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Billet de blog 12 décembre 2012

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Mediapart et infoLibre (3): contre la résignation

Troisième et dernier billet sur le partenariat noué par Mediapart avec le projet espagnol infoLibre. Son initiateur et cofondateur, le journaliste Jesús Maraña, explique en prologue de Combate por una prensa libre, l'édition espagnole de notre Manifeste, les principes professionnels et valeurs démocratiques qui sont au cœur de notre association. Voici la version française intégrale de ce texte, intitulé Contre la résignation.

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Troisième et dernier billet sur le partenariat noué par Mediapart avec le projet espagnol infoLibre. Son initiateur et cofondateur, le journaliste Jesús Maraña, explique en prologue de Combate por una prensa libre, l'édition espagnole de notre Manifeste, les principes professionnels et valeurs démocratiques qui sont au cœur de notre association. Voici la version française intégrale de ce texte, intitulé Contre la résignation. Mes deux précédents billets sur l'alliance entre Mediapart et infoLibre se trouvent ici et . Et la présentation de la nouvelle édition, numérique et augmentée, du Manifeste de Mediapart est ici

Contre la résignation
– par Jesús Maraña –

Edwy Plenel (Nantes, 1952) est incapable de le dissimuler: il s’étoufferait, s’il ne pouvait respirer, en plus de l’air, le journalisme. Il a travaillé au Monde pendant 25 ans, quotidien dont il est devenu le directeur de la rédaction. Il a quitté ce poste quand il lui a semblé manquer l’oxygène de l’indépendance, sans lequel il est impossible de faire ce métier correctement. Il  a convaincu des collègues du Monde, de Libération et d’une dizaine d’autres médias, de former un groupe de 25 journalistes, qui ont fondé, en 2008, Mediapart, un quotidien en ligne radicalement indépendant. La preuve en 2010, lorsque le journal a résisté aux pressions, menaces et attaques judiciaires orchestrées par le tout puissant Nicolas Sarkozy, après les révélations de Mediapart sur les connivences et les faits de corruption mêlant l’héritière de L’Oréal, Lilliane Bettencourt, et des dirigeants haut placés de la droite. Sarkozy a dû quitter l’Elysée après sa défaite électorale de 2012. Mediapart, depuis, continue de faire du journalisme depuis ses modestes bureaux du 8, passage Brulon, totalise environ 60.000 abonnés et enregistre désormais des bénéfices.
Tout à la fois inspiré et passionné par l’expérience de la naissance de Mediapart, Edwy Plenel a écrit ce manifeste, qui rend hommage, dès son titre (Combat pour une presse libre) au Combat d’Albert Camus, revue mythique née dans la clandestinité de la résistance aux nazis. Comme ce dernier, il part du principe que la liberté de la presse («un droit des citoyens, pas un privilège des journalistes») est en danger, même si, aujourd’hui, les menaces ne se déplacent pas en tanks, ou ne revêtent pas la forme de croix gâtées. Cette liberté est en danger, parce ce sont les grandes entreprises, les entités financières, mais aussi leurs tentacules qui se déploient jusque dans la sphère politique, qui contrôlent et influent, aujourd’hui, sur les médias.
Cela fait plus d’une décennie que la presse (en France, en Espagne…) est aux prises avec un processus suicidaire. A la désorientation provoquée par la révolution numérique s’ajoute la crise économique, qui entraîne une chute brutale des revenus publicitaires. Les groupes de presse ont réagi en se séparant de ce qu'ils avaient de plus précieux: l’expérience de leurs journalistes. Si bien que la qualité des journaux recule, et que la saignée de leurs lecteurs se poursuit. Nous en sommes arrivés à un tel niveau, qu’il est devenu secondaire de se demander quelle sera la date de décès de la presse papier. L’enjeu, c’est de savoir si le journalisme va survivre ou non, quel que soit le canal par lequel on le distribue.
