Les escarmouches auxquelles ont donné lieu les pathétiques opérations de comptabilisation des suffrages obtenus par chacune des deux candidates au poste de Premier secrétaire du Parti socialiste (opérations dites de « récolement » — qui consistent à dresser un inventaire — qui ont également été de « recollement » — qui consistent à recoller les morceaux…) auront au moins eu un mérite. Elles éclairent crûment la situation de faiblesse institutionnelle du PS et, comme derrière le particulier se dessine souvent le général, celle de l’ensemble des partis politiques du système français.
Symptomatiquement, alors que, dans un premier temps, le camp des perdants refusait d’admettre sa défaite — ce qui reflète une culture démocratique chancelante —, allant jusqu’à brandir la menace de saisir la justice étatique plutôt que de s’en remettre aux instances statutaires du parti, le bras droit de Ségolène Royal, Vincent Peillon, estimait dans un second temps qu’un recours en justice contre l’élection de Martine Aubry à la tête du PS était nuisible au parti tout en maintenant que « le droit n’avait pas été respecté » lors du scrutin.
De quel « droit » s’agit-il ? On devine qu’il s’agit du droit électoral. Sauf que le droit électoral s’applique aux élections politiques et aux scrutins organisés pour la désignation de nos représentants, garantissant leur régularité et leur impartialité, et ne s’applique pas aux désignations internes des partis politiques. Ce qui ne signifie pas que les partis politiques n’organisent pas, par le biais de circulaires émanant des organes statutaires habilités, les désignations internes ouvertes aux adhérents.
L’inventaire des irrégularités dressé par la « protestation électorale » remise le 25 novembre à la commission de « récolement » par les partisans de Ségolène Royal, et évidemment rendu public aussitôt (falsification de procès verbaux, fausses listes d’ émargement – quand elles existent –, pressions sur les adhérents, recouvrement aléatoire des cotisations, etc.), laisse pantois le néophyte, mais ne surprend guère l’habitué des joutes partisanes. Ces irrégularités ont toujours existé, et pas seulement au PS. Chacun s’en accommodait d’autant mieux qu’elles étaient généralisées. Mise sur la place publique, la pratique interne des fraudes, propre aux (seuls ?) partis politiques, ruine encore un peu plus leur faible légitimité sur la scène politique.
Afin de sauvegarder un semblant de dimension collective à l’action politique et de prévenir la résurgence de l’autorité charismatique comme unique source de légitimité politique, il faut absolument installer définitivement les partis politiques dans le paysage français. Fortement et naturellement dépendants des institutions publiques qu’ils sont chargés d’animer, les partis politiques, soumis à la présidentialisation du régime et à l’individualisation croissante des parcours politiques, ne peuvent se développer dans l’état de semi-clandestinité juridique qui est toujours le leur, alors que leur vie interne est la proie de tous les observateurs qui, confondant le tout et ses parties, comprennent d’autant moins que des partis soit-disant « démocratiques » n’aient pas une organisation plus transparente.
La solution pourrait nous être offerte par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et la nouvelle rédaction de l’article 4 de notre Constitution, nouvelle rédaction passée complètement inaperçue, qui ouvre néanmoins la voie à la définition d’un statut législatif des partis politiques (voir cet article sur Mediapart).
A cet effet, le législateur pourrait s’inspirer du Parteiengesetz allemand qui établit des règles de fonctionnement générales valables pour l’ensemble des partis, où seraient précisés le nombre de niveaux d’organisation à l’échelon national et leur mode de désignation. Un véritable statut des partis politiques, compatible avec le dogme de la liberté constitutionnelle des partis, reposerait sur une définition objective et positive des partis, en s’appuyant sur des critères objectifs rendant compte de la spécificité de l’ordre juridique partisan et fixant un cadre à partir duquel il serait possible de distinguer les partis des groupements, et ainsi éviter le dévoiement de la législation sur le financement de la vie politique avec la création ex nihilo d’associations n’ayant pour objet que la captation d’une partie du financement public des partis. La participation du « parti » « Le trèfle-Les nouveaux écologistes homme-nature-animaux » à la vie publique mérite t-elle une aide de quasiment 750.000 € pour la durée de la législature ?
Avec l’ élaboration d’un tel statut, il serait alors possible d’identifier le « droit » auquel Vincent Peillon faisait allusion : le droit partisan, protégé par un statut législatif opérant une sorte de délégation de service public aux partis politiques dans la mise en œuvre d’une mission essentielle : la sélection du personnel politique en particulier, et l’animation de notre démocratie représentative en général.