Billet de blog 20 septembre 2008

Serge Koulberg (avatar)

Serge Koulberg

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Fatou Diome Enrichissement en direct de la langue française

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De retour sur Internet après deux mois et demi d'ondes buissonnières j'avais préparé un article sur Soljénitsyne. Mais je viens de lire les articles et les commentaires qui lui étaient consacrés sur Médiapart qui disent déjà une part de ce que j'ai eu envie d'écrire.

J'écrirai donc un peu plus tard ce que j'ai envie de retenir de cette oeuvre et de ce personnage.

A la grand ville (Carcassonne) j'ai découvert une vraie librairie "Mots et Cie, objet devenu assez rare pour le signaler, et un roman qui malgré quelques maladresses un peu scolaires qui tiennent très peu de place, m'a fait retrouver entier le plaisir et l'intérêt que j'avais eu à lire "Le ventre de l'Atlantique"

Fatou Diome Flamarion

Inassouvie, nos vies

Ça commence comme une histoire que l’on croit connaître et qui est en surface celle d’une jeune femme qui attend le messie de la vraie vie pendant que ses pensées tournent en rond, comme un manège sur le grand cheval de la condition humaine version féminin.

Debout devant sa fenêtre du cinquième étage elle observe l’immeuble d’en face. Elle observe des choix de vie dont elle n’a nulle envie de partager “les petits monticules de réussite” sur lesquels“pantins nous sautillons”, elle observe des vies de femmes qu’elle n’a pas envie d’être, elle observe une vieille dame qui parle à son chat et imagine ce qui peut se dire au bout d’une si longue existence, elle observe surtout l’étrange navire de la vie avec deux atouts que l’on va retrouver dans tout le livre, une imagination sans timidité et une langue vaste comme une forêt tropicale et dense, imprévisible comme un grand fleuve qui ne s’embarrasse pas de trier ce qu’il charrie.

“Tenaillée par la curiosité rendue fébrile par l’attente de détails qui ne venaient pas, l’observatrice décida de se muer en brodeuse. Il a bien fallu que quelqu’un imagine la laine ailleurs que sur le dos des moutons, le coton hors de champs pour que nous ayons des châles au cou et de beau draps pour couver nos amours.”

Son observatrice, Fatou Diome va l’appeler Betty sans rien gommer de ses origines africaines, elle va en faire une jeune femme qui se donne aux autres pour mieux se protéger de sa propre vie, elle va en faire une jeune femme qui refuse de remplir sa vie parce qu’elle a assez vécu pour se rendre compte que ce qui rempli est toujours fade, sans consistance, elle va en faire une jeune femme qui va découvrir peu à peu « que la vie n’est que la vie » c'est-à-dire prendre le risque de vivre sa propre musique, une musique dont on ne peut jamais décrire que le sillage.

Etranges embardées de l’histoire où chaque chapitre semble être le dernier, étranges embardées du langage où derrière le flot dense des mots se découvre peu à peu un auteur qui travaille sa langue et une histoire qui, on ne peut en douter, finit par lui ressembler.

Elle ne fabrique pas d’émotion, ne s’embarrasse ni d’esthétique ni de psychanalyse, elle joue sur les cordes sensibles une musique sans concession qui n’hésite jamais à heurter le bon goût et les langues d’écritures académiques, mais qui touche à la vie de si près qu’on se demande sans cesse si ses notes ne vont pas fondre comme le char de Phaëton qui voulut se rapprocher trop près du soleil.

On sent Fatou Diome trempée toute entière dans l’encre de son écriture, et cette écriture recycle toute pensée et toute observation en maximes et en proverbes en parabole. Enrichissement en direct de la langue française par un regard venu d'Afrique.

L’histoire telle qu’elle semble se présenter dans les premiers chapitres n’est pas de celles auxquelles j’adhère spontanément et l’écriture, d’abord, me heurte comme ces films qui semblent abuser de plans rapprochés… et puis, le charme du texte opère.

L’histoire, on la retrouve d’une page à l’autre comme un phare lointain, certes indispensable mais qui n’est pas la destination du navire. L’important ici, c’est la navigation, la trace que ce livre laisse dans l’âme vigilante du lecteur.

On suit Betty sur la surface dévastée de la vie humaine, on la suit sur tous ces sens que chacun tente d’accrocher à sa vie, on la suit dans le désastre de la vieillesse prise en charge par le marché, on la suit dans le tragique sans surprise des ruptures, on s’enfonce avec elle dans les sables mouvants des renoncements et des inachèvements, on observe avec elle ce ciel qui répond à contre temps aux questions qu’on ne lui pose pas… et on se trouve tout à coup, le nez collé sur la condition humaine .

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.