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Billet de blog 4 mars 2016

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Ludhye Photographie : les rêves mélancoliques

"Alors Mlle Ludhye continue de dépeindre notre monde, à sa façon, sans occulter ses noirceurs, son travail toujours teinté par cette mélancolie si reconnaissable : celle des enfants vieillis."

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     Le dieu moderne se tient debout sur sa colline, dominateur et sûr de sa toute puissance, prêt à recevoir les hommages de ses adorateurs-esclaves.  L'un d'eux, minuscule, en tenue de cérémonie (costard-attaché caisse) observe dubitatif l'entité menaçante qu'il se doit d'adorer (le prétendre, du moins). La divinité a les traits d'un jouet d'enfant. Elle ne dégage pourtant aucune bienveillance, celle-là. Le deus-Légo, entouré de nuages oppressants, chargés de colères noires, ou le capitalisme mondial, uniforme et victorieux. Quoi donc, si le petit humain se détourne ? Sera-t-il écrabouillé par le monstre ? Réduit en miettes par les pinces géantes ? On peut le supposer. Ça se voit tous les jours, non ?

Photoshop pourrait n'être qu'une technique au service de quelques divas célèbres. Un instrument malsain pour entretenir les rêves de perfection d'un public aux complexes savamment entretenus (business is business, mon enfant). Mlle Ludhye, elle, semble être parvenue à se saisir du concept pour mieux en détourner subtilement la finalité.

La photographe perfectionne et illusionne au gré de ses idées foisonnantes mais... pour mieux interroger les spectateurs.

Spécialiste des portraits, celle qui se fait appeler Ludhye, de son vrai nom Élise Cosentino, a l'habitude de raconter des fables. Depuis une dizaine d'années, elle travaille au sein de la Compagnie Mozz, basée dans le Sud de la France (à Toulon précisément), 'aboyeuse des temps futurs', habituée des spectacles de rue et privés en mode XXL (tant pour l'imaginaire que par les univers scéniques créés sur mesure).

Les robots de 3m dialoguant en toute simplicité avec des saltimbanques masqués posés sur des échasses, les arts du cirque confondus avec ceux de la magie : tel est son univers quotidien. Peu étonnant, donc, que son travail indépendant de photographe se nourrisse autant de contes et paraboles retravaillés ou inventés. Peu surprenant que l'esthétisme propre à la Compagnie se retrouve dans ses rêves photographiques (photographiés ?)

Ainsi, cette abeille monstrueuse lancée à vive allure dans le ciel avec sur son dos deux gentlemen débraillés, cousins probables de Jack Sparrow. Si l'un scrute l'horizon, l'autre semble plus surpris par le fait d'être photographié en plein vol que par celui de chevaucher un insecte butineur portant des lunettes de pilote professionnel. Le jeu de profondeur laisse imaginer une grande vitesse voire un voyage spatio-temporel. Pourquoi pas ? Tout est permis : on est dans un rêve. D'où viennent-ils, quelle est leur quête (il y a toujours une quête), qui vont-ils sauver (il y a toujours quelqu'un à sauver) ? Peut-être cette Alice 2.0 qui ne trouve plus la clé de son cœur ? Ou bien ce dandy très féminin, mélancolique forcément, Dorian Gray au nez percé ? Cette triste fée en transit, abandonnant aux flots sa locomotive et regagnant le rivage en marchant sur l'eau ? Qui sait, peut-être les trois ? Qui sait, peut-être eux-mêmes ?

Pas de réponse certaine, à chacun de dérouler le fil tendu, selon ses propres fantasmes et subjectivité. Un point commun cependant à toutes ces photographies léchées : le spectateur ne sait s'il attrape l'histoire au début, au milieu, à la fin. Ce qui est drôle en soi, comme questionnement, car il n'y a en fait pas d'histoire de départ : des réminiscences plutôt. Des affleurements. À chacun ensuite d'en créer une.

Mais la magie opère à chaque fois, la scène surréaliste est crédible; évidente, même. La technique de Mlle Ludhye s'efface intelligemment pour laisser place aux vies chuchotées par ses tableaux. À quelle époque se déroulent ces scènes à la fois vivantes et dénaturées ? Hier ? Aujourd'hui ? Demain ? Enigmatique rétro-futurisme, qui inspire tant l'artiste... Connu également sous le nom de steampunk, ce courant s'appuie sur un temps imaginaire mais basé sur des réalités historiques. Principalement le XIXème, période industrielle et victorienne. Ferraille et cuivre VS crinoline. Temps de la rentabilité mécanique et du romantisme malgré tout. Idéal pour évoquer la réalité du monde; tout comme, à l'opposé mais bien forcée à la cohabitation, de celle de l'âme (une affaire de rouages dans les deux cas). Parfois, des poupées parfaites mais au cœur lourd. Des robots pas si inhumains. Également des pantins, désarticulés (nous ? Cassés par les jeux de rôle qui nous sont assignés ?) Terrible coït entre deux : le pantin-femelle sans tête, pris contre un mur triste par un pantin-mâle pressé. À l'époque des Tinder, Grindr et autres catalogues désincarnés, la réalité dépasse souvent la fiction...

Car qui dit rêve dit cauchemar. Qui dit onirisme ne dit pas pour autant fantaisie gratuite.

Alors Mlle Ludhye continue de dépeindre notre monde, à sa façon, sans occulter ses noirceurs, son travail toujours teinté par cette mélancolie si reconnaissable : celle des enfants vieillis.

Celle de ceux et celles qui se souviennent de la richesse de leur imaginaire de gosse mais, qui ne se remettront jamais tout à fait du décalage entre cette matrice arc-en-ciel innocente et surpuissante du passé et la noirceur de la réalité adulte (surpuissante aussi hélas). Nous n'y pouvons ma foi rien. Nous en sommes tous là.

Mais au moins certains, dont la talentueuse Mlle Ludhye, savent encore en faire quelque chose, sublimer ce qui demeure une déchirure. La photographie, l'Art, ne changeront pas la société, certes. Au moins peuvent-ils encore sauver nos sensibilités.

Alors découvrez vite son travail. Et puis qui sait, à l'une de ses expositions peut-être croiserez-vous Oscar Wilde, Tim Burton, une poupée mutine ou même un robot attachant ? Tout peut arriver : c'est un rêve vous dit-on !

- Ludhye Photographie sur FB : ici

- sur Flickr : ici 

- Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà (puisque rien ne se passe comme prévu)'   aux ed. du Net

& de 'Pierre Guerot & I', aux ed. H&O, en collaboration avec le comédien Pierre Guerot 

- ses billets Culture sur FB : ici 

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