Billet de blog 27 mars 2015

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Banlieues populaires françaises : vers une couverture médiatique alternative

Faisons un brainstorming. Et si je vous disais : banlieue ? A quoi, pensez-vous simultanément ?  Sans doute à : drogue, violence, désert médical, mauvaise qualité voire abandon du  service de transports en commun ? Par B. N

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Faisons un brainstorming. Et si je vous disais : banlieue ? A quoi, pensez-vous simultanément ?  Sans doute à : drogue, violence, désert médical, mauvaise qualité voire abandon du  service de transports en commun ? Par B. N

La liste est bien longue. Au mieux, vous évoquerez le personnage attachant de Driss, dans le film Intouchables interprété  par Omar Sy.  Nous sommes bien d´accord. Il s´agit alors de clichés. Et ils ont la vie dure.  Pourtant, certains parmi nous, ne se sont jamais rendus dans ces banlieues et ont une opinion déjà toute faite de leurs habitants. Or,  qui n´a pas entendu, au moins une seule fois,  un résident de ces zones d´habitation  témoigner et nous rétorquer ce type de réplique : Arrêtez avec ces stéréotypes infondés ! En banlieue, il y a des problèmes, mais avant tout ce sont des êtres humains qui y vivent. Ils ont aussi de belles choses à partager et à nous raconter. Il y a des artistes, de la bonne humeur, des rencontres… Bref, la vie quoi !  

Si cela est  vrai et si évident, pourquoi les médias classiques  adoptent et réservent-ils un tel traitement médiatique à cette population qui craint et s´offusque d´une telle diabolisation?

L’impact des émeutes de 2005, comme point de repère

25 Octobre 2005. 20 Mars 2015. Deux dates intimement liées bien qu´une décade les sépare.  La première date correspond à la mort des adolescents Bouna (15 ans)  et Zyed  (17 ans), électrocutés dans un transformateur à Clichy-sous-Bois, une banlieue parisienne. La seconde, tout aussi historique, marque la fin et la cinquième journée d´audience du procès à Rennes, en Bretagne. 

Mon article n´a pas la prétention de juger ni les jeunes, ni les agents. Je ne suis pas juge. Surtout, je n´y étais pas et les circonstances  de leur décès demeurent floues. Les accusés, deux agents de police  n´ont pas su expliquer l´inexplicable devant le tribunal compétent de Rennes. Quant aux victimes, elles ne nous répondront pas d´outre-tombe. Hélas, les morts ne parlent pas. Même lorsqu´il s´agit des derniers instants fatidiques de leur vie. Peut-être que leur ami et seul rescapé de cet accident mortel aura  élucidé  certaines zones d´ombre lors des cinq jours au tribunal correctionnel de Rennes.  Quoi qu’il en soit, celui-ci rendra son verdict au mois de mai prochain.

Inutile de préciser que tout le monde s´impatiente. Cette date sera historique. Pour les proches des victimes, les accusés et leurs familles, elle marquera la fin d´un long feuilleton judiciaire. La Justice tranchera après dix ans d´attente. 

Enfin, pour le Français lambda, témoin de ces événements sombres  de notre pays, ce sera la fin d´un long chapitre de notre Histoire nationale. Les médias d´information sont donc prêts à  couvrir cet événement dans son ensemble et dans les moindres détails, s´il le faut. En attendant, voici ce que j´ai essentiellement retenu de ces dix ans concernant cette affaire.

A la découverte de la banlieue via les médias

Dix ans, c´est long. Deux quinquennats, deux mandats présidentiels. Mais c´est aussi trois présidents français (Chirac, Sarkozy, Hollande) qui se sont succédés à l´Elysée.  Pourtant, je m’en souviens comme si c´était hier.  Effectivement, au-delà de cette fin tragique et des émeutes urbaines qui ont suivi, j´ai alors soudainement réalisé que je vivais sur une autre planète.

Ayant toujours vécu à Paris (Porte de Pantin, Porte de Versailles…), donc pas très loin du périphérique qui nous sépare de mes  concitoyens vivant de l´autre côté de cette frontière. Pourtant, j´étais une étudiante assidue à l´Université de Paris X, localisée à Nanterre. Comme la plupart des étudiants inscrits à cette faculté, je ne me promenais guère dans cette  ville.  En fait, j´avais alors élu, comme lieu de pause et de détente, le quartier d´affaires voisin, la Défense, lorsque mon emploi du temps me le permettait. Avec des amis, on s´y rendait pour faire des courses ou siroter quelques boissons pour casser la routine de la semaine. Plus tard, j´étais à Paris intra-muros, à 19h30, chez papa et maman, dans mon confort parisien. J´étais à des années lumières de la situation et de la vie quotidienne de ces jeunes révoltés, exclus  du système.

En fait, comme des millions de Français, je découvrais les banlieues  populaires du pays avec stupéfaction sur l´écran du poste de télévision familial qui trônait dans le séjour. Tout le monde a été frappé par ce flot d´ images de violences véhiculées en boucle, indifféremment, par les chaînes généralistes et  d´information en continu. La presse écrite et la radio ont également contribué à diffuser de tels messages à un public médusé  et scandalisé par la tournure  que prenaient  ces soulèvements d´une jeunesse mutine. Elle s´exprimait et manifestait son ras-le-bol  en brûlant les voitures,  en caillassant les forces de l´ordre, etc.

