Entretien avec Aarón Fernández, réalisateur du film Palma Real Motel
Dans les salles de cinéma à partir du 23 juillet 2014.

L’atmosphère de ton film apparaît autant dans les lieux qu’elle s’incarne dans le visage des personnages. Peux-tu parler du travail réalisé avec les comédiens ?
Aarón Fernández : Les acteurs mexicains ont pour une grande partie souvent tendance à surjouer leur rôle, avec une telle expressivité qu’ils tombent parfois dans la caricature. Ils avaient pour le film comme consigne de développer une interprétation basée sur l’introspection. Aussi, les deux acteurs principaux ont été très surpris de ce choix de mise en scène. Tout d’abord, je cherche auprès de mes acteurs une présence suffisamment expressive. Je leur ai demandé de faire le minimum : leurs déplacements étaient des plus simples et il suffisait juste de placer le regard au bon endroit. En particulier, j’ai expliqué à Krystian Ferrer que 80 % de son interprétation se trouvait dans son regard. Mais en même temps, il s’agissait de ne pas étouffer l’émotion. Krystian a très vite compris et accepté ma démarche. Ce sont ces petits gestes, ces petits détails qui caractérisent le film.

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Les personnages s’intègrent parfaitement aux lieux, les couleurs de leurs vêtement répondant ainsi au décor. Comment as-tu composé ce lien entre personnages et décors ?
A. F. : C’est en effet aussi un film sur l’espace à travers une description de ce lieu. Le défi consistait à montrer l’hôtel et la réception sous un angle différent. J’avais ainsi en tête l’idée de travailler sur les cadres dans le cadre qui donne une sensation picturale en même temps que la sensation d’un rapport intérieur/extérieur. J’ai tenu à travailler en 35 mm, format qui permet davantage le travail des cadres dans le cadre. Ceci faisant plus partie du processus de narration et que traduisant seulement un souci esthétique, il fallait que ces lieux soient vivants. On a joué sur la palette des couleurs pour créer cette ambiance. Pour le film, nous avons dû repeindre les murs. Seule la couleur des rideaux a été maintenue. Nous avons un peu modifié l’espace de réception. C’était finalement un peu comme si nous travaillions en studio. Les couleurs avaient également un sens au niveau narratif puisque je voulais connaître à travers le film la sensation du temps en développant des situations qui permettaient d’avoir ces sensations-là. Ainsi Krystian est amené à repeindre un mur complètement délabré : ceci conduit à la fois à marquer la temporalité et à traduire des choix esthétiques. Mais je ne voulais pas non plus tomber dans le travers esthétique du « film peinture ».

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Ton film traduit également un art du contrepoint, au sens où tu inverses les rôles attendus : de la femme libre qui est « un marin qui a une aventure dans chaque port » au film lui-même qui joue avec les genres et les attentes du public (y a-t-il ou non des fantômes) ?
A. F. : Il est pour moi inévitable de procéder ainsi, puisque l’on ne peut pas faire un film comme s’il n’y en avait pas d’autres qui le précèdent. Ainsi, les cinéastes en général prennent en compte dans leur écriture l’histoire du cinéma dans laquelle vient s’inscrire leur film. On vit actuellement dans une consommation d’histoires à travers les images qui peut nourrir un dialogue très riche avec le spectateur. À travers le retour du public, j’ai déjà pu voir que la tension pouvait marcher sans montrer aucune violence. Évidemment il y a toute cette charge que possèdent les hôtels de passe et qui pourraient faire d’eux des maisons hantées. Je n’avais pas voulu trop développer cet aspect car cela ne m’intéressait pas mais j’en ai tenu compte dans ma mise en scène. C’est drôle car au moment de faire mon film j’ai eu l’opportunité de voir plusieurs films dont l’action se situe dans des hôtels : Shining de Stanley Kubrick, Hostel de Jessica Hausner. Je joue sur les ambiances avec l’objet d’une peur qu’on ne voit pas.
Au sujet de la place du personnage féminin dans le récit, c’était presqu’un manifeste de ma part de montrer une femme libre, moderne qui travaille et qui n’entre pas dans les canons de beauté actuelle. Elle a un aspect « très mexicain », telle une Dolorès del Rio moderne. C’est un type de visage qu’on voit peu au cinéma et encore moins à la télévision, ou bien dans des rôles de subalternes ou de criminels. Cette sorte de stigmatisation des physiques au Mexique à la télévision est épouvantable. Il y avait donc bien un désir de créer un personnage en contre-emploi : une femme autonome de la classe moyenne, qui est ferme dans son travail et en même temps une femme libre qui vit sa sexualité sans aucun complexe. Cela ne l’empêche pas de se laisser trahir par ses propres sentiments.
Propos recueillis à Pézenas en mars 2014, lors de la 52e Rencontre cinéma.

Palma Real Motel
Las Horas muertas
de Aarón Fernández
Fiction
100 minutes. Mexique – France, 2013.
Couleur
Langue originale : espagnol
Avec : Kristyan Ferrer (Sebastián), Adriana Paz (Miranda), Eliseo Lara Martínez (Jacinto), Fermín Martínez (l’oncle Gerry), Bartolo Campos (Severino), Rebeca Villacorte (Lucha), Norma Pablo (María), Amaranta Abril (Rosa), Sergio Lasgón (Mario), Mayra Batalla (la mère de Jacinto)
Scénario : Aarón Fernández
Images : Javier Morón
Montage : Ana Laura Calderón
Musique : Camilo Froideval
Son : Pablo Tamez
Décors : Patricia De Burgos
Costumes : Laura García De La Mora
Casting : Rocío Belmont
Production : Santa Lucía Cine (Mexique)
Coproduction : Tita Productions (France)
Producteur : Aarón Fernández
Coproducteurs : Christophe Bouffil, Fred Prémel, Alejandro Palma
Productrice exécutive : Elsa Reyes
Distributeur (France) : Urban Distribution