Doit-on remettre en question l'autorité ? Cette dernière est-elle un acquis naturel ou une position à conquérir ? Mardi 06 septembre 2011 - quelques jours après la rencontre organisée par la CGPME 21* -, l'université d'été nationale du Mouvement des entreprises de France (Medef) faisait escale à Dijon pour une journée d'ateliers philosophiques. Objectif ? Pas question de parler d'entreprise au sens strict ! Mais plutôt d'élever le débat pour nourrir la réflexion des dirigeants. Au programme de cette journée figurait notamment une table-ronde consacrée à l'autorité, réunissant le philosophe Luc Ferry, Éric de Montgolfier, procureur de Nice, Brahim Asloum, champion de boxe, Bruno Dary, gouverneur militaire de Paris, et François Auger, psychanalyste... Extraits choisis.

"On distingue traditionnellement le pouvoir et l'autorité. Le pouvoir est une force que l'on exerce sur les autres. Il existe notamment dans l'entreprise, où le patron peut renvoyer l'un de ses salariés : c'est un vrai pouvoir, celui de faire obéir les autres. L'autorité, quant à elle, est quelque chose qui n'est pas simplement de l'ordre de la force mais bien de la légitimité. Pour avoir une vraie autorité, il faut qu'elle soit admise par l'autre. Vous pouvez faire obéir quelqu'un de force mais vous ne pouvez pas avoir d'autorité sur les autres de force.
Il faut gagner l'autorité. Selon moi, ce n'est pas la compétence qui donne l'autorité : nous avons tous eu des profs incroyablement compétents qui étaient sans cesse chahutés. A mon sens, si vous voulez avoir de l'autorité sur les autres et si vous n'avez pas la chance d'être doté d'un pouvoir, comme dans une entreprise, il faut deux éléments : avoir vaincu en soi les peurs - moins vous aurez peur et plus vous aurez d'autorité ; et être en accord avec soi-même, c'est-à-dire que votre oui soit un oui et que votre non soit un non, tout en sachant pourquoi. L'autorité ne négocie pas".
- Éric de Montgolfier, procureur de la République de Nice
"Dans des temps très anciens il m'est arrivé de garder des troupeaux de vaches et c'est vrai qu'il y en a toujours une pour conduire le troupeau. C'est vrai également pour les moutons et, d'une manière générale, dans le règne animal. Il y a souvent, dans un troupeau, quelqu'un qui prend naturellement la tête du troupeau. Chez l'homme, je crois que si nous laissions faire la nature, on trouverait à peu près la même chose. L'autorité, c'est d'abord un ascendant sur les autres. Ce n'est pas juste des galons. Je trouve que l'autorité conquise par la stature de celui qui l'incarne est nettement supérieure à l'autorité acquise, celle que vous donne la fonction que vous occupez dans la société.
Il me semble que l'exercice du pouvoir n'est pas compliqué. L'exercice de l'autorité est tout autre, notamment lorsqu'il s'agit de diriger une entreprise où les caractères des salariés sont très hétérogènes. Sur ce point, je me demande si la solution ne s'inscrit pas dans le risque majeur que comporte la démagogie. Car quand vous avez en face de vous différents partenaires, votre souhait est de les convaincre de respecter votre autorité, c'est-à-dire entraîner chez eux une adhésion à l'exercice que vous ferez de votre pouvoir. A ce moment-là, comme ils sont très différents, la tentation est souvent forte d'utiliser le plus petit dénominateur, celui qui sera commun à tous. A la rentrée de 1968, l'un de nos professeurs avait demandé à l'amphithéâtre si nous souhaitions qu'il fasse cour avec ou sans robe : il a eu la réponse qu'il méritait, et ce jour là il a tout perdu en terme d'autorité. Pour moi, voilà le risque de l'autorité : vouloir plaire.
En tant que magistrat, nous avons une liberté de conscience dans l'expression orale de ses réquisitions devant le tribunal. C'est-à-dire que je suis soumis à l'autorité dont je dépends dès lors qu'elle exprime sa pensée par les écrits. Mais une fois que vous avez exécuté ces instructions, vous pouvez, au moment de prendre les réquisitions orales, dire que vous n'êtes n'est pas d'accord avec les instructions et estimer qu'il n'y a pas matière à condamnation. Il me semble qu'un principe essentiel de la vie sociale est celui des "baïonnettes intelligentes" : on vous donne des armes, vous devez vous en servir mais, à un moment, votre conscience, si elle se rebelle contre leur usage, doit exprimer la façon dont elle voit les choses. Il y a un point où la réflexion personnelle doit vous arrêter face à l'autorité".
