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Billet de blog 7 juillet 2015

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Avignon: Lars Eidinger, acteur bestial du Richard III de Thomas Ostermeier

Comment un type laid comme un pou, sans scrupules, comment cet homme prêt à tuer tous ceux qui encombrent sa route pour accéder au pouvoir, peut-il être séduisant, désirable ? C’est tout l’enjeu du « Richard III » de Shakespeare mis en scène par Thomas Ostermeier, traduit en allemand par Marius von Mayenburg et mené de main de maître par Lars Eidinger dans le rôle-titre.

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Illustration 1
© Arno Declair

Comment un type laid comme un pou, sans scrupules, comment cet homme prêt à tuer tous ceux qui encombrent sa route pour accéder au pouvoir, peut-il être séduisant, désirable ? C’est tout l’enjeu du Richard III de Shakespeare mis en scène par Thomas Ostermeier, traduit en allemand la Marius von Mayenburg et mené de main de maître par Lars Eidinger dans le rôle-titre.

 Un micro pour mon royaume

Bossu voûté, les bras ballants et la démarche souple et molle d’un grand singe, ainsi nous apparaît Richard, le duc de Gloucester ; le crâne enserré dans un casque de cuir, mi-coiffe, mi-camisole, ainsi surgit l’acteur Lars Eidinger. Rarement l’expression « bête de scène » aura paru aussi juste. Il apparaît comme un enfant attardé, un adolescent mal aimé et solitaire prêt à commettre les pires méfaits (viols, meurtres en série) pour exister. Lui le délaissé, le déclassé veut devenir le maître du monde. Sa force, son arme la plus redoutable, c’est sa parole. Le jeune Shakespeare y déploie son génie encore fougueux.

Thomas Ostermeier qui a coupé la pièce tant et plus, la concentre autour de ce personnage hors norme et de son acteur hors pair. Les autres personnes, membres de sa famille ou gens de cour, sont toutes habillées de noir; elles ne sont pas des figurants, mais presque, elles tournent autour de Richard comme des guêpes et se font prendre à l’étrange ballet de son corps et au babil mielleux de ses mots ensorcelants. Magnifique et puissante invention scénique, ces mots sont le plus souvent distillés dans un micro à l’ancienne qui pend au bout d’une corde, rehaussé d’un point de lumière qui éclaire le seul visage de Richard lorsque ce dernier s’en saisit pour nous dire ses mots venimeux qui paralysent l’interlocuteur, et nous avec. Car il en va de même pour le public vers lequel l’acteur jette des regards complices, nous entraînant dans sa boulimie de séduction, de ruses, convoquant en nous notre part maudite : qui n’a pas eu un jour une envie de vengeance sanglante, de meurtre ? Il ose tout. Séduire une femme dont il a tué le père et le mari, tuer des enfants innocents qui risquent de lui barrer la route du pouvoir ou de le contester. Cette ordure, ce salaud, il nous met de son côté, il nous fait rire.

 Un acteur roi

Et Ostermeier ose, tout autant. Installer sur le côté un remarquable batteur, Thomas Witte qui surligne la partition musicale (Nils Ostendorf) donnant un rythme endiablé à la machine criminelle qui ne s’arrête pas avec l’accession au trône de celui qui devient Richard III. Demander à son scénographe (Jan Pappelbaum) non un décor mais une machine à jouer métallique : escalier avec coursives, rideau au lointain où sont projetés entre deux scènes des vols de corbeaux, et faisant venir du fond, de derrière le rideau, un unique praticable où se succèdent cadavres, trône, table du repas où le roi se nourrit à la cuillère d’une infâme bouillie. Il ose encore faire des deux enfants promis au trépas des marionnettes réalistes manipulées par des individus en habits noir, non sans référence au théâtre bunraku, tout comme le masque blanc final de Richard n’est pas sans évoquer le théâtre nô. Comme si la folie de Richard contaminait la mise en scène toute à la dévotion de Lars Eidinger, un acteur roi qui fut il y a quelques années, avec le même Ostermeier, un Hamlet inclassable lui aussi.

Etonnant, ce parcours du metteur en scène allemand qui dans un livre sans fard, dialoguant avec un journaliste allemand, ne cache rien de ses faiblesses, de sa mégalomanie, avec une étonnante lucidité sur lui-même et le monde théâtral. Ecoutons-le : « Je veux aller au-delà de mes compétences théoriques que j’ai suffisamment mises en pratique, disons, à un niveau relativement élevé du théâtre subventionné. Je vais poursuivre ma propre voie et me concentrer de plus en plus sur les comédiens eux-mêmes. »

Nous y sommes. Et avec quels comédiens : ceux de la troupe de la Schaubühne de Berlin qu’il dirige, dont Lars Eidinger est l’une des grandes figures. On n’oubliera pas la derrière image de ce Richard III qui suit de peu la fameuse réplique « Mon royaume pour un cheval » : ce roi en perdition pend comme une bête de boucherie, au bout d’une corde, la corde même qui portait le micro, sa meilleure arme qui se retourne contre lui.

Festival d’Avignon, Richard III à l’Opéra du grand Avignon, 18h, jusqu’au 18 juillet (sauf les 10 et 15).

Ostermeier backstage, dialogue avec Gerhard Jörder, L’Arche, 144 p., 22€.

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