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Billet de blog 14 février 2016

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Stéphane Roy : photographe au cuir sensible

"Qui, d'ailleurs, pour décréter ce qui est normé ou ne l'est pas ? Les adultes sont consentants, les volets sont clos. Dès lors... tout est permis, n'en déplaise aux censeurs bigots de tous bords du moment."

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              Un chat noir observe silencieusement sa maîtresse nue allongée, empaquetée à même le sol. La pelote de fil n'est pas complètement défaite et peut encore servir à serrer davantage les jambes de la créature à peau diaphane. Le félin attentif est-il un spectateur de circonstance ou un magicien métamorphosé, véritable maître de la séance ? Toujours est-il que le visage de la belle prisonnière volontaire exprime plus l'extase que la colère, tandis que ses seins lourds et ronds s'offrent à des mains imaginaires, que sa taille de guêpe se cambre à l'assaut de ses propres désirs. Les ongles peints de cette panthère blanche, de cette 'Diva dollface', encore libres, grattent le parquet, sauvages. Comment ne pas se les représenter lacérant un dos en sueur s'ils le pouvaient ? Comment ne pas être troublé ?

Bienvenu dans l'univers du photographe Stéphane Roy, de ses 'Schizophrenic dreams'.

Chacun de ses clichés, qu'il s'agisse comme ici d'une séance de bondage inattendue, là d'un papillon aux multiples yeux en trompe-l'œil butinant un cœur viandasse ('Heart butterfly'), est une plongée dans un monde onirique fait de sensualité, de violence maîtrisée et de délicatesse mêlée. Un monde spécifique, sincère et puissant.

Le jeune Lyonnais de 27 ans, après avoir découvert la photographie en autodidacte, "pour tuer l'ennui" lors d'un séjour triste mais au final déclencheur à St Étienne, n'a eu de cesse de se perfectionner techniquement, d'apprendre à attraper les détails du réel pour finir par les utiliser et en faire des œuvres abouties, des compositions rêvées pleines de symbolique. Il a rencontré des personnalités atypiques et enrichissantes au fil de ses pérégrinations à travers l'Europe, entre autres dans l'univers baroque et faussement ludique du fétichisme, pour finalement parvenir, alors qu'il se pose maintenant à Bruxelles, à nous présenter des œuvres subtiles qui font mouche à chaque fois, bouleversent, choquent ou interrogent.

Même si ses modèles sont souvent de sculpturales femmes fatales à la poitrine fière, aux jambes interminables et à la taille menue, il est à mille lieues de la photographie de mode aux codes étouffants à force de perfection et d'attitudes désincarnées.

Ses femmes tant adulées sont des princesses, certes, mais on devine le poignard caché sous l'oreiller, la fiole de poison dissimulée dans le chignon. Au cas où.

'Le baiser', par exemple, pourrait faire songer à du porno chic. Un couple s'embrasse, chacun portant un sac plastique à l'érotisme SM sur la tête, boules de geisha précieuses et toy design à portée de main. Mais, non. Le porno-chic, cette invention de publicitaires paresseux, tourne vite à vide et manque trop d'âme pour définir son travail. En observant ce 'Baiser', on y croit de suite, à cette scène. On devine un couple peu conventionnel mais, amoureux. Joueur mais, pas malsain.

Qui, d'ailleurs, pour décréter ce qui est normé ou ne l'est pas ? Les adultes sont consentants, les volets sont clos. Dès lors... tout est permis, n'en déplaise aux censeurs bigots de tous bords du moment.

Réduire ses travaux à la sensualité serait insultant. Parfois, le rêve devient cauchemar et nos pires peurs émergent. Telle 'Amélie', effrayante matrice indifférente.

En vérité, le travail de Stéphane Roy, au-delà de ses obsessions récurrentes (le cuir, le latex, les corsets...), au-delà de ses mises en scènes léchées, c'est la chair. Qui - chez lui du moins, et voilà bien ce qui le rend intéressant - est inséparable de l'âme.

Est-ce le choix de ses modèles, l'alchimie qui nait entre eux, la maitrise de l'artiste à ne pas trahir son inspiration de départ ? Toujours est-il que chaque photo nous raconte une histoire, à laquelle on adhère immédiatement, portée par une luminosité parfaitement maîtrisée.

Ses femmes sont fatales, douces mais jamais passives, délicates et piquantes comme des 'Cannibal flowers', promenant d'un air ingénu un crocodile en laisse dans les bourgeois passages parisiens.

Ses hommes, eux, se transforment en roses ou craquent devant un nourrisson malgré leurs tatouages extrêmes.

Chez lui, l'inconscient est maître, Freud se mêle à Éros, avec ce petit quelque chose en plus, à la fois canaille et classe, qui fait toute la différence. Comment, pour qui a posé une fois pied sur ce territoire singulier, ne pas se laisser guider et emporter plus avant à la découverte de cet imaginaire débordant, sensible et positivement dérangeant ?  

Pour les curieux qui veulent guetter ses futures expositions sur Paris, Bruxelles ou ailleurs :

                       - le site de Stéphane Roy ici    

                       - sur FB : ici

[Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà (puisque rien ne se passe comme prévu)' aux ed. du Net & de - 'Pierre Guerot & I', aux ed. H&O, en collaboration avec Pierre Guerot]

       

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