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Laïcité

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Billet de blog 11 juillet 2013

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La laïcité dans les séjours de vacances

Les séjours vacances, notamment ceux de la Ligue de l'enseignement, sont de plus en plus confrontés à des revendications et des comportements liés à des affirmations identitaires ou religieuses. S’il n’y a pas lieu de les exagérer, les problèmes rencontrés doivent être correctement gérés pour qu’ils ne perturbent pas le fonctionnement du séjour en remettant en cause notre projet éducatif.

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Les séjours vacances, notamment ceux de la Ligue de l'enseignement, sont de plus en plus confrontés à des revendications et des comportements liés à des affirmations identitaires ou religieuses. S’il n’y a pas lieu de les exagérer, les problèmes rencontrés doivent être correctement gérés pour qu’ils ne perturbent pas le fonctionnement du séjour en remettant en cause notre projet éducatif.

Le Conseil d’Administration de la Ligue a adopté une note "La laïcité dans les séjours de vacances" (en PJ) précisant nos positions pour « le vivre ensemble de nos séjours ». L’objet de cette note est d’avoir une position publique claire mettant en œuvre concrètement les principes posés dans le document  « La Laïcité pour faire société ». En voici les éléments essentiels.

La Ligue n’est pas un service public, mais certaines de ses activités relèvent de missions de service public (les DSP par exemple). Le récent arrêt de la Cour de cassation concernant la crèche Baby Loup nous rappelle qu’en l’état actuel de la législation, les dispositions concernant l’expression d’une appartenance religieuse ne s’appliquent pas de la même manière, en particulier pour les personnels, selon qu’on se trouve dans une situation de service public ou dans les activités associatives de droit privé. Cet arrêt ne veut pas dire qu’il n’est plus juridiquement possible de préserver la laïcité dans nos activités. La Cour de cassation n’a pas mis en cause le principe selon lequel aucune religion ne peut faire la loi et entraver une mission professionnelle, elle a simplement dit que le règlement intérieur de l’association n’était pas suffisamment précis et a censuré un licenciement au motif qu’il reposait sur un motif discriminatoire constitué par une restriction générale de l’exercice de la liberté de conscience et de religion de la salariée concernée, sans justification précise de sa nécessité.

La Ligue se refuse à mêler sa voix à celles de ceux qui invoquent la laïcité à tous propos de façon incantatoire. Elle veut au contraire la faire vivre concrètement, en dehors de tous procès d'intention, par la mise en œuvre d’un projet éducatif porté à la connaissance de tous, usagers et salariés, et par l’adoption d’un règlement intérieur indiquant précisément les conditions de fonctionnement. Il est indispensable d’appréhender les questions dans leur complexité. Et pour cela nous devons commencer par dédramatiser les situations auxquelles nous devons faire face, hiérarchiser les problèmes rencontrés et présenter nos réponses de façon positive et non comme de simples interdictions au nom de principes abstraits.

Pour ce qui est de nos personnels, il faut faire une distinction. Dans le cadre des activités relevant d’une mission de service public, nous devons exiger une stricte neutralité en matière religieuse. Il n’en va pas de même pour l’ensemble de nos activités : toute interdiction absolue et générale (en indiquant par exemple uniquement « il est interdit à un salarié de manifester ses opinions philosophiques, politiques ou religieuses dans le cadre de son travail ») pourrait constituer une discrimination religieuse ou convictionnelle. Mais la liberté d’afficher ses convictions n’autorise pas à faire du prosélytisme ou à porter des revendications dérogatoires aux règles de fonctionnement de nos séjours. Accepter une expression « ostensible » (c’est-à-dire perçue par celui qui voit) de croyances ne revient absolument pas à être complice des errements possibles d’expression « ostentatoire » (c’est-à-dire affichée délibérément à des fins prosélytes par celui qui l’exprime) ou à faire preuve de naïveté et de faiblesse. Il est possible de restreindre l’affichage de conviction, en fonction de la mission professionnelle, pour éviter tout prosélytisme et afin que soient respectés les libertés de tous, les conditions de sécurité, les impératifs d’hygiène et de santé et la mise en œuvre du projet éducatif. Il faut être explicite et rigoureux au moment du recrutement de chaque membre de l’équipe d’encadrement en expliquant le projet éducatif de notre mouvement et le projet pédagogique du séjour et en justifiant les conditions d’exercice de leur mission.

Pour ce qui est des usagers, il n’est pas question, ce qui serait d’ailleurs illégal, de refuser un service, l’organisation ou la participation à des activités en fonction des opinions religieuses, philosophiques ou politiques affichées par une personne. Nous n’imposons pas un fonctionnement allant à l’encontre d’interdits religieux, mais nous ne souscrivons pas aux prescriptions religieuses allant à l’encontre de l’intérêt général. Prenons l’exemple de la restauration. Les repas sont des moments importants de la vie collective en Centres et Villages de vacances et un moment éducatif lorsqu’il s’agit d’enfants. Notre restauration doit assurer le principe de santé et d’hygiène alimentaire. Elle doit aussi être compatible avec la demande des personnes qui ne désirent pas manger certains aliments en raison de croyances religieuses, de convictions personnelles ou pour toutes autres raisons. Elle proposera des menus de substitution (sans porc, sans viande…) sans que les motivations (goût, allergie, religion, végétarisme …) soient demandées en justification et sans que cela génère une ségrégation spatiale dans le restaurant. Par contre, notre restauration n’a pas à servir des repas liés à des prescriptions religieuses (hallal ou casher …) supposant de faire appel à une filière spécifique impliquant la rétribution de ministres du culte. De même, notre fonctionnement n’a pas à s’adapter à la pratique du jeûne, notamment par l’organisation d’un service de restauration hors des horaires habituels.

La Ligue définit donc de façon nuancée mais précise des règles pour le « vivre ensemble » au cours des séjours vacances. Cet article en donne l’esprit et un aperçu. La Ligue estime qu’il est parfaitement possible de garantir son projet éducatif laïque dans la législation actuelle si elle est appliquée avec rigueur. Elle ne souhaite donc pas une loi nouvelle qui risquerait fort de donner une image de la laïcité comme mesure de restriction des libertés et non comme source d’émancipation.

Pierre Tournemire

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