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Billet de blog 7 janvier 2016

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'The Hole' : un vent bienvenu de Movida souffle sur Paris

"La liberté sexuelle, la revendication de ses droits ('minorité' ou pas), la tolérance. Et puis : la fiesta ! Profiter de notre unique vie, de nos droits acquis sans se préoccuper des jugements des malfaisants tant qu'ils n'empiètent sur ceux de quiconque (ah, ici... La Manif pour Tous... Même la 'Très Sainte Espagne Catholique' n'a pas fait autant de cinéma pour le mariage gay)."

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       Un sofa Boca à la Dalì en forme de bouche rouge carmin, pulpeuse à souhait, érotiquement entre-ouverte, est le principal élément de décor de cet hallucinant spectacle qui vient de débarquer au Casino de Paris. Une troupe d'artistes dénudés, talentueux et subversifs lui donne âme, chair et vie avec une maestria et un dynamisme incroyables. L'un des premiers à apparaître : un travesti 'fraise des bois' très Almodovar. Le ton est donné.

La Première de 'The Hole' était hier soir et elle était : époustouflante.

¡ Hombre ! De la légèreté, du fun, de l'érotisme, du second degré - enfin ! - de retour dans cette cité dépressive et ennuyeuse qu'est devenue Paris (le pays ?)

Et ne jouons pas les innocents : ces symptômes ont démarré bien avant 2015, ils ne nous sont pas tombés dessus comme cela. Comme le poison de la dépression et du mal-être, ils sont apparus bien avant les attentats, se sont immiscés, ont gagné en puissance sans réaction ni diagnostique. Pourquoi, comment ? Le sujet aujourd'hui n'est pas là (personnellement, je fatigue un peu de parler, à mon niveau, des maux actuels dans le vide) et, il a déjà été suffisamment traité.

De la légèreté, de la joie ! Même seulement deux heures, on prend ! Assez du Témesta à dosage éléphantesque et quotidien !

C'est devenu tellement rare, la légèreté...

Surtout, une Première un 7 janvier : car, évidemment, depuis un an, elle est un symbole particulier, cette date. Elle est devenue synonyme de tristesse, d'intolérance. De fanatisme, de colère. De peur, aussi. Mais, justement ! État d'urgence, 13 novembre, menaces, carnage, destruction de vies innocentes, République chancelante, mesures démagogiques s'appuyant sur des sondages de 1000 pelés, société réac, de plus en plus : oui, oui. Mais, les gens ont besoin de se détendre, de rire. Les gens n'en peuvent plus - n'en peuvent plus - de cette ambiance mortifère. Paris ne va pas devenir un couvent parce que des incultes psychopathes en quête de buts existentiels même sanglants ne savent pas interpréter un bouquin, fut-il considéré sacré par certains !

Ras-le-bol des religions ! Ras-le-bol des religieux ! Ras-le-bol ! Arrière ! Retournez dans vos sanctuaires (protégés par ladite République laïque, donc par mes impôts d'athée, merci) !

On est à Paris, le Paris de Proust, de Baudelaire, de Toulouse-Lautrec, du Crazy Horse, de Montmartre ! Lectures dénaturées ou pas : ras-le-bol ! Où est la France taquine qui se moque des curetons, des imams et des rabbins, droit acquis après bien des combats que beaucoup semblent oublier aujourd'hui ? Où est la France grivoise qui rit des blagues salaces et de mauvais goût ? Où est la France artistique glamour ou surréaliste qui fait rêver le monde ? Eh ben elle se planque. Eh ben elle n'est plus d'humeur. Oui. Certes. Compréhensible. Mais, c'est lourd. C'est ennuyeux. C'est contreproductif.

Et surtout : ceci est faire bien d'honneur à ces sauvages assassins.

Même la Une assez basique du dernier Charlie fait trembler les girouettes (se foutre de la poire des dieux en France en 2016, ça n'est plus possible pour un journal athée ? Non, mais, dites-le et on rétablit le délit de blasphème fissa. C'est ça le programme ?) Alors basta ! Il est (je dis cela après avoir vu le spectacle hier), incroyable de se dire que c'est l'Espagne ravagée par la crise (et le terrorisme aussi) qui rappelle à Paris ce qu'est le culot, la sensualité, la joie de vivre et le sens de la fête ! Comme si, elle avait oublié, Paris. Elle avait oublié son histoire (ses devoirs ?)

