Une cousine de la Vénus de Willendorf, toute aussi corpulente et signifiante, stéatopyge on l'imagine, mais étrangement cubique. Sculptée dans une roche noire, elle vous observe bras croisés, expression minimaliste sur la face, consciente de la puissance évocatrice, intemporelle, de ses formes maternelles (fussent-elles angularisées). Paléolithique version Braque ?
Une tête de poisson semblant tout droit sortie d'une estampe de Kuniyoshi émerge, expressive, comme vivante, d'un bloc minéral buriné par le temps. À moins que ledit bloc ne soit une météorite aux pouvoirs mystérieux ou tout simplement le corps difforme d'une étrange créature extraterrestre douée de raison. L'imaginaire de l'observateur est, de toute manière, entièrement libre ici.
De même pour l'interprétation de ce basalte poli qui, certes, évoque une fière jument robe ébène mais, pourrait tout aussi bien se révéler être la représentation millénaire d'une divinité oubliée, retrouvée à même le flanc de la montagne de Charance. Ou à celui du mont Korab.
La piste de la mythologie s'accentue en apercevant ce qui semble être une extraction brute. Deux visages taillés à même la roche, paupières closes, superposés l'un sur l'autre à la façon d'un totem de pierre. Si bien entendu on s'interroge sur l'identité perdue de ces dieux païens, comment ne pas tenter de redonner visage, existence, mode de pensée, à ceux qui les ont vénérés ? Alors que leur unique père et adorateur ne se nomme peut-être que Michel Paris.
Sculpteur et peintre, Michel Paris est né en Albanie, pays de montagnes s'il en est (70% de surface montagneuse, accidentée et difficilement accessible). Il s'installe en France voici une vingtaine d'années, à Gap plus précisément (Hautes-Alpes). En plus de son métier de tailleur de pierres, auquel son père l'initie dès l'âge de 12 ans, il se lance de manière autodidacte dans la création.
Sa connaissance de la roche, voire son rapport intime à elle, lui font donner naissance à un bestiaire et à une galerie de personnages teintés de mythologie. Sont-ce ses séjours réguliers en Grèce ? Ou ses souvenirs lointains de contes et légendes ? Après tout, les Antiques ne situaient-ils pas l'Achéron, le Cocyte, les Champs-Élysées et les monts Acrocérauniens dans la région correspondant à l'Albanie actuelle ?
Ses œuvres sont régulièrement exposées dans des galeries et autres exhibitions temporaires, tapant dans l'œil des visiteurs par le mystère qu'elles dégagent mais aussi par leur maitrise de réalisation. Son œil expert repère la veine qui zèbre la roche; il s'y adapte et, armé d'un burin et d'un marteau en ressort, selon le fil de sa sensibilité, telle déesse, tel animal sacré qui semblaient être là depuis toujours, cachés aux yeux du commun, n'attendant que sa main experte pour réapparaître.
Alors que le monde tonne, que la pollution gagne, que les névroses l'emportent et que les haines explosent, Michel Paris poursuit son chemin artistique fait de pudeur, d'intime et, on le comprend, d'adoration de Dame Nature. Point de guerriers sanguinaires ni de pythie déchaînée chez lui : l'artiste privilégie jusque dans sa peinture les pulsions positives.
Inspirées par le Cubisme, ses toiles sont une ode à la sensualité. Les bouches se touchent, les sexes s'imbriquent, dans un mouvement évident, simple, portés par un élan vital, entourés de couleurs chatoyantes. Les personnages ne sont pas identifiables, ils n'ont pas de nationalité repérable. Ils sont hommes, ils sont femmes : c'est déjà beaucoup. C'est tout ce qui compte.
Ses cubes à lui, ceux qui construisent ses tableaux, ressemblent souvent à des maisons, ce qui peut paraître logique pour un tailleur de pierres mais, en dit aussi un peu plus sur l'artiste. Cette obsession révèle sans doute un besoin puissant de se sentir ancré, de se rattacher au solide, à ce qui ne trompe pas : la pierre (encore).
La pierre qui résiste aux tempêtes, la roche qui protège les Hommes. Le minéral qui peut, aussi, pour qui en connaît les secrets, révéler une sensibilité sans limite.
- Michel Paris expose ses toiles pénétrantes et quelques-unes de ses sculptures jusqu'au 6 août à l'espace culturel Leclerc de Gap.
- Son travail et ses prochaines expositions sur son site : ici et sa page FB : ici.
- Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà (puisque rien ne passe comme prévu)' aux ed du Net & de 'Pierre Guerot & I' aux ed H&O [en collaboration avec Pierre Guerot]

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