Un titre en clin d’œil à Tocqueville et à la Fontaine pour la réflexion que m’inspire l’excellent article de Laurent Mauduit :Quand Nicolas le Petit taille en pièces le droit social, , et les commentaires qu’il a suscité, dont en particulier
Ce qui est peut-être le plus choquant dans cette histoire, c'est que personne ne semble vraiment s'en indigner. (Jeremie Z)
Mais faut-il personnaliser, s'en prendre à tel ou tel, parler de trahisons ?
Ou bien sommes nous en face, et dans un système, ancré dans les habitudes, moeurs, qui fait que tout candidat à la carrière politique s'y adapte, au bout du compte ?
Il me semble que c'est cette discussion là qu'ouvrait l'approche historique de l'article de Laurent Mauduit. (Depuis la parution de cet article j'ai en tête la phrase : les grenouilles qui demandent un roi... je voudrais m'en débarrasser donc je l'écris - je n'ai rien contre les grenouilles, mais je voudrais qu'on trouve comment muter...) (Fantie B)
Moi aussi, chère Fantie B, cette fable me trotte dans la tête depuis un certain temps. Je l’ai retrouvée, en voici le début et la chute :
Les grenouilles, se lassant
De l’état démocratique
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin* les soumit au pouvoir monarchique
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique
Or c’était un Soliveau
……………………..
Jupin* en a bientôt la cervelle rompue
« Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue »
Le Monarque des Dieux leur envoie une grue
Qui les croque, qui les tue
Qui les gobe à son plaisir
Et Grenouilles de se plaindre
Et Jupin de leur dire « eh quoi ? Votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous auriez dû, premièrement
Garder votre gouvernement
Mais ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fût débonnaire et doux
De celui-ci contentez-vous
De peur d’en rencontrer un pire
*Jupin=Jupiter
Le bon La Fontaine devait avoir un courage ingénu pour opposer dans une fable l’état démocratique à la monarchie absolue prônée par les thuriféraires de l’Académie (de Richelieu) et de la Cour du Roi Soleil. (Ne pas oublier les majuscules SVP)
C’est de cette époque que date l’orientation de l’opinion française par la classe politique dominante en faveur d’un pouvoir central fort, monocratique pour reprendre le mot de Robert Badinter. Elle n’a jamais cessé depuis, au nom de l’unité et de la grandeur nationale. J’y vois la raison du système ancré dans les mœurs dont parle Fantie B : Avant tout, prendre et s’accrocher au Pouvoir royal, impérial ou présidentiel comme seul moyen de « bien » gouverner la nation. Nicolas le Petit n’est que le produit le plus caricatural de ce système.
Pour marquer la différence entre la monarchie et la monocratie, imaginons que Nicolas le Petit obtienne le droit de s’exprimer devant le Parlement. Devra-t-il faire frapperà la porte par son chambellan (Guiano ?) puis, si on le laisse entrer, s’installer à la tribune pour lire le programme de gouvernement rédigé par François Fillon ?Inimaginable, n’est il pas ? C’est pourtant le cérémonial auquel se plie la Reine d’Angleterre, respectueuse des droits du Parlement. Au moins sur ce point, la monarchie britannique est plus démocratique que notre Cinquième République.
C’est la même pensée monocratique qui explique l’incapacité de la classe politique française dans son ensemble à envisager l’Union Européenne autrement que comme une structure pyramidale dispensant les bienfaits des idées françaises … du Siècle des Lumières et de la Révolution. N’en déplaise à nos historiens, nos voisins européens n’ont pas perçu l’épopée napoléonienne de la même façon qu'on nous l'a enseignée.
Le bon La Fontaine sera-t-il compris un jour ? Peut-être, quand nous aurons prouvé à nos voisins que nous sommes des grenouilles comme les autres, et pas seulement des « froggies ».
Claude BASTIAN