Miracle de la sérendipité, Philippe Lacour, pour La Vie des idées, est venu à mon secours.
Il y raconte l'expérience de Citizendium, une encyclopédie qui reprend les articles de Wikipedia pour les soumettre à une procédure de refereeing light, c'est-à-dire d'évaluation et d'édition critique a posterioti par des experts («gentle expert oversight»). En bon français, on appelle ça un comité de lecture.
La démarche, en somme, est la même que la notre: adapter une méthode analogique (l'édition d'une revue) aux outils numériques (les réseaux sociaux, les blogs, les karmas, ...)
Voyons comment fonctionne la revue:
Dans le monde réel, l'auteur, spécialiste de sa spécialité, rédige un article sur sa dernière découverte. Il envoie son manuscrit (avec la recommandation éventuelle d'un ou plusieurs de ses pairs, plus renommés et qui apportent leur caution à cet article) à l'éditeur de la revue. Celui-ci l'évalue rapidement: est-ce ou non digne d'intérêt? pertinent? sérieux? dans le ton de la revue? Il désigne des relecteurs, experts reconnus du domaine concerné et fixe une date limite pour rendre leurs conclusions et leurs demandes de correction (erreurs ou points à préciser). A la lecture de ces rapports, l'éditeur revient vers l'auteur, lui suggère des corrections, lui demande de retravailler telle ou telle partie. Ou l'informe que son article n'est pas retenu.
On reconnaît là beaucoup de choses que le Web 2.0 sait faire, voire sait simplifier:
— Rédaction de l'article. C'est simple: il s'agit d'un blog. On peut même imaginer une écriture publique et progressive de l'article en intégrant les remarques des lecteurs du blog.
— Envoi aux revues. On soumet le billet fini à une ou plusieurs éditions, c'est-à-dire un groupe d'intérêt commun dans un réseau social. Il faut néanmoins en restreindre l'adhésion: pas question d'en faire un groupe entièrement ouvert comme cela existe sur Facebook. La meilleure solution reste la cooptation en envoyant des invitations à faire partie de la revue (c'est l'une des options des éditions sur Mediapart).
— Evaluation de l'éditeur. Sur Internet, ce sera l'administrateur du groupe (le rédacteur en chef de l'édition chez Mediapart) qui modèrera a priori, c'est-à-dire qui décidera de l'opportunité de faire franchir une nouvelle étape au post. Sur Mediapart, la modération des éditions se fait a posteriori.
— Désignation du comité de lecture. On utilisera ici les fonctions des logiciels de réseaux sociaux: carnets d'adresse, groupes de travail (éditions sur Mediapart), «friends» (contacts sur Mediapart)...
Cela suppose que les membres de l'édition soient correctement identifiés, que l'on puisse connaître leurs spécialités et leur légitimité à s'exprimer sur tel ou tel sujet ou à évaluer les travaux d'autres. Certains sites, comme Slashdot, propose une méritocratie quantitative: les membres les plus actifs et les mieux notés par la communauté peuvent devenir éditeurs. Il faut, à tout le moins, affiner cette mesure par un rubricage (voir Plastic) pour savoir dans quels domaines ils ont obtenus la confiance des lecteurs.
— Lecture critique et édition. Là, c'est une fonction qui n'existe pas chez Mediapart. Il faut pouvoir annoter et modifier un texte, assurer un suivi des modifications (qui a changé quoi et quand?), et accepter ou refuser des corrections. Dans la vraie vie, c'est un interminable va et vient de ratures, de biffures, de découpages et de collages, de paragraphes réécrits dans la marge, de feuilles intercalaires foliotées en bis, ter, ... Sur la Toile, il suffit d'avoir recours à un wiki.
Si l'on interface le wiki avec un système de messagerie simplifiée (type Googlegroups) ou, mieux, de messagerie instantanée pour commenter en direct et de microblogging (type Twitter) pour laisser des anotations; et avec un logiciel de calendrier, et tout particulièrement avec la fonction liste de tâches (to-do list) pour s'assurer que le travail ne prend pas de retard, la fonction d'animation du comité de lecture devient (presque) simple.
— Publier dans la revue. Deux solutions: une fois la date du bouclage atteinte, l'article est automatiquement en ligne. C'est la plus efficace. Après tout, le Web n'est pas le papier et en cas de gros pépin, il est toujours possible de reprendre, après publication, les ultimes coquilles. L'autre: attendre la validation de l'éditeur. C'est la plus raisonnable. Quelqu'un donne le «bon à tirer» et prend la responsabilité d'assurer au lecteur que cet article qui lui est proposé est du niveau de ce qu'on lui donne à lire habituellement.
— Diffuser. Dernière étape: que le meilleur de cette information parviennent aux masses avides de connaissance.
Ici encore, la sagesse des foules peut nous aider pour peu que l'on mette en place un système de notation (type Digg) perfectionné (la valeur de la note attribué est pondérée par l'autorité de celui qui note dans le domaine de l'article noté). Ainsi, les articles les mieux notés sont mis en vitrine. Sur Mediapart, c'est la rédaction qui choisit ce qui est placé en une du club. Mais on pourrait imaginer que la notation soit au moins une aide à la décision.
Dans une certaine mesure, les trois pavés en pied de la page d'accueil jouent ce rôle pour le journal:
- les plus lus: cette mesure sanctionne surtout le talent de celui qui a rédigé le titre et la présentation. Le sujet a intrigué et le lecteur a cliqué. Même sur les sites d'information les plus sérieux, cette catégorie promeut généralement les articles bizarres, insolites ou qui concernent directement le lecteur. Quant à savoir si le papier a été lu ou apprécié, c'est plutôt l'affaire de la mesure suivante;
- les plus recommandés: on mesure là le nombre de personnes qui ont cliqué sur le petit coeur dans la boîte à outils. Les articles ainsi distingués apparaissent dans les favoris de la page personnelle. Cela signifie donc à la fois que la personne a voulu conserver cet article pour y revenir ou pour suivre les commentaires, et
Enfin, on trouve, sur les sites gratuits (l'accès aux articles de Mediapart étant payant, elle n'a pas grand sens tant que nos correspondants ne sont pas abonnés), la catégorie «les plus envoyés», qui rejoint, dans son résultat les plus recommandés. Ce sont des articles exemplaires, qu'on a envie de promouvoir pour se promouvoir.