Alors laissons-nous emporter, après cette réflexion première (qui laisse tout de même songeur), par la magie du show ! Le spectacle a fait un gigantesque tabac en Espagne depuis sa création en 2011.

Complètement déjanté, à la fois élégant et burlesque, il mêle numéros de cabaret purs et numéros de cirque. Mais ici, les artistes ne sont pas longtemps vêtus. Les majordomes peuvent bien rappeler les fameux Frères Jacques, ils n'étaient pas, ceux-là - me semble-t-il- culs-nus. Un patineur à roulettes a une appétence dangereuse pour les spectateurs (seulement les premiers rangs, pas de panique) et pour le nu intégral et pour le Viagra. Une Marilyn gironde s'élance dans les airs, sur un trapèze magique. Une maîtresse-femme peu pudique pousse la chansonnette (même Françoise Hardy et France Gall période Gainsbourg sont célébrées durant le show). Un jongleur athlétique fait transpirer la salle. Par la hauteur du rebond de ses balles ? Non, pas vraiment. Le beau a juste retiré le tablier qui dissimulait ses atouts avantageux. Deux belles seins nus ondulent en l'air. Des numéros de castagnettes, aussi, au sens propre et figuré. C'est drôle, culotté; c'est ludique, coquin et : touchant. Oui, touchant. Alors, exhibitionnisme gratuit ? Non bien sûr.

Le maître de cérémonie est là pour nous situer le cadre et nous faire ressentir l'esprit libertaire de la Movida, ce vent de liberté post-dictature franquiste. Le ou la car, ils seront deux à se relayer chaque soir au Casino : Guillaume Carcaud, ancien acteur de la série 'Samantha Oup's' (méconnaissable, sexy en diable) et Pepa Charro, égérie absolue de la scène underground hispanique. Pendant que l'un se répand pour son amour pour une rate (Josée), l'autre se prétend adoptée par Liliane Bettencourt et maîtresse de Madonna (qui adore le show, au passage). Finalement, le message n'est pas sans rappeler celui de 'ShortBus', version cabaret, un film américain indépendant absolument époustouflant d'émotion et de finesse psychologique.

Qu'est-il, ce message ?

La liberté sexuelle, la revendication de ses droits ('minorité' ou pas), la tolérance. Et puis : la fiesta ! Profiter de notre unique vie, de nos droits acquis sans se préoccuper des jugements des malfaisants tant qu'ils n'empiètent sur ceux de quiconque (ah, ici... La Manif pour Tous... Même la 'Très Sainte Espagne Catholique' n'a pas fait autant de cinéma pour le mariage gay). Comment résister à un tel programme ? À une telle célébration de la diversité ? Au départ, le public n'était pas forcément réceptif. Et, personnellement, j'ai trouvé cette attitude à la fois surprenante d'abord puis, émouvante. Encore davantage lorsqu'il est enfin entré dans le jeu. Comme si... Il avait oublié, le public français. Comme s'il avait oublié qu'il pouvait rire sans se demander "Est-ce que ça va choquer les Cathos ? Les Juifs ? Les Musulmans ?" Le voir se rappeler de qui il était, ce public français, d'où il était, (quand il s'est enfin mis à rire face à tant d'irrévérence, d'inventivité) et applaudir était à la fois troublant et... un peu triste. Mais, rien que pour ce rappel à ces fondamentaux pourtant bien français, moi j'ai envie de dire 'merci' à cette formidable troupe, parfois obscène mais, de manière magistrale. Et puis, de toute façon on a le droit. On est en France oui ou non ? On est bien à Paris, là ?

Alors : ¡ Gracias y viva Espãna ! Aimons, aimons, sans même un regard pour les cons. Parce que, quand même, ils deviennent vraiment, vraiment fatigants ceux-ci.      

- 'The Hole', au Casino de Paris à partir du 07 janvier 2016 (interdit aux - de 12 ans)       

(Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà (puisque rien ne se passe comme prévu)' aux ed. du Net & de 'Pierre Guerot & I' (ed H&O) en collaboration avec Pierre Guerot)

(sur FB billets Culture : ici)

The Hole bande annonce 2016 © The Hole France

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