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Billet de blog 20 mars 2010

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Harkis : l'impossible oubli...

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Le 19 mars 1962, un cessez-le-feu* met officiellement fin à huit ans de guerre en Algérie. Commence alors une série de massacres qui plonge le territoire algérien dans une frénésie de violence. Des dizaines de milliers de harkis sont torturés puis tués généralement avec l’ensemble de leur famille. Ceux qui avaient lutté aux côtés des Français pour une Algérie française sont abandonnés par cette patrie. Des rapatriements de harkis sont néanmoins organisés malgré l’interdit, par quelques officiers français. Saci Benredjem a pu en bénéficier et échapper au massacre. Installé en Côte-d’Or depuis presque 50 ans, cet amoureux de la France livre pour dijOnscOpe son histoire...

Répression et massacres


"En 1958, j’ai 20 ans. Cela fait quatre ans que la guerre d’Algérie a débuté. Cette année là, je m’engage comme harki dans les « Compagnies nomades ». Je deviens GMS (groupe mobile de sécurité : supplétifs de l'armée française durant la guerre d'Algérie) en mars 1962. En juin de cette année, les officiers rentrent en France. Des officiers jeunes et peu au courant de ce qu’est l’Algérie les remplacent pour « mettre de l’ordre ». En mai, un officier me demande de choisir : quitter l’armée ou soutenir la France. Je choisis la France...


Lorsque dans cette même période, les militaires français partent d’Algérie, de vrais massacres commencent. Dans l’armée, nous ne faisons pas que pourchasser les membres du FLN (Front de Libération Nationale), nous effectuons aussi de nombreuses missions de prévention dans les villages avec des Français. Je me souviens de six d’entre eux : des infirmières qui furent massacrées avec des pierres.

Fuir pour vivre


En juillet, lorsque je sens que ma vie est menacée, je pars chercher mes parents et mon petit frère pour fuir en France. Nous, combattants harkis, venions d’être désarmés [A la suite des Accords d’Evian, les harkis sont désarmés par l’armée française qui laisse l’Algérie aux mains des indépendantistes], j’ai seulement une arme non chargée qu’un officier m’a laissé pour me protéger. Ma famille et moi mettons des chapeaux rouges de Tunisiens pour passer inaperçus. Le FLN est à nos trousses. Nous atteignons une caserne protégée par des militaires, puis une ferme qui sert de check point : 150 harkis sont déjà là.


Enfin, encadrés par quarante chars, nous rejoignons des bateaux qui doivent nous mener vers la France ! Avant de monter à bord, des membres de la Croix rouge nous distribuent des vivres. A bord de l’embarcation, nous devons rester planqués pour éviter les balles. L’ambiance est terrible : beaucoup de femmes pleurent, certains abandonnaient leur famille, il y a aussi beaucoup de blessés et de mutilés. Le bateau transporte également des pieds-noirs [Français vivant en Algérie, parfois depuis des décennies]. Un grand nombre d’entre eux ont également été victimes de massacres.

« Sacrifié pour la France »


La France devrait reconnaitre ses torts mais l’Algérie aussi. Des Massacres ont eu lieu des deux côtés. L’Algérie a bafoué les Accords d’Evian [Ils sont le résultat de négociations entre les représentants de la France et du Gouvernement provisoire de la République algérienne formé par le Front de libération nationale (FLN). Ces accords sont signés le 18 mars 1962 à Évian et se traduisent immédiatement par un cessez-le-feu applicable sur tout le territoire algérien dès le lendemain] dès le début. A l’été 1962, un bateau rempli de harkis a été refoulé de France, le renvoi de ces gens vers l’Algérie signait leur mise à mort. Ils sont effectivement cruellement massacrés dès leur arrivée [Les harkis ne sont pas autorisés à quitter l’Algérie. Un certain nombre sont expulsés à leur arrivée en France.


Les militaires aidant les harkis à aller en France sont menacés de sanctions. Pourtant, un certain nombre vont risquer leur carrière pour aider et sauver des harkis. La famille de Saci a bénéficié de l’aide d’un de ces « Justes » ]. Quelques semaines avant l’indépendance, l’armée a aussi incité les harkis les plus âgés à partir. Après le 19 mars 1962, beaucoup se sont fait massacrer pour cette raison : ils ont dû rester en Algérie à la merci du FLN. Ce que je supporte le moins, c’est de me faire insulter de traitre alors que je me suis sacrifié pour la France. La Croix Rouge a tout de même rapatrié des harkis. Mon grand frère en a fait partie.

