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Billet de blog 10 décembre 2012

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Mediapart et infoLibre (2): nouvelle information et vieille liberté

Accompagnant l’annonce du lancement prochain d’infoLibre, dont nous sommes partenaires, l’édition espagnole du Manifeste de Mediapart est précédée d’une introduction de son éditeur, Daniel Fernández, président de Edhasa. Intitulée La nouvelle information et la vieille liberté, elle explique pourquoi, dans l’actuel contexte de crise, ce texte français concerne le lecteur espagnol. Voici la traduction du texte intégral de cette préface à Combate por una prensa libre.

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Accompagnant l’annonce du lancement prochain d’infoLibre, dont nous sommes partenaires, l’édition espagnole du Manifeste de Mediapart est précédée d’une introduction de son éditeur, Daniel Fernández, président de Edhasa. Intitulée La nouvelle information et la vieille liberté, elle explique pourquoi, dans l’actuel contexte de crise, ce texte français concerne le lecteur espagnol. Voici la traduction du texte intégral de cette préface à Combate por una prensa libre.

La nouvelle information et la vieille liberté

- par Daniel Fernández -

Editer fin 2012 le manifeste Combat pour une presse libre d’Edwy Plenel n'est pas seulement un acte en faveur de la liberté de la presse, mais c’est (pardonnez-moi cette double pédanterie) une audace indéniable ...

Un manifeste clairement français à propos de la liberté de la presse en France et sur la nécessité – in fine – d’avoir un nouveau média, Mediapart, journal numérique, né en 2008, qui a participé bien volontiers à la chute de Nicolas Sarkozy. Il s’agit du « petit journal numérique » qui, pour faire court, et pour situer le lecteur espagnol, a révélé au grand jour l'« affaire Bettencourt »...

Quel intérêt peut revêtir un tel document, un tel livre, pour le public espagnol ? Quel sens donner au fait d'éditer, en castillan, quelque chose de si français, et… de si parisien, de si éloigné de l'Espagne au moment des fêtes de Noël de 2012 marquées par le désespoir économique, politique et social, et ce, après quatre longues années où tout a été de mal en pis ?

Et bien, précisément, cher lecteur, "mon semblable, mon frère", la lecture de ce petit volume, de ce manifeste audacieux et radical, trouve tout son sens dans l’Espagne actuelle et dans celle qui est à note porte ... Ce n'est pas la première fois, bien sûr, que la lumière de la France nous aidera à percevoir la sortie du tunnel ou, tout simplement, à mettre des mots sur un sentiment général concernant une bonne partie de l'humanité.

Je sais que je me suis probablement laissé aller ; et je suis sûr que M. Plenel, journaliste et intellectuel (un autre mot décrié dans notre Espagne d'aujourd'hui) sera réticent face à ma - nommons la ainsi - passion. Mais, qui puis-je ? Je considère Mediapart comme une forme, tout à la fois nouvelle et ancienne pour faire valoir le journalisme et, en particulier, les libertés d'expression, d'information et de réflexion. Et ce livre d’Edwy Plenel m’apparait comme la meilleure introduction possible aux nouveaux medias, ou en tout cas à des medias renouvelés indispensables dans notre vieille Espagne, fatiguée et presque vaincue.

La presse – et en particulier la presse écrite, le papier sur lequel sont imprimées les idées dès le lendemain – s'effondre dans tout l'Occident. Et, comme cela se passe dans l’édition, rien de tel que de savoir que nous sommes en train de mourir, pour que certains se suicident et d'autres choisissent de nous éliminer...

Cependant, le quotidien, l'ancien rôle de la presse comme sa fonction, demeurent nécessaires, et peut-être plus que jamais aujourd’hui. Car il est vrai qu'une mosaïque de soi-disant « nouvelles » nous accompagne, pleine de bruit et de fureur, tout le temps et partout, sur tous nos écrans, les petits comme les grands, et à travers autant de réseaux qui aujourd'hui nous rattrapent et nous empêchent peu à peu de nager...

