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Billet de blog 12 septembre 2010

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Fichage ADN: un outil de dissuasion... Mais demain?

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"Ouvrez la bouche!": cette injonction, accompagnée du prélèvement des muqueuses buccales grâce à un coton-tige, est prononcée chaque jour par des centaines d'officiers de police judiciaire en direction de milliers de condamnés ou mis en cause sur le territoire hexagonal. Un geste qui a déjà permis d'analyser et de ficher les données génétiques de près d'1,3 millions de Français depuis 1998*... Un débat était d'ailleurs organisé sur ce sujet au cinéma L'Eldorado de Dijon le mardi 07 septembre 2010. L'occasion pour dijOnscOpe de revenir sur les thèmes forts de la soirée: quelle finalité poursuit un tel dispositif? Qu'adviendra-t-il si vous refusez le fichage ADN?...

1998-2010: une généralisation galopante du fichage génétique

En 1998, après que le juge d'instruction en charge de l'affaire du tueur en série Guy Georges avait regretté l'absence d'un cadre légal pour le recoupement des traces d'ADN - qui aurait pu, selon lui, confondre le suspect dès le cinquième meurtre, la ministre de la justice Élisabeth Guigou créait le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Destiné d'abord à recueillir l'empreinte génétique des personnes impliquées dans des infractions à caractère sexuel (Lire ici l'article 706-54 du Code de la procédure pénale), son champ d'application a ensuite été étendu par des lois successives.

A la suite des attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New-York, le prélèvement a ainsi été rendu possible en cas d'atteinte grave et volontaire à la vie de la personne - crime contre l'Humanité, homicide volontaire, actes de torture, proxénétisme, ou d'atteinte aux biens accompagnée de violence (Lire ici la Loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001). Dans un deuxième temps, la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003, dite "Loi Sarkozy" (Lire ici), a élargi le fichier aux crimes et délits de vol, extorsion, escroquerie, destruction, dégradation, détérioration, menace d'atteinte aux biens, etc. "Au bout du compte, trois-quarts des délits peuvent aujourd'hui entraîner un fichage ADN", note l'avocat dijonnais Samuel Estève, présent lors du débat.

Au 10 janvier 2010, 1.257.182 condamnés ou simples mis en cause avaient ainsi été répertoriés au FNAEG en France depuis 1998 (En savoir plus ici).

Un outil de dissuasion qui présente des risques de dérive

"L'objectif premier du fichage ADN - identifier les éventuels criminels sexuels récidivistes, a été largement dépassé et ce dispositif est aujourd'hui utilisé sans aucun discernement", remarque Samuel Estève. Pourquoi, alors, en perpétuer la pratique? Stéphane*, Dijonnais poursuivi pour refus de fichage ADN, a son idée sur la question... "Au même titre que la vidéosurveillance, ce dispositif ne me semble pas avoir été créé pour empêcher les délits mais renforce auprès de la population l'idée dissuasive que nous sommes contrôlés en permanence par des outils puissants. Selon moi, le fichage ADN est donc un pas de plus vers l'accoutumance au fait que tout le monde devient pistable à chaque instant", estime-t-il. Pour l'avocate dijonnaise Dominique Clémang, "le fichage n'empêche pas la délinquance: comme la vidéosurveillance, il peut seulement faciliter la recherche du coupable. Sa généralisation dans le cadre d'une loi sur la sécurité intérieure est donc discutable".

Éthique, valeur d'un résultat scientifique, abus de la part des officiers de police judiciaire... Autant de dérives que les animateurs du débat on pointé du doigt après le visionnage du documentaire Pistés par nos gènes, réalisé en 2006 par Philippe Borrel et Gilbert Charles (Voir la vidéo ici). "Aujourd'hui, le fichier français est accessible aux 27 pays européens mais il est impossible de savoir quelle utilisation en est faite... Il me semble urgent de dresser plus de barrières face à cette circulation d'informations quand l'on sait par exemple que certaines entreprises n'hésitent pas à utiliser ce genre de données. Le documentaire met d'ailleurs en lumière le cas d'une personne dont le code génétique dévoilait une forte prédisposition à la maladie d'Alzheimer: elle s'est vue refuser l'accès aux prestations d'une compagnie d'assurances à cause de ce facteur!", relève Dominique Clémang.

Pour Stéphane, "un autre risque a déjà été observé lors de précédents procès: les juges peuvent parfois considérer les conclusions de l'analyse ADN comme des preuves parfaites car scientifiques, alors qu'elles ne sont que des probabilités". Autre dérive potentielle : "Sous la pression du préfet, les officiers de police judiciaire sont parfois contraints de "faire du chiffre", ce qui pourrait également expliquer la multiplication des fichages ADN lors des gardes à vue", ajoute Dominique Clémang.

Le refus de fichage : motivations et conséquences

"J'ai refusé au policier le prélèvement de mon ADN pour marquer mon opposition au fichage d'une manière générale. En France, alors que la garde à vue et son arsenal de pressions rend déjà la personne très vulnérable, le prélèvement de l'ADN est un outil supplémentaire d'humiliation, auquel il faut s'opposer", estime Stéphane. Un caractère dégradant que soulève également l'avocat Samuel Estève : "Cette pratique choque généralement mes clients par son caractère intrusif. Souvent, d'ailleurs, l'officier de police judiciaire n'explique même pas ce qu'il est en train de faire!". Pour sa part, Dominique Clémang rappelle "que l'histoire nous a montré les conséquences de l'utilisation détournée de ce genre de données par les les régimes totalitaires - c'est le cas du "fichier Tulard" pendant la seconde Guerre mondiale par exemple. La perspective d'une généralisation du fichage ADN présente donc également des risques en cas de radicalisation du système politique".

Le refus du fichage ADN n'est pourtant pas un droit reconnu par la loi. "Cette liberté que peuvent prendre les gardés à vue entraîne une comparution devant le tribunal correctionnel", note Samuel Estève. Dès lors, impossible d'échapper au fichage? "Les personnes mises en cause, une fois innocentées, peuvent tout de même demander l'effacement de ces données", note Dominique Clémang. Et de préciser: "Cette requête est très longue à faire aboutir". Dans tous les cas, les informations enregistrées ne peuvent être conservées au-delà d'une durée de 40 ans pour les condamnés et pendant une durée maximale de 25 ans pour les prévenus (Lire ici l'article R 53-14 du Code de la procédure pénale).

Dans le cadre de l'analyse par le Sénat de la Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, ou Loppsi 2, adoptée par l'Assemblée nationale le 17 février 2010 (Lire ici), la simplification de la mise à jour du FNAEG est envisagée: si le Sénat donne son aval à cet aspect du texte, le vendredi 10 septembre 2010, de nouvelles barrières en terme de fichage ADN tomberont...

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