Un engagement par conviction


N’oublions pas non plus que les harkis ont aussi sauvé des vies algériennes. L’armée faisait régulièrement des rafles, or, les harkis intervenaient pour innocenter certains raflés et dire qu’ils n’étaient pas membres du FLN. Je ne me suis pas engagé dans l’armée française pour l’argent. Avant mon engagement, j’étais un petit paysan mais je gagnais bien ma vie. En rejoignant l’armée, j’ai gagné cinq fois moins. Avec ma famille, nous avons dû cultiver les champs alentours pour avoir un peu plus d’argent. C’est un incident commis par le FLN dans mon village qui m’a convaincu de m’engager, c’était donc un engagement par conviction.


A partir de ce moment là, je risquais des représailles du FLN. Elles n’ont pas tardé... Je partais rejoindre un village militaire pour être protégé lorsque j’ai aperçu au loin ma maison et mes champs qui venaient d’être incendiés. Certains membres du FLN avaient des comptes personnels à rendre, ils profitaient de leur position pour tuer leurs ennemis. Les membres des familles de ces derniers voulaient alors se venger et c’est pourquoi ils rentraient dans l’armée française. Beaucoup des harkis qui combattaient avec moi avaient souffert d’actes de barbarie. Il y avait beaucoup de situations différentes. Lorsque nous attrapions un membre du FLN, nous l’envoyions à la base militaire. Je n’étais pas au courant des tortures de l’armée française. J’en ai attendu parler après la guerre...

De camp en camp


Je suis arrivé à Marseille le 2 août 1962. Nous avons été emmenés au camp du Larzac le lendemain. Là, nous sommes restés quelques mois avant de rejoindre le camp de Rivesaltes en octobre. Des républicains espagnols ainsi que des juifs y avaient déjà séjourné. Les conditions de vie étaient difficiles, nous n’avions rien du tout. Nous avions laissé la clé de la maison en Algérie : je suis rentré dans l’armée française, j’ai construit une maison et finalement nous avons tout laissé. Mais il est certain que nous étions déjà bien contents d’être en vie ! Dans ce camp de Rivesaltes, à partir de 1963, des maisonnettes en bois ont remplacé les tentes. Nous avions le sentiment d’être comme des prisonniers derrière ces barbelés.

« La France, c’est comme ma mère »


Ma famille et moi-même sommes partis à Is-sur-tille en Côte-d’Or en 1964. Pour sortir du camp, nous devions avoir un certificat d’hébergement et de travail. J’avais un cousin qui était déjà installé, il avait été Conseiller général en Algérie. Ma mère voulait le rejoindre. On a trouvé du travail sans l’aide de personne. J’ai fait une formation de six mois dans la maçonnerie à Rivesaltes. En Côte-d’Or, j’ai d’abord travaillé dans ce domaine avant d’être employé par Seb. Aujourd’hui, je suis à la retraite et le président de l’Association des Anciens Harkis de Côte-d’Or. Mes frères et mon fils sont également membres. Ensemble, nous luttons pour que la France reconnaisse ses torts vis-à-vis des harkis et nous tentons de préserver la mémoire de cette histoire.


Le 19 mars, ce n’est pas pour moi : c’est la fête de l’Algérie. Ma fête est le 5 décembre, il s’agit de la Journée nationale des combattants d’Afrique du Nord. La Journée nationale des harkis est le 25 septembre. Mon grand regret ? Que les harkis n’aient droit à rien du tout et ce malgré la promesse du Président de la République en 2007. Je ne retournerai jamais en Algérie, pour moi, c’est fini. Je serai enterré ici, en France. Car la France, c’est un peu comme ma deuxième mère...".

*L'indépendance est officiellement proclamée le 3 juillet 1962.


Infos pratiques :


Association des Anciens Harkis de Côte-d'Or
11b rue du lac - 21120 Marcilly sur Tille
harkis21@gmail.com

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