Plenel se refuse à adopter des points de vue corporatistes ou syndicaux, pour se concentrer sur l'essentiel, la vitalité démocratique. Une presse, si elle est faible, perd sa liberté, se transforme en un simple instrument aux mains d’intérêts divers et bâtards. Et en l’absence de médias capables d’exercer un journalisme indépendant, ce sont les citoyens qui pâtissent d'un affaissement de leur démocratie. Ce nouveau Combat est un coup de poing dirigé contre cette sorte de mélancolie ou de résignation, qui semble impreigner le journalisme (en France et en Espagne). C'est un appel à la résistance et à l’action. Il ne sert à rien de pleurer après les soi-disant gloires passées, ou de rester assis à regarder le spectacle d’un monde ancien qui n’en finit pas de mourir, tandis que le monde nouveau, lui, peine encore à se définir. Pendant ce temps-là, les kiosques de journaux ferment (au moins 70 en Espagne depuis 2008) et des milliers de journalistes sont licenciés (8.000 sur les quatre dernières années, toujours en Espagne, selon l’observatoire de la fédération des associations de presse). Les groupes de presse tombent aux mains d’intérêts purement financiers. A tel point qu'El Pais, quotidien espagnol de référence, a dû intégrer, parmi ses actionnaires, les banques créditrices de sa gigantesque dette.
Plenel s’arrête à peine sur l'éternel débat concernant le brouillage entre communication et journalisme, réactivé par l'essor du journalisme en ligne. Il fait le pari sans nuances du journalisme, et de la valeur de l’information. Il est question d’agir, de fabriquer des journaux en ligne, selon trois piliers fondamentaux: indépendance, qualité et participation. Les économies de coût engendrées par internet, en comparaison aux coûts d'un journal papier, permettent de consacrer l’essentiel des moyens financiers à la rédaction. Ce qui permet de mettre sur pied des modèles économiques, pour ces entreprises, suffisamment équilibrés pour que leur indépendance soit garantie. Internet offre des possibilités quasiment infinies pour améliorer la qualité de l'information. Ses ressources peuvent permettre de dépasser les vices de la saturation, pour trier, hiérarchiser, documenter, conceptualiser ou approfondir. Et il serait absurde, dans ce contexte, de ne pas profiter d'un autre avantage qualitatif: le débat public, le dialogue permanent et la participation des lecteurs, qui ne sont plus de simples abonnés suiveurs, mais des membres d'un club, d'une communauté d'intérêts partagés. Si nous, les journalistes, décidons de faire de notre loyauté absolue une priorité, il est possible, alors, que des lecteurs reconstruisent des liens de fidélité avec nous.
Ce que propose Plenel est une refondation du journalisme, depuis les plateformes numériques (internet).  Il en fait une exigence démocratique si forte, qu'elle est presque de l'ordre de la survie. Dit autrement: il sera impossible de soutenir le journalisme, comme activité, ou comme commerce, si l'on ne renoue pas avec une forme de crédibilité au sein d'une démocratie.
Il se passe avec le journalisme ce qu'il se passe avec la politique: trop d'entre-soi, enfermé dans la bulle, depuis laquelle l'on professerait des vanités, comme du haut de sa chaire, au lieu de coller l'oreille à l'asphalte, et d'accompagner les citoyens, dans leurs nouvelles inquiétudes, exigences et intérêts. Mais aussi, ces dernières années, trop de soumission aux obstacles et aux règles liés à la dépendance financière des groupes de presse.
Aujourd'hui, le pouvoir qu'exercent les grands groupes industriels et bancaires constitue peut-être la principale menace pour la liberté de la presse. Ce sont avant tout les cabinets spécialistes en communication, qui travaillent pour les multinationales, qui sont responsables de l'intoxication permanente, davantage que les politiques – qui sont, eux, conditionnés par les intérêts des premiers. Le phénomène n'est pas nouveau. Manuel Vazquez Montalban l'a dénoncé dès 1963 dans son indispensable Informe sobre la information (le premier essai de Montalban, écrit en prison sous le franquisme – NDLR). Mais la mondialisation, à l'époque, n'existait pas, et les nouvelles télécommunications numériques non plus. Aujourd'hui, les «armes d'intoxication massive» prolifèrent.
