En suivant les réactions suite à la remise cette semaine du rapport sur la refonte du Code du Travail, comme l'impression étrange d'être le spectateur d'une partie de billard à plusieurs bandes. Spectateur avec toute la passivité inclue dans ce mot alors que le sujet traité me concerne directement, tout comme des millions de travailleurs.
Mr Badinter, homme on ne peut plus respectable, vient de remettre au Premier Ministre de gauche ses recommandations avant la loi de 'dépoussiérage' promise par la ministre du Travail (je n'ose utiliser 'loi de modernisation' tant le terme est dorénavant galvaudé et fourre-tout). Dans sa globalité, la presse applaudit : l'ancien Garde des Sceaux de François Mitterrand, humaniste reconnu ayant porté en son temps la bataille contre la peine de mort, rappelle les droits fondamentaux des travailleurs tout en y incluant la notion de laïcité et 'd'aménagements encadrés' afin de gérer au mieux cette insupportable montée du religieux de tous côtés (si, arrive un moment on peut dire insupportable. Voltaire doit se retourner et re-retourner). Très bien.
En même temps, faut-il que la société soit fragilisée et inquiète pour applaudir lorsqu'on lui garantit ce qui est depuis longtemps acquis après bien des luttes sociales et donc évident ?
Interdiction de faire travailler les mineurs de moins de 16 ans sauf dérogation, obligation pour l'employeur de rétribuer son employé de manière à lui permettre de vivre dignement (c'est vague, c'est vague), le CDI est réaffirmé comme étant le contrat de travail classique (Mr Gattaz devra attendre encore un peu pour les contrats zéro heure à l'anglaise), etc...
Oui, merci : il n'aurait plus manqué qu'un gouvernement - de gauche qui plus est - touche à ces bases.
Notez que s'il est si nécessaire de publier de telles lapalissades, ceci n'est pas forcément rassurant pour la suite et en dit long sur le besoin de rassurer une classe active devenue à raison fort méfiante. En somme, de bonnes intentions générales portées par une figure tutélaire de la gauche mais, sans aucune obligation ni contrainte préconisée (même pas concernant le passage sur la laïcité). Que deviendra ce rapport-préambule ? Tout dépendra ce qu'en fera l'Assemblée (qui jusqu'à preuve du contraire est encore celle qui fait la loi), ce qu'en retiendra la commission chargée de la rédaction du nouveau Code. Bref : du flou à peu de frais. Avant ? Avant quoi ?
La bonne vieille pièce du good cop/bad cop nous est-elle jouée en ce moment ?
Car plusieurs syndicats ont tout de même noté des tournures ambigües et potentiellement porteuses de désordre à venir. Ainsi les nombreux articles ouvrant la porte aux négociations directes entre employeur-employé, à égalité bien entendu tout le monde le sait. Les 35h ? Pas de deux entre Mrs Macron et Valls : "elles sont mortes de fait si latitude est donnée aux employeurs d'en juger" (au nom de la compétitivité bien sûr...); "oui mais non, on l'a dit mais on ne l'a pas dit, pas vraiment". Ok, c'est trop tôt pour le verbaliser en somme. Sont-ils précieux. Le rapport Badinter parle de "compensations pour les heures supplémentaires". C'est gentil.
Mais ne pas en déterminer les contours, les taux minimum, revient à se reposer sans mettre beaucoup de pression sur le futur travail des législateurs. On a connu Mr Badinter plus combattif dans ses revendications.
Il évoque aussi "le temps de travail normal". La 'normalité', dans tous domaines, a toujours été subjective. Pourquoi ne pas parler de "temps de travail légal" comme il aurait dû ? Une préparation plus ou moins subtile de nos esprits à la dérégulation à tout crin fantasmée par tant ?
Je ne suis pas spécialiste du droit du travail. Mais, comment à la fois se désintéresser, en tant que citoyen et travailleur, de ces 'avancées' louvoyantes vers toujours plus de libéralisme sans jamais le dire ouvertement ? Comment ne pas être ébahi par l'état de crispation et le manque total de confiance, la défiance tenace, des travailleurs envers le pouvoir (hier Mr Sarkozy, aujourd'hui Mr Hollande mais, la différence est-elle en toute objectivité vraiment flagrante ?)
Le Code du Travail doit évoluer, se simplifier : tout le monde est d'accord. Mais, il est basé sur des luttes sociales centenaires et ne se laissera pas taillé dans le gras si facilement. Du moins, pas sans conséquences. Certainement pas si c'est pour y perdre des droits fondamentaux au nom d'une 'modernité' qui n'est que lexicale et utilitariste.
Point de faucille entre mes dents, de lutte des classes dans toutes mes phrases mais, force est de constater que l'expression 'diviser pour mieux régner' n'a jamais été autant d'actualité. Mr Gattaz à la tête du MEDEF, notez, ne fait rien pour casser les clichés, pins en avant (...) Confronter les travailleurs aux entrepreneurs comme l'a fait Mr Macron par exemple (les grands patrons, laissons-les de coté : il s'agit d'une espèce à part) est ridicule pour un pouvoir qui se veut 'moderne'.
La restauration, par exemple, a-t-elle besoin de plus de 'souplesse' ? Grand MDR en réponse, pour qui y a déjà travaillé : la majorité fait déjà absolument ce qu'elle veut. Je n'ai même pas la cruauté de rappeler l'épisode de la TVA à 5,5. Augmenter les inspecteurs du Travail, personne n'y a songé ? En cette période de chômage, bonne idée non ?
Pourquoi par contre ne pas mener la réforme du RSI (Régime Social des Indépendants), mille fois pointé pour son incompétence et qui empoisonne, ruine voire détruit des milliers de petits commerçants et restaurateurs ?
Il semble plus facile d'agiter le chiffon rouge devant les uns, devant les autres. De désigner le Code du Travail chargé de protéger les travailleurs (il faut le rappeler, quand même) comme la cause diabolique de la crise économique. Un peu court, 'les réformistes'.
Réflexion anodine au passage : il est frappant de constater le glissement sémantique concernant l'employé. Tantôt il était encore un 'travailleur'. Avec toute l'idée d'effort, portant, participant à une entreprise. Désormais il est devenu un 'salarié'. Style, une charge. Il coûte. Il devrait presque remercier en recevant son salaire au début du mois. C'est frappant, non, cette bifurcation subtile dans l'emploi des mots ? Les chômeurs sont des feignasses, les travailleurs des coûts, les employeurs des ogres égoïstes. Drôles de caricatures qui semblent s'installer durablement dans notre psyché commune.
Alors, à nos illustres serviteurs de l'Etat (c'est-à-dire de NOUS) : soyez concrets, apaisez-nous, éloignez la sinistrose qui nous envahit. Au lieu de jouer à on ne sait quelle partie de poker menteur qui participe encore à cette atmosphère oppressante. Au lieu de saturer les ondes avec de l'à-peu-près-orienté-vers. Si vous n'êtes pas en mesure de maintenir (recréer plutôt) le lien social qui passe aussi - surtout - par le travail : les urnes vous balayeront et ça ne sera que justice. CQFD.
- Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà (puisque rien ne se passe comme prévu)' aux ed. du Net -
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