne dit que le RSA est une allocation différentielle (c'est-à-dire qu'elle est réduite d'autant, en fonction des ressources). Ce qui est vrai d'autres aides sociales, comme l'Allocation de solidarité aux personnes âgées, l'ASPA, par exemple (1). Ce n'est pas une allocation fixe, même si un barème permet d'en évaluer le montant maximum. Je crains que ce ne soit même pas volontaire chez elle, il possible qu'elle ne le sait pas. Comme à l'accoutumé, elle a fini l'émission en montrant ostensiblement son livre On va dans le mur... au grand dam de ses collègues, auteurs aussi d'ouvrages, mais qui n'ont pas cette impudeur.

Étrangement, alors que les Sms envoyés pendant l'émission, en direct, semblent souvent bien choisis pour satisfaire les libéraux qui se pavanent en général dans cette émission, plus que manipulée (au point qu'il est vraisemblable que certains Sms sont fabriqués par les organisateurs de l'émission, Maximal Productions, filiale du groupe Lagardère), voilà qu'on a pu lire ce Sms avec invitation à le commenter :

"Assistanat, assistanat, prenez garde à la vengeance des pauvres ainsi insultés !"

La vengeance, oui, serait nécessaire. Mais il faudrait déjà que toutes les forces progressistes dans ce pays se liguent contre cette agression permanente à l'encontre de ceux qui galèrent. J'ai le sentiment que d'autres combats sont considérés comme nettement prioritaires, alors que cet affichage sans complexe d'un mépris revendiqué à l'encontre des victimes de la crise économique et financière devrait être infatigablement dénoncé. Les montrer du doigt, les humilier, au lieu de leur tendre la main ! On ne devrait laisser quiconque, homme ou femme politique, journaliste, prétendu expert, se servir de cette thématique pour alimenter une idéologie libérale qui vise à restreindre les dépenses publiques à n'importe quel prix.

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(1) Michel Godet a dit que les agriculteurs touchaient des pensions de retraite de 600 €, inférieures au minimum vieillesse, qui est de 800 € tout rond pour une personne (rumeur fort répandue, à laquelle il est en général ajouté que les étrangers, eux, ont droit à l'ASPA sans jamais avoir travaillé en France ni cotisé). Notre spécialiste de la Prospective oublie de préciser que ces agriculteurs ont droit à l'ASPA, à partir de 65 ans, et que, cas exceptionnel, pour les agriculteurs, il n'y aura pas de recours sur succession (quant aux étrangers, ils doivent avoir un titre de séjour depuis 10 ans, exigence qui date de 1998, mais une kyrielle de ténors de droite et d'extrême-droite, sans parler des trolls sur Internet, prétendent que ce droit pour les étrangers est ouvert dès leur entrée sur le territoire).

De son côté, Agnès Verdier-Molinié a une fois de plus affirmé que les retraites du secteur public sont payées par l'impôt. Les fonctionnaires, qui cotisent pour leur retraite, apprécieront. Certes, le déficit est pris en charge par le budget de l'Etat, donc accroît la dette publique, mais il en de même pour le déficit de la Sécurité sociale (dont la caisse de retraite du secteur privé)

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Fiche technique : la prime d'activité, qui remplace la prime pour l'emploi et le RSA activité, devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2016 (ce n'est pour le moment qu'un projet de loi). Elle prévoit un complément de ressources à tout salarié âgé de plus de 18 ans : 185 € pour 1/4 Smic, 246 € pour 1/2 Smic, 188 € pour 3/4 Smic, 132 € pour un temps plein. Gestion : CAF. Etudiants qui travaillent et apprentis : rémunération portée à 0,8 Smic, soit 900 €.

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 "Assistanat, assistanat, prenez garde à la vengeance des pauvres ainsi insultés !"

C'est suite à ce Sms, que Michel Godet, Bernard Vivier, Elie Cohen ont tenu des propos à peu près corrects sur cette question de l'assistanat, comme si cette phrase avait fait choc. J'ai bu du petit lait en lisant cette phrase, mais je jure que je n'en suis pas l'auteur, ne regardant jamais l'émission en direct, et ayant visualisé celle-là plus tard, sur YouTube *.

* https://www.youtube.com/watch?v=y8OmQuIJQqY

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Dans le n° de mai 2015 du Journal de l'Action Sociale et du Développement Social, je signe un article intitulé Les "assistés" : appel au résistanat.

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"Bibliothèques vivantes", festival Le vent se lève, Toulouse, 23 mai [Photos YF]

Le vent se lève...

Dans le cadre du Festival Le vent se lève à Toulouse le 23 mai, dans les anciens locaux JOB, une "conférence gesticulée" (sorte de sketch drôle et documenté) était consacrée au RSA. J'y reviendrai peut-être. Mais la "conférencière", Leïla, finit sa démonstration par une chanson sur l'air de La mauvaise réputation de Brassens :

"A la CAF sans prétention,

J'ai mauvaise réputation,

Quand je viens demander mes droits,

Je passe pour un je ne sais quoi.

(...)

Femmes, pauvres, étrangers,

Tous méprisés dans le même panier,

RSA et assistanat,

Mais de l'emploi il n'y en a pas.

Je ne fais pourtant de tort à personne,

En recevant le peu qu'on me donne,

Mais les gens n'aiment pas que

L'on suive une autre route qu'eux..."

[extraits]

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Voir sur Mediapart : "Pôle emploi, ne quittez pas!"

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"Non-assistance à enfants en danger", c'est sous ce titre que L'Humanité consacre un grand article le 4 juin sur les écoliers qui vivent dans des conditions de grande pauvreté. Jean-Paul Delahaye, auteur d'un raport sur le sujet, est interviewé : "faire réussir tous les élèves ne nuira pas aux meilleurs".   

En France, un enfant sur dix vit dans une famille pauvre. Une réalité 
qui n’est pas suffisamment prise en compte par le système scolaire. [site humanite.fr]

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Fraudes sociales sur France 2

France 2 a plusieurs fois ces derniers temps consacré un reportage sur les fraudes sociales, les abus, les non-recherches d'emploi. Chaque fois, le sujet est lancé avec sa promesse de scandales dénoncés : finalement, au cours du sujet, un intervenant, interviewé, précise que les abus n'augmentent pas, mais c'est la détection qui est plus efficace. Ce fut le cas avec Pôle emploi, en mai, c'est le cas avec la CAF le 1er juin. Mais le mal est fait, et c'est sans doute le but.

David Pujadas, le 3 juin, dans son journal, évoque les jeunes d'aujourd'hui "endettés dès la naissance". Cette phrase est d'une bêtise monstrueuse, mais ça passe, et fait son petit chemin dans les esprits. Et bêtise pour bêtise, embrassons-nous Folleville : le grand économiste François Lenglet révélait le même jour que les inégalités s'accroissaient dans notre cher pays parce que les mariages avaient lieu désormais dans la même classe sociale. Ce qui n'était pas le cas, selon lui, jadis, il y avait du mélange ce qui avait pour effet de réduire les inégalités. Au secours, François Fillion, la lutte des classes sociales revient !

Billet n°202 

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 Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr

@YvesFaucoup

  [Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Voir présentation dans billet n°100. L’ensemble des billets est consultable en cliquant sur le nom du blog, en titre ou ici : Social en question. Par ailleurs, tous les articles sont recensés, avec sommaires, dans le billet n°200]

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