Mais sans véritablement prendre la parole ni s´expliquer. Les banlieues populaires, jusqu´ici, ghettoïsées et ignorées étaient alors soudainement sous les feux des projecteurs  et des médias. Ces derniers, sans réellement chercher à comprendre  le malaise de ces jeunes émeutiers,  ont activement alimenté  et renforcé des préjugés à l´encontre de cette population fragilisée par un taux de chômage explosif et d´autres problèmes socio-économiques. Ils étaient alors devenus des vandales voire des barbares aux yeux d´une partie de la population. 

Alors, comme tout le monde,  je me suis posée une série de questions simples, dont celle-ci : comment a-t-on pu en arriver là ? Des réponses ont été données.  Elles étaient dans les débats télévisés, sur Internet et dans les articles de presse écrite. J´ai alors régulièrement suivi les échanges entre hommes politiques, chercheurs spécialisés sur les questions sociales et journalistes sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio. J’ai lu la presse de gauche et de droite pour mieux cerner les problèmes de cette frange de la population. Des réponses à mon questionnement ont été données. Mais  ce n´était pas suffisant puisque j´ai tout de suite été  interpellée par l´absence évidente des principaux concernés dans  les médias. Une autre question s´est alors imposée à moi : pourquoi ces jeunes ne donnent-ils pas leurs points de vue  et ne s´expriment-ils pas au journal de 20h de Claire Chazal ?  Je n´ai jamais eu d´explication valide.  Juste des spéculations et des hypothèses d´amis indignés et frappés  par les images de ces  émeutes qui ont fait le tour du monde.

Bondy-Blog, la naissance d’un média alternatif made in banlieue parisienne

Je vous l’avoue, ce n´est qu´après quelques années que j´ai découvert Bondy Blog en naviguant sur la Toile. En effet, des citoyens ordinaires ont décidé de prendre le taureau par les cornes. Au lieu de s´indigner sur le sort et le traitement de l´actualité qui leur est réservé, ils ont été incités et encouragés à créer leur propre organe de presse afin de  raconter,  à leur manière leur réalité.

L´équipe, constituée essentiellement de jeunes de la banlieue parisienne  de  Bondy et de ses environs, est  encadrée par des militants locaux connaissant leur quotidien pour les écouter, les orienter sur le choix de leurs sujets et  les conseiller pendant la phase de rédaction de leurs billets.  En fait, très tôt, cet organe se revendique, modestement, d’être la voix, voire l´écho de la banlieue populaire parisienne via Internet. Ces jeunes, sans bagage ni formation en journalisme, se sont alors lancés dans une aventure humaine et  de partage pour raconter leur réalité de la banlieue. Sans clichés dévalorisants,  leurs articles traitent de leur  environnement et de leur mode de vie. Ils abordent, avant tout, des sujets relatifs à  la banlieue, que les autres médias auraient dépeints sous des angles peu gratifiants. Les thèmes peuvent être liés à l´actualité nationale, mais aussi se limiter aux événements locaux. Certains articles prennent un ton grave et sérieux, d´autres, au contraire, empruntent celui de l´humour, parfois décalé.

C´est dans cet esprit que le film Bondy Blog, portrait de famille a été réalisé par le documentariste Julien Dubois. Pendant, sa projection  publique du 20 Mars 2015,  au théâtre parisien de la Gaîté Lyrique, organisée par le Centre de Liaison d´Enseignement des Médias d´Information (CLEMI),  dans le cadre de la 26ème Edition de la Semaine de la Presse dans l´Ecole,  nous avons pu  découvrir des portraits, comme le titre éponyme l´indique.  En effet, le réalisateur retrace le parcours de quelques journalistes en herbe de cette rédaction associative. Très jeunes, à leur arrivée à l´association Bondy Blog, ils témoignent, devant la caméra de leur expérience, de leur goût pour le journalisme, de leur parcours ou encore des opportunités saisies au sein  et en dehors de la rédaction, dix ans après la création de celle-ci.

 Mais toute cette énergie dépensée et cet engagement ne sont pas faits pour la gloire. Il y a un but et un  acte militant derrière une telle mobilisation.  D’ailleurs la rédaction de ce journal en ligne ne s’en cache pas. Elle avoue sans détour, soutenir les  proches de Bouna et de  Zyed dans cette épreuve judiciaire. D´ailleurs, ses journalistes se déplaceront  alors à Rennes,  lorsque le tribunal  correctionnel rendra sa décision le 18 Mai 2015.    

En somme, la mort de ces adolescents  aura non seulement marqué l´Histoire contemporaine de la France à l´instar de la marche des Beurs, dans les années 1980, mais elle aura  aussi  influencé celle des médias français. Ces derniers ont perdu tout crédit auprès d’une grande partie des jeunes issus des banlieues populaires françaises. Contrairement, à leurs aînés, ils les consultent ou les regardent  de moins en moins au profit  d’autres médias alternatifs pour se faire une opinion, quitte à être en contradiction avec celles relayées par les médias traditionnels,  qui,  selon eux,  les auraient diabolisés, depuis les événements de fin 2005, entre autres. Ils préfèrent alors se rendre sur Internet et s’informer sur des sites  labellisés  et marqués d’un sceau « Média alternatif » ou « Journalisme participatif ». Bondy Blog qui a su se rendre indispensable et décalé dans le traitement de l’actualité en est une parfaite illustration. Pionnier dans ce genre en France, il a su définitivement s’imposer dans ce nouveau paysage médiatique.

Personnellement, je ne me rends pas spontanément sur ce site qui a un franc-succès auprès des  internautes. Pour être honnête, je l´ai découvert, via Facebook, il y a quelques années, et je lis  certains articles qu´un ami virtuel aura posté et commenté sur son mur. Mais pour d’autres, il est devenu une référence et une source d’information en ligne.

B.N, étudiante en Education aux Médias, Sorbonne-Nouvelle Paris 3

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