Billet de blog 5 avril 2008

Vincent Truffy (avatar)

Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

Ce week-end, sauvons la presse écrite

Comme le montre encore l'exemple du Monde, la presse est en crise et fait les mauvais choix:Moins de lecteurs (l'offre est si importante qu'il faut désormais se partager des miettes d'attention) donc moins de pub (qui bascule sur Internet mais s'atomise donc ne permet pas non plus à la presse en ligne de vivre); moins de pub donc moins d'argent (mais des coûts fixes); moins d'argent donc moins de journalistes et surtout, moins de journalisme. C'est le raisonnement mortifère de toute la presse écrite en France et dans le monde.

Vincent Truffy (avatar)

Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

Comme le montre encore l'exemple du Monde, la presse est en crise et fait les mauvais choix:

Moins de lecteurs (l'offre est si importante qu'il faut désormais se partager des miettes d'attention) donc moins de pub (qui bascule sur Internet mais s'atomise donc ne permet pas non plus à la presse en ligne de vivre); moins de pub donc moins d'argent (mais des coûts fixes); moins d'argent donc moins de journalistes et surtout, moins de journalisme. C'est le raisonnement mortifère de toute la presse écrite en France et dans le monde.

Cherchons plutôt comment elle peut répartir mieux ses forces pour satisfaire ceux qui la lisent encore et, rêvons, pour trouver de nous lecteurs:

— Ce qui fait la différence, c'est l'enquête et le reportage. L'analyse, souvent citée, n'est souvent qu'une reprise plus ou moins habile des idées qui sont dans l'air. Pas de plus-value de ce coté-là.

— La presse peut en revanche économiser en ne couvrant pas ce qu'on sait déjà largement couvert. Je ne suis pas journaliste sportif, mais il me semble que s'il s'agit juste de commenter un match de football, cela se fait aussi bien devant la télévision que dans la tribune de presse. Donc, éviter la duplication partout où il n'y a pas d'enquête.

— Elle peut se fier au reportage citoyen en associant les lecteurs comme des correspondants locaux, bien plus au fait de l'histoire locale que n'importe quel reporter. Donc, pas d'hyperlocal.

— Elle peut «syndiquer» l'actualité obligatoire, ouvrir les colonnes aux lecteurs, se contenter de revues de presse bien pensée pour l'analyse et le commentaire et se concentrer sur le reportage inédit et l'enquête complète (par opposition aux scoops feuilletonnés).

— Elle peut envisager de partager les frais de l'enquête/reportage en revendant le sujet ensuite à des supports non concurrents (par exemple des pastilles de son prêt à l'emploi pour les radio d'information continue qui vont relayer le sujet sur leur antenne, de la vidéo pour la télé) et d'audience différente (national vs local vs étranger) ou en échangeant du contenu (traduction de reportages étrangers, par exemple).

Voyons ensuite ce que la presse peut faire et que les blogueurs ont du mal à imiter:

— Jouer sur la transversalité: faire travailler ensemble des personnes de spécialités différentes, ce qui permet de ne pas aborder les sujets économiques que par l'économie, ...

— Enquêter «au long cours»: consacrer du temps à une enquête ou un reportage pour lequel il faut de la disponibilité (dans le temps et l'espace) pour pouvoir être complet et donner de la «couleur».

— Permettre l'accès direct aux sources: les blogueurs peuvent avoir ponctuellement le bon contact, de l'information «de l'intérieur», mais difficilement être des généralistes.

En revanche, il est facile et pas cher pour n'importe qui d'être hyperréactif, de s'approprier (même en prenant le temps de vérifier) une information exclusive et d'y joindre son analyse, son commentaire), de s'adresser à un lectorat hyperciblé. Donc pour cela, il vaut mieux s'appuyer sur le participatif.

Le patron du groupe Springer, Mathias Döpfner expliquait assez bien cela (je n'ai plus la référence, mais il a prononcé un discours assez proche à Davos):

Pour lui, Internet privilégie une approche verticale de l'information: un accès immédiat à quelque chose que le lecteur cherche, la possibilité d'approfondir et de se spécialiser.
Le journalisme classique, lui, se veut plus horizontal en offrant un accès guidé à d'autres horizons (l'intérêt général).

Il préconisait donc de donner, à rendez-vous réguliers:

— des infos exclusives et non duplicables (pas des scoops simples qu'il suffit de citer pour enlever tout intérêt à la consultation du site/du journal qui l'a sorti, mais des enquêtes fiables et complètes, des entretiens en profondeur, des reportages sur la durée),
— des opinions divergentes et indépendantes (pour confronter ses idées, pour être indispensable, même à ses contradicteurs, des positions fermes et tranchées, des argumentaires clairs. C'est-à-dire, être le lieu du débat et pas du dogme, donner aux lecteurs des sujets de conversation, des occasions de penser contre leurs convictions).
— une hiérarchie claire et assumée (dire simplement: il est important de savoir ceci pour se mettre en phase avec le monde à ce moment précis).
— une expression captivante (savoir prendre le lecteur par la langue et l'obliger à lire ce qui, à priori, ne l'intéresse pas. Donc, pas de jargon, pas de connivence, pas d'implicite, mais du récit).