Il est impossible pour le moment, de ne rien savoir, de ne pas être au courant. Toute nouvelle information est renvoyée mille et une fois. N’importe quelle rumeur devient un potin universel, n'importe quelle bagatelle passe pour importante, de nombreuses images insolites ou stupides trouvent une vague de propagation : virale, comme ils disent ! L'expression me semble parfaite. C’est justement pour cela, et j’insiste sur ce point, qu’il est essentiel de revenir á l'essence du meilleure journalisme : la recherche et la rigueur. Des histoires racontées par des gens qui veulent découvrir et qui savent conter, sous réserve de vérifications et de corrections. La recherche de la vérité et de son sens, de la causalité, le pourquoi des choses, son comment, sa temporalité, savoir á qui profite et á qui cela cause dommage, appréhender et interpréter la réalité, comprendre et révéler ce qui est caché, et ce, en toute indépendance des pouvoirs en place, des conglomérats politiques, financiers et des milieux d’affaires, en évitant la collusion malsaine entre les médias et leurs propriétaires, entre les banquiers et les leaders d'opinion, entre les secrétaires généraux des partis politiques et les grandes entreprises.

Une presse libre est une presse qui informe ses lecteurs et qui se doit à ses lecteurs et á ses journalistes, évidemment par une alliance qui n'est pas seulement économique, mais principalement moral et faite de crédibilité et de respect mutuel.

La conférence de presse, si utile et démocratique en d’autres temps, égalitaires entre les médias, qu’ils soient grands et petits, est aujourd'hui la roue, un artefact, dans le quel tourne un média qui fait peu de recherches, d’investigations, qui réfléchit moins et qui semble avoir perdu son essence originelle la plus importante : l'indépendance et la liberté.

Epoque étrange où il faut réinventer l’évidence, mais peut-être s’agit-il de cela. Il n’y a pas dans l’horizon espagnol un journal Mediapart, bien que certains tentent de combiner la nouveauté numérique et l'ancienne presse, ou vont le tenter.

À mon humble avis, le plus proche – et c’est pourquoi nous sommes ici – est infoLibre (information libre et indépendante) qui est en train de se constituer ; Jésus Maraña en planifie et en promeut sa naissance, lui qui signe l’autre préface espagnole de ce livre. Le temps nous dira si cette tentative sera couronnée de succès ; et que les accompagnent chance et succès dans leur travail !

Parce qu’il est clair pour moi – et je pense que nous nous rejoignons avec Plenel sur ce point –,  que la nouvelle information, la nouvelle ère des médias numériques, nous oblige et est plus exigeante envers la nécessaire et vieille liberté, envers la radicalité d'une presse sans attaches et sans engagements au-delà de l'imaginable et de l’identifiable: rigueur, qualité, analyse, fiabilité et, bien sûr, savoir également différencier les faits de l'opinion. Parce que raconter des histoires, des événements, relève toujours d’une reconstruction, mais le bon journaliste, comme l'historien, se questionne sur sa version des événements et même jusqu’á sa propre implication idéologique et ses positions initiales avant de les publier... Il s’agit, pour la plupart, et à travers de nombreuses formulations, d’anciennes règles, qui aujourd’hui s’adaptent nécessairement à un monde en perpétuel mouvement.

Il y a vingt-cinq ans, un groupe d'amis était en train de déjeuner et de discuter sur différents points d’érudition comme toujours ... Dans ce groupe, il avait et il y a toujours un notaire, deux journalistes, un fabricant d'enseignes, un propriétaire de bars branchés, un avocat, un caviste et un éditeur. Il y a vingt-cinq ans nous n'avions pas de téléphones dans les poches, pas plus que d’ordinateurs portables, pas d'Internet, pas de bandes passantes á haut débit, pas de… Il y a  vingt-cinq ans, il était difficile de vérifier un fait, une date, une information. Maintenant, tout cela est immédiat et des plus banal, mais ce ne l’est pas justement : la narration, l'histoire, ce qui est dit et la façon dont c’est raconté importent en effet. Maintenant plus que jamais, l’érudition seule peut servir à soutenir une idée, sinon, rien n’est possible ... Maintenant, nous avons besoin d'une presse libre, pardon pour le dire ainsi, d’une presse informée qui demande et exige également un lecteur qualifié et exigeant á son tour. C'est seulement ainsi que nous nous enrichirons mutuellement et que nous comprendrons mieux le monde d'aujourd'hui qui annonce un lendemain.

Terminons par cette citation attribuée à Bertolt Brecht et que je suis incapable de retrouver, mais si souvent répétée : « Si la vérité est trop faible pour se défendre, elle doit passer à l'attaque. »

Ce livre de Plenel nous manquait, infoLibre nous manque, comme nous avons besoin d’une presse libre et indépendante, de journalistes ayant un cœur et une tête, pour eux et pour leurs lecteurs...

Barcelone, 21 octobre 2012