Billet de blog 16 janvier 2013

Festival Au Fil des Voix

Abonné·e de Mediapart

Yasmin Levy : La rose pourpre de Jerusalem

Ambassadrice du ladino, Yasmin Levy sort Libertad, un disque où l’interprète israélienne croise la culture sépharade avec le répertoire turc. Un cinquième album particulièrement abouti que la musicienne présentera jeudi 7 février 2013 sur la scène parisienne de l’Alhambra à l’occasion du festival Au fil des voix.

Festival Au Fil des Voix

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ambassadrice du ladino, Yasmin Levy sort Libertad, un disque où l’interprète israélienne croise la culture sépharade avec le répertoire turc. Un cinquième album particulièrement abouti que la musicienne présentera jeudi 7 février 2013 sur la scène parisienne de l’Alhambra à l’occasion du festival Au fil des voix.

Le chant de Yasmin Levy est intimement lié au ladino, la langue des juifs sépharades. Apparu en Andalousie au Moyen Age, cet idiome est une des composantes du rayonnement intellectuel arabo-andalou. Après l’expulsion de cette communauté par la monarchie espagnole en 1492, ce langage sera pratiqué autour du bassin méditerranéen et témoigne depuis, avec nostalgie, de la vie des diasporas. A l’instar du yiddish en Europe Orientale, la dimension véhiculaire du ladino contribuera largement au développement du multiculturalisme sur le Vieux Continent. Si les racines linguistiques sont voisines du castillan ou du portugais ce médium reste unique. Pointure du genre Ytshak Levy, le propre père de la chanteuse, a passé ainsi une bonne partie du XXe siècle à collecter les témoignages musicaux et a écrit des ouvrages de référence. Avec moins de 200 000 locuteurs aujourd’hui pointés dans le monde, ce travail historiographique apparait donc essentiel. La relève artistique, incarnée par sa fille Yasmin, contribue à cet élan de préservation.

Originaire de Jérusalem, Yasmin Levy grandit dans un univers cosmopolite. Elle hérite de l’apport multiséculaire du judaïsme et des liens tissés avec l’islam, le christianisme. Pour cette dernière, l’approche universelle de l’art doit supplanter les clivages : « Le respect est, par définition, mutuel. Au Proche Orient, les différentes communautés ne se respectent pas les unes les autres. Voila pourquoi elles se combattent en permanence. Je voudrais une meilleure ouverture entre elles. C’est l’humanité qui relie les individus. » Soucieuse de l’Histoire et des traditions, Yasmin Lévy n’hésite pourtant pas à confronter son identité grâce à différentes collaborations. On l’a ainsi entendue aux côtés d’Enrico Macias pour son ambitieux projet Voyage d’une mélodie. Ou sur la compilation hommage à Léonard Cohen, également illustrée par des rockers tels Jackson Browne ou Eliott Murphy. Sa version lyrique du célèbre Hallelujah lui va comme un gant.

Sorti en 2004, Romance et Yasmin, le premier album de Yasmin Lévy, séduit immédiatement. Le violoncelle offre une texture boisée et les mélopées sont splendides. Paru dans la foulée, La Juderia, sobrement légendé Ladino and flamenco, prolonge le coup d’essai. L’incidence entre la musique andalouse et le chant judéo espagnol est évidente à l’écoute de Naci en lama ou avec Intentalo encontar. En 2007, Mano Suave confirme la carrière de la jeune israélienne. Elle chante alors sur les plus grandes scènes du monde, au Carnegie Hall à New York ou à l’Opera House de Sidney… Paru chez World Village, Sentir laisse transparaitre des arrangements dépouillés. Et Libertad, le cinquième album de la diva orientale ouvre de nouveaux horizons avec des emprunts évidents à la musique turque. Si la romancero est toujours présente avec La nave del olvide, l’essentiel des plages est désormais illustré par un ensemble de cordes. C’est le cas de Firuze, un standard turc impeccablement transcrit ou bien encore du traditionnel perse Soghati, rebaptisé pour l’occasion Recuerdo. Les racines hispaniques sont fébrilement restituées sur Skalerika de oro. Et un titre comme La ultima cancion inclus des cuivres à un registre ladino audacieux.

Aujourd’hui Le chant ladino mixe sans complexes, avec les deux tomes de Sephardic Music Festival. Ces deux recueils prolongent l’affiche éponyme, programmée tous les ans aux USA. L’attrait de ces productions réside dans l’éclectisme des genres musicaux sélectionnés, des thèmes traditionnels, au rock en passant par l’electro ou le rap, ici les deux dominantes. Une démarche évolutive qui atteste du pouvoir d’assimilation de la musique sépharade. Comme pour les rythmes klezmers, ce registre régénère les scènes rock et jazz occidentales. Parmi les trente six groupes ou interprètes, disponibles en téléchargement, Electro Marocco fait usage des samples pour mieux assimiler les musiques orientales, Axum mêle les cultures précitées au reggae et l’épatant Déleon développe une fusion ladino (d)étonnante..Tout n’est pas du même niveau mais la présence de Yasmin Lévy sur le premier volume crédite naturellement la démarche. Une prochaine édition du festival Séphardic sera organisée cette année à Cordoue en Espagne. On attend le troisième volume avec impatience.

Une telle richesse est également relayée par d’autres disciplines artistiques. Réalisé par l’égyptien Youssef Chahine, le film Le Destin dévoile ainsi le développement de l’aire médiévale arabo andalouse grâce à la figure emblématique d’Averroès. Philosophe, mathématicien et astronome, ce dernier participera grandement au développement du califat de Cordoue et sera un lien évident entre les groupes qui le structure. La littérature se distingue avec Sépharade, un roman signé par Eliette Abécassis. Au fil des pages, l’auteur décrit son héroïne aux prises avec la culture judéo espagnole, sa fascination pour le jardin originel, le poids des traditions. Un précis intitulé Histoire des juifs sépharades, de Tolède à Salonique retrace la destinée de ce peuple. Ecrit par Esther Benbassa et Aron Rodrigue, il est disponible aux éditions Point. Enfin Séfaradis, dor en dor, une comédie musicale écrite par Mathilda Koen-Sarano et Hayim Tsur, rend hommage à cette communauté en décrivant la vie de trois générations d’une même famille dans les Balkans ou en Terre Sainte.

Yasmin Levy : Libertad World Village / Harmonia Mundi

Vincent Caffiaux

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.