La meilleure manière de retrouver une crédibilité, de «restaurer la confiance», c'est de profiter des outils offerts par les nouveaux médias en ligne, mis au service d'un bon journalisme. Les journalistes professionnels doivent cohabiter, dialoguer et accepter la concurrence des représentants de ce que l'on appelle du «journalisme citoyen».  Mais à a différence de ces derniers, ils sont obligés de respecter des règles, de se plier à des obligations. Ces neuf principes du journalisme, théorisés par les universitaires Bill Kovach et Tom Rosenstiel il y a presque dix ans (The elements of journalism, 2001, nouvelle édition en 2007), restent d'une grande actualité:
1. La première obligation du journalisme est la vérité.
2. Sa première loyauté est envers les citoyens.
3. Son essence est une discipline de vérification.
4. Ceux qui le pratiquent doivent rester indépendants de ceux qu'ils couvrent.
5. Le journalisme doit exercer un contrôle indépendant du pouvoir.
6. Il doit offrir un forum public pour la critique et le commentaire.
7. Il doit rendre ce qui est significatif à la fois intéressant et pertinent.
8. Ses informations doivent être complètes et traitées dans des formats proportionnés.
9. Ses professionnels ont l'obligation d'exercer leur conscience personnelle.
Dans la meilleure veine du journalisme honnête et engagé, Plenel revendique le respect sacré des faits et l'obligation de chercher la vérité, mais il doute (comme Kovach et Rosentiel) de la supposée impartialité, ou neutralité, qui sont les parents proches de l'indifférence. La quête de la vérité oblige souvent/parfois à prendre parti. « L'indifférence, écrivait Gramsci, c'est l'apathie, le parasitisme, la lâcheté, ce n'est pas la vie. » Tout le manifeste transpire d'un engagement démocratique et d'une conception d'un journalisme au service de la citoyenneté, et non des pouvoirs politiques ou économiques. Un média, quelle que soit la plateforme technologique qui en permette l'accès, est un projet intellectuel, capable de transmettre un ensemble cohérent et organisé d'informations, d'histoires, d'analyse, de débats, d'idées, de connaissances, mais aussi de principes. C'est peut-être la clé pour contrer la défiance. Alors que beaucoup s'efforcent à en faire des «usagers» ou des «clients», les lecteurs, spectateurs ou auditeurs sont des citoyens, et ils ne rendront leur crédibilité aux journalistes qu'à condition que ceux-ci descendent de leur tour, et établissent un dialogue fluide, humble et sincère.
Au-delà de ce pari radical, qui fait de l'indépendance éditoriale la seule voie pour renouer avec un journalisme honnête, le plus intéressant, dans le texte de Plenel, est le suivant: la peur a disparu. Contre l'incertitude vis-à-vis de l'avenir des médias traditionnels et les inconnues du modèle économique, Plenel propose d'agir, d'expérimenter, de tester, d'inventer. Il est probable que la formule de Mediapart (accessible exclusivement par abonnement payant, sans aucune publicité sur le site) ne soit pas transposable dans un autre pays, ou dans un autre secteur journalistique. Ou peut-être que si. Il existe d'autres modèles et formules, il en surgira d'autres, et tout cela va continuer à évoluer.

L'important est la décision de revendiquer un journalisme de qualité, contre l'obsession de l'audience; le pari d'une information exclusive pour peser dans le débat public, plutôt que de jouer les porte-voix de consignes intéressées. Le flux presque infini d'informations qui circulent par les réseaux rend en fait le journalisme plus nécessaire que jamais. Le «combat pour une presse libre», pour un journalisme indépendant, continue de se donner tous les jours.