Billet de blog 9 juin 2008

Vincent Truffy (avatar)

Vincent Truffy

Journaliste à Mediapart

Jivaro II : La méthode Metro

L'avantage — pour un patron de presse — quand on réduit le format d'un journal, c'est qu'on réduit le coût des matières premières: le papier et la pige (écrite ou photographique). Le problème, c'est qu'on réduit aussi le volume des annonces.

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Journaliste à Mediapart

L'avantage — pour un patron de presse — quand on réduit le format d'un journal, c'est qu'on réduit le coût des matières premières: le papier et la pige (écrite ou photographique). Le problème, c'est qu'on réduit aussi le volume des annonces.

1. Le prix de la publicité
Même avec un prix au millimètre plus élevé, le journal qui passe au demi-format (du broadsheet au tabloïd ou du berlinois au demi-berlinois) perd au moins 10% de revenu publicitaire. Rien qu'avec les nouvelles marges intérieures créées, on réduit la surface imprimable d'à peu près un dixième. La contrepartie généralement envisagée pour augmenter les tarifs consiste à améliorer la qualité du papier, à agrafer le cahier, voire à élaborer tout un argumentaire sur l'impact de la publicité qui doit être mesurée par rapport à la surface totale de la page plutôt qu'au millimètre.


Bien sûr, les annonceurs avancent que dans les petits formats, l’environnement rédactionnel est plus mince donc les lecteurs s’attardent moins sur la page. L'argument du vendeur d'espace consiste alors à dire qu'un petit format ne se considère pas page par page, mais par double, face-à-face. L'environnement rédactionnel est alors celui de la double page. Il peut aussi avancer que les demis-formats ne sont pas pliés en kiosque, donc que les annonces ne maculent pas à la pliure, donc que l'annonce est mieux reproduite.


2. Les coûts de production
Les articles sont certes plus courts, mais aussi plus nombreux: il faut écrire notamment écrire deux fois plus d’articles «leader» capables de tenir la page. Idem pour les photos: elles sont plus petites donc moins chères, mais plus nombreuses. Enfin, il y a deux fois plus de pages à envoyer à l’imprimerie, ce qui n'est pas un problème négligeable, même pour la rédaction parce que ce temps là est pris sur l'heure de remise de la copie, donc de l'enquête: les horaires doivent être beaucoup plus étalés et plus stricts. Bref, le rétrécissement est rarement un gain pour le journaliste.


3. Le lifiting de la maquette
Voici les conseils de Pelle Anderson (Metro Suède)
«— C’est l’occasion de nettoyer la maquette. En profiter pour se débarrasser des éléments superflus, s’inspirer des idées qui marchent chez les concurrents et les « mettre à l’échelle » du nouveau format (réduire le corps, la taille des photos, … le temps de recherche photo et d’enquête journalistique est le même, mais la taille de chaque élément moindre). Attention à ne pas abandonner ce qui fonctionne bien (ne repartez pas de zéro uniquement parce que votre maquettiste en a décidé ainsi. La continuité n’est pas forcément le conservatisme. Soyez conscient de vos points forts aussi bien que de vos faiblesses.)
— Garder son identité. Si on est un journal sérieux, il faut à tout prix éviter la pédagogie inutile (ex. donner trop d’espace à la photo, au corps de titre, multiplier les photos n’apportant rien, la multiplication des inters, les paragraphes trop courts). Assurez-vous que vous ferez bien le même journal en diminuant le format.
— Il faut installer un fort contraste entre des grandes photos de qualité et des vignettes moins utiles pour leur contenu que pour guider l’œil du lecteur dans la page, ménager du blanc face au gris du texte, ajouter plusieurs niveaux de lecture, multiplier les entrées. Considérer que le lecteur est intelligent mais pressé (il veut s’y retrouver vite mais ne pas être pris pour un imbécile), déjà informé, mais pas forcément bien (sortir les éléments clés, les points critiques et qui font débat). Ne repensez pas la formule sans repenser l’iconographie (une maquette novatrice et une ligne iconographique datée ne peuvent pas cohabiter ; l’anticipation est le seul moyen d’obtenir de meilleures photos ; Il faut dénombrer ce qui est représenté (hommes, femmes, vieux, jeunes, blancs, noirs) et le comparer à la composition de son lectorat (identification possible ?) ; toujours garder de la place pour la surprise.)
— Alterner articles courts et longs. (Ne vous focalisez pas sur la maquette en oubliant le déroulé et le rythme. Le déroulé fait partie de l’image de marque ; sans rupture, pas de structure ; la navigation doit être facile à comprendre et créer un rythme).
Découper les articles longs en plusieurs petits, transformer les fenêtre en infographies, prévoir l’espace de la photo (mais s’il n’y a pas de bonne photo, prévoir du marbre et publier la page sans photo : il n’y a jamais de bonne raison de passer de mauvaises photos).
— Il faut toujours au moins une bonne histoire pour tenir la page.
Créer 5 ou 6 prémaquettes et se tenir à ça. On a alors plus de temps pour éditer les papiers, sortir des éléments du texte pour un traitement typographique (un chiffre, une citation), infographique (des chiffres, un schéma) ou photographique. (page optimale 3 articles + 5 brèves). En petit format, chaque élément de la maquette devient plus fort.
— Deux fois plus de pages => pour que le lecteur s’y retrouve, créer un rythme, une structure claire pour lui. Il faut trouver un moyen graphique de faire courir un sujet sur plus d’une double au besoin (ex : les couleurs dans les événements de Libé). Créer des ouvertures de redémarrage de la lecture. Utiliser la pub en fermeture de séquence).
— Opter pour une justif qui assure 30 à 35 signes par ligne (pas de 6e colonne). Le petit format requiert une typo de texte plus grosse car si on ne plie pas le journal, on le tient plus loin de ses yeux et si on le lit plus dans le métro (puisqu’il est plus maniable), il faut faire avec le mauvais éclairage => le rendre plus lisible. Bannir le caractère sans empattement dans les textes et prévoir un interlignage plus important pour les brèves. La mode, spécialement en matière typographie, peut être un piège (trouvez votre personnalité mais écartez ce qui peut sembler étrange, intrigant ; évitez les polices à la mode dans les journaux ; excluez les polices utilisées par les annonceurs)
— N’oubliez pas l’objectif et conservez le cap. Il faut un an d’accompagnement de la formule pour l’aider à s’installer. La précipitation n’est pas la solution, mais ne décevez pas en faisant des choix de compromis. Demander l’avis des gens ne signifie pas leur laisser le pouvoir de décider ; faites savoir dès le départ qui tranchera. N’échouez pas en ayant mal mesuré le temps nécessaire ou en manquant de temps (la prise de décision peut prendre beaucoup de temps ; et la pédagogie auprès de la rédaction plus encore.) Ne croyez pas que le changement de formule est achevé lorsque le n°1 est sorti. Programmez des évaluations régulières ; donnez aux innovations le temps de s’installer ; abandonnez les innovations qui ne marchent pas à long terme.
— Il faut repenser le séquençage du journal. Le journal dont je m’occupe actuellement présente 3 parties : 1. toute l’actualité ; 2 culture, analyses et débats ; 3. un sujet décalé chaque jour, une découverte.»