Billet de blog 25 novembre 2008

Vincent Truffy (avatar)

Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

Le «Off» des états généraux de la presse: l'appel de la Colline

Une salle de 700 places remplie (du moins au début de la soirée) plus des milliers d'internautes qui ont suivi en direct la soirée sur leur écran d'ordinateur: le «off» des états généraux de la presse réuni par RSF et Mediapart lundi 24 novembre au théâtre de la Colline à Paris a été un succès.

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Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

Une salle de 700 places remplie (du moins au début de la soirée) plus des milliers d'internautes qui ont suivi en direct la soirée sur leur écran d'ordinateur: le «off» des états généraux de la presse réuni par RSF et Mediapart lundi 24 novembre au théâtre de la Colline à Paris a été un succès.

Lors de cette rencontre, Mediapart et Reporters sans frontières ont présenté un «appel de la Colline», rappelant quelques principes fondamentaux et dont voici le texte:

«La liberté de la presse n'est pas un privilège des journalistes, mais un droit des citoyens.

Le droit à l'information, à la libre expression et à la libre critique, ainsi qu'à la diversité des opinions, est une liberté fondamentale de tout être humain.

Sans information libre sur la réalité, ambitieuse dans ses moyens et pluraliste dans ses fins, il ne saurait y avoir d'authentique délibération démocratique.

Régime de tous les citoyens, sans privilège de naissance, de diplôme ou de fortune, une véritable démocratie suppose que tous soient pareillement informés pour être libres dans leurs choix et autonomes dans leurs décisions.

De ce droit du public à connaître les faits et les opinions procède l'ensemble des devoirs et des droits des journalistes.

Leur première obligation est à l'égard de la vérité des faits.

Leur première discipline est la recherche d'informations vérifiées, sourcées et contextualisées.

Leur première loyauté est envers les citoyens et prime toute autre responsabilité, en particulier à l'égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics.

Défendre et promouvoir cet idéal suppose l'indépendance, la transparence et le pluralisme.

L'indépendance, c'est-à-dire:

— le respect général du droit moral des journalistes sur leur travail, afin de garantir que l'information ne soit pas réduite à une marchandise;

— le refus impératif du mélange des intérêts industriels et médiatiques, afin de garantir que les opérateurs économiques n'aient pas d'autre objectif que l'information;

— la préservation absolue de l'intégrité du service public de l'audiovisuel, afin de garantir que ni ses informations ni ses programmes ne soient contrôlés par le pouvoir exécutif.

La transparence, c'est-à-dire:

— un véritable accès, rapide et facile, à toutes les sources documentaires d'intérêt public pour la vie démocratique et le sort des citoyens, à l'image du Freedom of Information Act en vigueur aux Etats-Unis depuis 1967;

— une large protection des sources des journalistes, assurant le droit des citoyens à les alerter et à les informer, inspirée de l'excellente loi belge en vigueur depuis 2005;

— une publicité étendue sur tous les actes du pouvoir exécutif ayant une incidence directe sur notre vie publique, de façon à permettre l'interpellation libre et le questionnement contradictoire des gouvernants par les journalistes.

Le pluralisme, c'est-à-dire:

— une concentration limitée et régulée, de façon à éviter tout monopole de fait ou tout abus de position dominante;

— une égalité de traitement de la presse numérique et de la presse imprimée, de façon à éviter toute discrimination stigmatisante d'Internet;

— une reconnaissance à part entière de la place des lecteurs en tant que commentateurs, contributeurs et blogueurs, de façon à accroître la diffusion et le partage démocratiques des informations et des opinions.

Toute voie qui s'éloignerait de ces principes serait une régression.»

Journalistes et blogueurs sont venus témoigner de la dégradation de leurs conditions de travail: Alain Genestar, évincé de Paris Match, Christophe Grébert, poursuivi par la mairie de Puteaux, et Christophe Beaudufe de l'AFP, Nordine Nabili du Bondy Blog, Philippe Brunet-Leconte de Lyon-Mag, Emilien Jubineau, de France 3 Montpellier, Leïla de Comarmond, des Echos. Pressions, intimidations, reprises en main, autocensure, arrestations, mises en examen ou plus trivialement manque de moyen pour exercer le métier d'aller chercher l'information au-delà de la communication autorisée...

