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Billet de blog 16 septembre 2016

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'Le jour où j'ai eu...' : Camille Moravia à nu

"Sûre de son bon droit à réclamer liberté; sensible et forte; sans gêne avec sa nudité, pudique pourtant. Cultivée et pleine de doutes (splendide cliché de ce buste à la renverse, flou, comme emporté par les hésitations sentimentales). Est-ce la femme ou l'artiste ? Ce sont les mêmes."

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

   Deux amantes en noir et blanc, portant guêpières, sur une couette déjà froissée. Un téton agacé par une langue humide et, le spectateur de vivre mentalement la scène intime, pourtant juste suggérée. L'odeur des peaux amoureuses qui se frôlent, des cheveux qui se mélangent, le goût des salives qui se mêlent, la vision d'un bras tatoué qui enlace. Bienvenu dans l'univers libéré, tempêtueux et pourtant fragile de Camille Moravia.  

Mais avant d'y plonger, il faudra prendre par une ouverture se cachant Cours de Vincennes, abandonner les tramways, les klaxons stridents, les quidams pressés; les bruits de l'urgence. S'engouffrer dans la faille puis, descendre avec assurance l'escalier abrupt et sans éclairage qui s'élargira tout de même peu à peu. À mi-chemin, une barre métallique courbée enjambera votre tête, supportant un énorme félin rouge incongru, tendance Lewis Carroll ou Mr Chat, sourire sarcastique et yeux grands ouverts.

Le passage de la Voûte a bien des allures de sas mystérieux menant à quelques mondes parallèles.

En contrebas, portes ouvertes, sans préciosités réfrigérantes, la galerie. On y pénètre comme dans une antre, sûr sans savoir pourquoi de la bienveillance du lieu. Des visages, des chairs, des corps de femmes (d'une femme ?) posés sur des murs aux pierres apparentes. On vient d'entrer, on survole sans regarder encore. Puis, on abandonne soudain ses dernières tensions défensives, oubliant les autres visiteurs et l'urbanité d'habitude, pour se laisser happer par le regard mutin et doux qui nous fait face, qui nous invite à suivre sans fausse pudeur le fil photographique de son histoire.

"Le jour où j'ai eu...", à la galerie de la Voûte, est la seconde exposition personnelle de Camille Moravia, photographe, performeuse, écrivaine. 

La nouvelle décennie que l'artiste atypique et frondeuse inaugure lui sert de prétexte à la présentation d'une, non pas rétrospective (qui porte toujours en soi une part de nostalgie figée), mais plutôt d'un kaléidoscope de son travail à fleur de peau.

Des photographies retravaillées ou pas, parfois proches du négatif, en noir et blanc, couleur ou sépia, chacune dévoilant une parcelle de sa vie sentimentale, de son évolution artistique, saisissant un instant, une attitude, un regard révélateurs lors d'événements secrètement décisifs. 

Car les deux s'imbriquent, se nourrissent, s'inondent et finissent par se confondre. La rencontre avec l'Art fut paraît-il un coup de poing pour cette autodidacte talentueuse et curieuse. Peu de doutes que ses coups de cœur amoureux impliquent énergie et investissement similaires. 

Un homme âgé plonge sa main dans le décolleté généreux de Camille-modèle. Elle lève la tête, comme pour lui simplifier la tâche, soumise mais finalement maîtresse.

On pourrait se croire dans le livre 'Sex' de Madonna. Et puis non, finalement. Car à côté, c'est une jeune fille en robe légère, revenue du passé, qui tournoie sur elle-même, avec une gravité dans le regard qui contraste avec sa volubilité première.

Finalement, Nathalie Sarraute n'est pas loin non plus... Elle et sa quête de ces "mouvements indéfinissables qui glissent très rapidement aux limites de la conscience; qui sont à l'origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu'il est possible de définir." Camille Moravia poursuivrait-elle la quête sarrautienne mais, appareil photo en main ?

 In Bed with Moravia ou le Nouveau Roman de ma vie ?

La Littérature n'est de toute façon jamais loin pour celle qui écrit également et commente volontiers ses clichés sur les réseaux par des passages de Duras, de préférence.

Des aphorismes sur les murs, aussi, dans cette exposition. Des avis définitifs et drôles, tirés de son compte Facebook : "Sentimentalement, je suis assez conne."

Légère, sûre de son bon droit à réclamer liberté; sensible et forte; sans gêne avec sa nudité, pudique pourtant. Cultivée et pleine de doutes (splendide cliché de ce buste à la renverse, flou, comme emporté par les hésitations sentimentales). Est-ce la femme ou l'artiste ? Ce sont les mêmes.

Toutes les deux maintenant apaisées mais vivantes et riches comme jamais.

La galerie de la Voûte semble avoir été pensée pour accueillir cette exposition. L'architecture du lieu oblige les visiteurs à se frôler par endroits, se toucher pour passer, sous les regards ironiques et tendres de Camille et de ses modèles. 

Qui sont-ils, au fait, ces modèles féminins et masculins ? Des êtres chers, oui, mais qui sont-ils vraiment dans la vie de la Camille-privée ?

Peu importe. 

Là est le don de l'artiste : chaque œuvre prise séparément ou globalement aspire celui qui la contemple pour le renvoyer à sa propre histoire et subjectivité. À ses propres fantasmes. À ses souvenirs charnels, intimes. Sa propre humanité.

Une belle réussite. Si la galerie de la Voûte se révèle être un écrin pour 'Le jour où j'ai eu...', le travail érotique, intelligent, de Camille Moravia est définitivement aussi à découvrir pour ce qu'il est : un véritable vent de fraîcheur, de poésie. De sensibilité brute. D'amour transfiguré. Avouez qu'en ce moment, ça ne court pas les rues.

À voir, revoir. 

- 'Le jour où j'ai eu...', du 15 au 25 sept. 2016 à la Galerie de la Voûte, 42 rue de la Voûte Paris XII [commissaire : Laurent Quénéhen]

- le site de Camille Moravia : ici  

- Camille Moravia sur FB : ici  

- Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà'  (ed du Net) et de 'Pierre Guerot & I' (ed H&O) en collaboration avec Pierre Guerot  

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