- Brahim Asloum, champion olympique de boxe en 2000 et champion du monde en 2007
"Chez un sportif de haut niveau, pour être champion, il faut s'imposer un cadre, un règlement, une façon de procéder et pour ce faire il faut donner entièrement confiance au coach. Même si j'essaie de me gérer moi-même en me mettant des cadres, je serai obligé, à un moment donné, d'avoir une autorité. Car l'être humain a tendance à chercher la facilité. Donc quand on rentre dans le dur, si l'on a un coach que l'on respecte, à qui l'on donne l'autorité, c'est cette personne-là qui arrivera à faire en sorte que je repousse mes limites. Dans le sport de haut niveau, donner son autorité à un autre est donc indispensable. Au sein de l'équipe que j'entraîne aujourd'hui, mon avantage est que je suis champion et que les jeunes le savent : le titre, en soi, impose une autorité.
Comment s'impose l'autorité sur le ring ? Dès la pesée. C'est là qu'au premier regard, on voit si son adversaire a travaillé, notamment selon la manière dont son corps est sculpté. Et on voit également si la personne est là pour s'imposer. Après, le premier échange se fait, au premier coup de poing, et j'essaie toujours de donner le premier coup, pour prendre le dessus. En prenant l'ascendant moral sur le ring, on commence à faire autorité".
- François Auger, psychologue, docteur en psychanalyse
"Pour moi, dire que l'autorité est naturelle n'a pas de sens. L'autorité est octroyée par une fonction, le pouvoir par un statut. Ce qui m'intéresse, c'est le "faire autorité", c'est-à-dire ce qui se joue d'un point de vue qualitatif dans le champ des relations humaines. Le "faire autorité", c'est d'abord un crédit qui nous est accordé par autrui, que l'on doit maintenir ; d'autre part, du moment que je fais autorité, cela m'oblige dans ma façon de parler et ma façon de penser ; inversement celui à qui je m'adresse doit comprendre que je l'invite à accroître ses compétences, à être davantage consistant dans ce qui m'intéresse. Autrement dit, l'autorité est un commerce d'exigences.
J'estime que l'autorité est dangereuse dès lors qu'on se départit de sa capacité à penser. Il m'est arrivé de suivre sur le plan thérapeutique un ancien casseur de banques, à qui je demandais comment on faisait pour casser une banque. Il m'a répondu : "C'est très simple, vous apprenez par coeur un programme qui a été pensé par quelqu'un d'autre et ça roule. S'il y a de l'imprévu, on pulvérise l'obstacle". Là, il n'était plus dans la pensée, plus dans les liens sociaux. Se démettre de son autorité de façon à ce que quelqu'un d'autre pense pour vous me paraît extrêmement dangereux".
- Bruno Dary, général de corps d'armée, gouverneur militaire de Paris
"Pour commencer, je souhaite remarquer que le monde économique a repris tout le vocabulaire militaire - guerre économique, position offensive, défensive, partir en campagne etc. - sauf un : commander. Celui-là, on nous l'a laissé ! En tant que militaires, nous sommes fiers de commander. Les entrepreneurs, managent, leadent, suscitent, mais nous on commande. Pour moi, la première composante de l'autorité est la compétence. Vous pouvez très bien avoir le pouvoir, mais pas la compétence. Ensuite vient le facteur humain, puis la force de caractère. Autrement dit : un chef, c'est le cœur, la tête et les tripes.
Sur la transgression de l'autorité, nous avons un principe dans l'armée : "La pensée est libre et l'exécution est rigoureuse". C'est-à-dire que dans nos conversations entre chefs, les propos sont très libres. Mais une fois que vous avez pris une décision tout le monde doit l'appliquer. Pas question, à ce moment-là, de remettre en question l'autorité".
* L'université d'été de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises de Côte-d'Or (CGPME 21) a eu lieu vendredi 02 septembre 2011, au siège dijonnais du conseil régional de Bourgogne (Lire ici notre article).