Marine Le Pen est sur le point de gagner son pari: «S'ils (le président et son parti) continuent comme cela, je ferai 25 % aux présidentielles.»
Etrange "avertissement" de sa part, mais hélas non dénué de véracité !
On peut s'interroger sur les raisons qui ont poussé le chef de l'Etat, en campagne pour sa réélection, à adopter pour l'essentiel le discours de

l'extrême droite, axé sur la peur ("N'ayez pas peur, je suis là"), la "sécurité", la méfiance à l'égard de tous ceux qui ne sont pas "de souche" voire leur rejet, "l'identité" nationale et maintenant une "laïcité" dévoyée de son sens. L'une des hypothèses explicatives plausibles est qu'il entend ainsi préparer non le premier mais bien le second tour des élections présidentielles en "choisissant" le seul candidat qu'il pense être sûr de battre dans le duel final et qu'à cette fin il a décidé de favoriser la montée de Marine Le Pen en calquant ses propos sur les siens. L'hypothèse alternative, moins vraisemblable mais qu'on ne peut exclure, serait celle d'une quête de voix pour le premier tour par grignotage de celles de l'extrême droite. Cependant, quoi qu'il en soit, la situation actuelle est claire : à jouer ainsi avec le feu on risque fortement de se brûler et le camp aujourd'hui majoritaire commence à en prendre cruellement conscience.
Que peut faire dès lors la gauche ? Le discours de cette dernière doit impérativement s'infléchir, et vite ! C'est très bien de mettre prioritairement l'accent sur la résorption des insupportables inégalités sociales. Toutefois nos concitoyens, tous les sondages le confirment, ne sont hélas pas convaincus que la gauche ferait beaucoup mieux que la droite à cet égard. A tort sans doute, mais c'est ce que majoritairement ils pensent et il serait sage d'en tenir compte en n'axant pas tout le discours sur cette seule lutte. C'est très bien aussi de dénoncer avec vigueur les propos délétères de l'extrême droite et de ses complaisants suiveurs. Mais nos concitoyens ne se contentent plus d'une dénonciation : ils veulent des propositions alternatives crédibles.
"ACCOMMODEMENTS RAISONNABLES"
Comme bien d'autres pays, nous devons affronter avec courage et franchise les difficultés qui résultent de la présence sur un même territoire de peuples et de cultures n'ayant ni la même histoire, ni la même mémoire, ni nécessairement exactement les mêmes valeurs. Une nouvelle étape du renouvellement des pratiques démocratiques passe par l'acceptation formelle d'un certain niveau de conflictualité culturelle au sein de la société civile. Et il est urgent de montrer qu'on peut dépasser ces conflits en énonçant des propositions explicites pour les gérer, sous la forme de ce que les Québécois appellent sagement des "accommodements raisonnables", temporaires et évolutifs. Une règle et une seule s'impose à ce propos, qui est en fait la règle d'or de toute démocratie et qu'on peut appeler principe de réciprocité : "J'accepte de te reconnaître pour ce que tu es pour autant que tu acceptes de me reconnaître pour ce que je suis."
N'est-il pas grand temps que toutes les gauches se mettent d'accord pour faire front, ensemble, sur cette base, sans renoncer le moins du monde à leur combat essentiel contre les ravages de la toute-puissance de l'argent ? Faute de quoi nous risquons fort de nous retrouver devant un impossible choix au second tour des présidentielles de 2012.
Diasporiques/Cultures en mouvement est une revue trimestrielle interculturelle co-éditée avec la Ligue de l'enseignement.
Eric Favey et Philippe Lazar, co-rédacteurs en chef de la revue Diasporiques/Cultures en mouvement