
La chanteuse Houria Aïchi présentera, samedi 16 février, sur la scène de l’Alhambra à Paris, son nouvel album Renayate. Un florilège qui met à l’honneur Remitti, Djura ou bien encore Fadela d’Oran. Passionnant, ce tour de chant dévoile les mille et une facettes du répertoire féminin algérien.
Récompensé l’an dernier par un prix de l’académie Charles Cros, l’album Princesses du chant arabe de la tunisienne Dorsaf Hamdani réunissait trois interprètes orientales dont la mythique Oum Kalsoum. Egalement édité chez Accords Croisés, Renayate, le nouveau disque de Houria Aïchi creuse le sillon avec un hommage aux voix féminines d’Algérie. Cet enregistrement est avant tout un long travail de maturation. Héritière du répertoire populaire puis initiée au Malouf, ce répertoire arabo andalou en provenance de Constantine, Houria Aïchi bonifie son parcours de rencontres. En 1990, elle illustre ainsi la bande son du film Un Thé au Sahara de Bernardo Bertolucci d’après le roman de Paul Bowles. Une ouverture sur le monde qui la voit fréquenter l’interprète brésilienne Monica Passos ou le saxophoniste jazz Jean Marc Padovani… Pourtant Houria Aïchi rend fréquemment hommage à la région de Batna d’où elle est originaire. Un lien fort qu’elle cultive avec son premier disque Chant de l’Aurès. Ses albums suivants Khalwa, chants sacrés de l’Algérie puis Les cavaliers de l’Aurès approfondissent cette radioscopie musicale.
Création lancée l’an dernier sur la scène du festival Les Sud à Arles, Renayate compile désormais sur disque onze titres et autant de voix issues de la scène populaire algérienne. La cartographie est subtile. Si Fadela reste une artiste populaire, propulsée sur les scènes mondiales par le courant raï des années 80, d’autres références ou cultures, parfois moins connues en Occident, sont représentées. Fadila Dziria ou Meriem Fekkaï figurent ainsi en bonne place . Enregistré avec Mohammed « P’tit Moh » Abdennour à la mandole et à l’oud, Smail Benhouhou au piano, Ali Bensadoun à la flûte ney et au gasba et avec le percussioniste Amar Chaoui , cet enregistrement est particulièrement abouti. Anouar de Cheika Remitti se pare de choeurs masculins qui contrastent avec le timbre chaud de Houria Aïchi. Les arrangements à la guitare et au piano sont particulièrement délicats sur Goumari et les percussions invoquent une douce transe pour Mabrouk el Fhar, un titre interprété initialement par Chérifa.
Renayate fait référence à des destinées hors du commun. C’est vrai pour la chanteuse Remitti. Originaire de l’Oranais, cette dernière connait une jeunesse misérable avant de se lancer dans la musique. Son train de vie libéré occasionne les foudres du pouvoir politique qui condamnent des moeurs prétendues dissolues. Elle célèbre le sexe et l’alcool. Son surnom Rimitti serait d’ailleurs une déformation de l’injonction remettez (un verre…). Une anecdote qui ne doit pas faire oublier le talent de cette voix authentique dont le timbre bluesy séduira plus d’un musicien. Au milieu des années 90, elle enregistre Sidi Mansour aux côtés de fans tels Robert Fripp, le guitariste de King Crimson ou de Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers. Un public rajeuni a ainsi pu découvrir cette voix étonnante avant son décès, en 2006. Autre interprète revisitée par Houria Aïchi, Djura Abouda renvoie à la Kabylie natale. Leader, à la fin des années 70 du groupe Djurdjura, cette dernière s’impose par des textes poétiques. Elle prend naturellement cause pour la communauté berbère et affiche, au sein d’une société patriarcale, des idées féministes courageuses. Différentes tournées dans le monde suscitent l’engouement. Le chanteur breton Alan Stivell invite ce groupe sur son album Tir Na N-og. La démarche est cohérente. En jouant avec Djurdjura, le musicien fait référence à sa propre histoire, à l’arc maritime que tissaient autrefois celtes et Kabyles.
Une table ronde sera organisée samedi 16 février à l’Alhambra, de 17 à 19 heures, juste avant le concert de Houria Aïchi. Intitulée la mélodie de l’exil, cette discussion animée par Naïma Yahi, directrice de Pangée Network et historienne, permettra ainsi d’évoquer la place de la chanson algérienne au sein du patrimoine français. L’immigration est un vecteur d’enrichissement culturel évident pour la scène hexagonale. Sera présent autour de la table Salah Amokrane, directeur du festival Origines Controlées et producteur du duo toulousain Mouss et Akim pour leur album hommage aux chants de l’immigration. Autre figure, Mohand Anemiche évoquera les années dites Barbès et le répertoire de l’exil au travers de grands artistes de la diaspora maghrébine que ce dernier a signé. L’écrivain et journaliste Samia Messaoudi apportera son point de vue à la discussion. Enfin Kamel Hamadi et Ben Mohamed, respectivement parolier et poète, pourraient participer à ce forum inédit.
Renayate Accords Croisés / Harmonia Mundi (Sortie le 12 février 2013)
Vincent Caffiaux