(A voir aussi les témoignages de Josyane Savigneau, Audrey Pulvar, Caroline Fourest et Charb, Marie-Monique Robin, Eric Favey, Bertrand Pecquerie, Emmanuel Pierrat.)

Le secrétaire général du Forum des sociétés de journalistes, François Malye, a rappelé où en était la réflexion des états généraux officiels, telle qu'elle a été présentée en fin de semaine passée lors du 16e congrès de la Fédération nationale de la presse française. «Les éditeurs c'est le comité des forges : on tend la sébile à l'Etat, on demande de faire sauter les droits d'auteurs et on se désintéresse absolument de la qualité de l'information.»

De fait, lors de ce point d'étape, les éditeurs ont exigé la déductibilité fiscale des dons des lecteurs aux entreprises de presse, la réforme des droits d'auteurs afin de pouvoir exploiter la production des journalistes sur plusieurs supports, la restriction de la clause de cession, qui permet aux journalistes d'être licenciés (et de bénéficier d'indemnités de licenciement) en cas de changement d'actionnaires ou de «ligne» du média, et la généralisation du taux de TVA réduit (2,1 %) à tous les produits de presse.


Les intervernants conviés au «off» — Zina Rouabah (Société des lecteurs de Libération), Jérôme Bouvier (Assises du journalisme), Jacques Trentesauts (collectif « ça presse ! »), Philippe Schröder (club de la presse Nord-Pas-de-Calais), François Gèze (éditions La Découverte), Cyril Lemieux (sociologue, EHESS), Géraldine Muhlman (Paris-II)... — ont lancé des pistes de réformes, parmi lesquelles:

  • La sanctuarisation des garanties offertes par la loi au pluralisme des médias (seuils de concentration, protection des sources, présomption d'innocence...) et la constitution d'un mur étanche entre le capital et l'éditorial (aux propriétaires, la maîtrise de l'outil industriel et commercial; aux journalistes, la haute main sur l'éditorial et notamment la désignation de la direction de la rédaction).
  • La mise en place d'une nouvelle charte de qualité et de déontologie explicitant ce sur quoi s'engagent les journalistes, qui serait élaborée par les sociétés de rédacteurs et/ou les sociétés de lecteurs et qui constituerait la base d'un nouveau contrat avec le lecteur. Ce document serait opposable et garanti par la loi.
  • La création de lieux de médiation publique sur la base de cette charte permettant la confrontation et la conciliation des journalistes et des lecteurs. Ce dispositif est d'ailleurs en discussion actuellement.


Enfin, Bernard Stiegler (Institut de recherches et d'innovation) a replacé la crise de la presse dans l'espace plus vaste de l'effondrement des industries culturelles et l'avènement d'un «psychopouvoir» voué à occuper les esprits plutôt que de les éveiller. Jacques Bouveresse (Collège de France) a souligné les origines de la sujétion de la presse à l'égard des puissances politiques et financières en citant notamment un texte de Robert de Jouvenel, La République des camarades : « Je veux bien que ce soit la faute des journaux ; mais c’est avant tout la faute du public. Si jamais le bon public, l’excellent public, qui se gausse de ces servitudes, s’avise de vouloir lire un journal complètement indépendant qui n’ait besoin ni du pouvoir, ni de ses agents, ni du commerce, ni de ses représentants, il l’aura. Il lui suffira de payer ce qu’on lui vend, au prix de revient. S’il y avait en France dix mille personnes résolues à sacrifier chaque matin quatre ou cinq sous pour le seul plaisir de lire un journal qui ne soit le prisonnier ni de ses subventions, ni de sa publicité, ni de ses actionnaires, ce journal paraîtrait demain. Mais n’y comptons pas trop.»