Mlle Ladesou, sa faconde sous le bras, la voix plus grave que jamais, investit le théâtre Antoine à Paris, 'Peau de Vache' et fière de l'être. L'urbanité exige qu'on prête éternellement du 'mademoiselle' aux comédiennes; sans doute grincerait-elle de sa voix rauque à cette convention surannée :
- Arrêtez vos flatteries ! Est-ce que j'ai une face de jouvencelle, moi ?
Ou quelque chose du genre.
Appelons-la Chantal, alors, au risque de se prendre un scud en retour. Car finalement, si le caractère entier de la dame, son débit hilarant ("un mec m'a dit un jour : moins je vous comprends et plus je ris"), sa capacité à balancer les pires horreurs tout en maintenant un port quasi aristocratique lui assurent un très grand capital sympathie auprès du public, ils découragent dans le même temps les moindres privautés. Un équilibre subtil, un masque permanent et intrigant de pétroleuse pudique, qui rendent chacune de ses apparitions (même celles par trop loufoques, parfois, à la télé) jouissive.
Apparitions de moins en moins rares d'ailleurs au théâtre (très bon one-woman show 'Je sens que je vous plais', suivi du succès 'Nelson' en 2014), comme si l'époque saturée d'épanchements obscènes, de précieuses ridicules cheap et toc aspirait enfin au retour des vrais artistes conscients, eux, que tout n'est que mise en scène, que là réside leur art et, que c'est déjà beaucoup.
Michel Fau, géant contemporain, pointu, exigeant, ne s'y est sans doute pas trompé puisqu'il signe la mise en scène (justement), de cette reprise de la pièce écrite en 1975 par Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy : "Peau de Vache". Sophie Desmarets y interprétait alors le rôle titre repris aujourd'hui par la Ladesou.
Marion Bruker dédie sa vie à la carrière et au bien-être de son glorieux mari violoncelliste (Grégoire Bonnet). Elle éloigne les fâcheux avec des formules assassines, canonne les faux-amis ("Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? Je lui ai juste dit qu'elle était une putain. C'est la vérité !"), déglingue le voisin et ses pigeons, rabroue, secoue sans ménagement, bref : elle épice.
Si son entourage soupire à ce caractère entier et... expressif, il s'en satisfait en vérité fort bien. Jusqu'à l'arrivée d'une jeune journaliste fragile, peut-être plus perverse qu'elle n'en a l'air. Les oies blanches, on ne s'en méfie jamais assez.
Du théâtre de boulevard, bien sûr. Oui ! Avec des décors 70's, des pattes d'eph, des accessoires en plastoc qui volent et tout et tout. Certains de lever le sourcil, plus habitués à chanter les louanges de pièces conceptuelles interminables et forcément intelligentes puisqu'ils n'y ont rien compris. Mais aucun antagonisme, au contraire. L'asphyxie érotique peut représenter le Nirvâna sensuel pour quelques-uns, ce n'est pas une raison pour la recommander à tous, tout le temps.
Jacqueline Maillan, Maria Pacome; les vaudevilles, les trois coups rituels : le boulevard aussi - surtout - incarne Paris, attirant pléthore de gens qui ne fréquenteraient pas les théâtres autrement. Dès lors, pourquoi tant de snobisme si le rire est là ? Il n'est pas si facile à obtenir par les temps qui courent.
Le rôle de cette furie de 'Peau de Vache' (plus sensible qu'elle n'y paraît) pourrait sembler écrit pour Chantal Ladesou, tant il colle à son personnage publique. Alors elle se déchaîne, impatiente, emportée, jusqu'à perdre pour de bon l'équilibre sur un pouf vintage, entraînant la troupe et les spectateurs dans un fou rire imprévu. Elle s'amuse, sincère, déjantée, oubliant même de citer ses partenaires au final, rappelant donc les spectateurs :
- Revenez ! J'ai oublié un truc !
Derrière cette décontraction apparente, ce bagout : du métier, du contrôle. Du contrôle dans l'incontrôlable. Bref, une touchante et, pour sûr, talentueuse 'Peau de Vache'.
- 'Peau de Vache', de Barillet et Grédy, mise en scène Michel Fau, au théâtre Antoine Paris X depuis le 08 septembre 2016
- Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà' (ed du Net) et de 'Pierre Guerot & I' (ed H&O) en collaboration avec Pierre Guerot
