Ma douce Hind avait donc son petit rêve.
Mais la route est parfois tortueuse du rêve au projet et en l’occurrence, on ne peut pas dire qu'elle m'ait vraiment expliquer clairement ce qu'elle avait dans la tête ...C'est ainsi que je suis devenue moi-même une pièce essentielle d'un puzzle dont personne, finalement, ne savait la forme définitive. Un nouveau modèle avec ses charmes et ses limites.
Bref: une affaire assez compliquée.
"Ya Habibi Ibnik, tu es ma vie toi! Ya coquin maadoum! Ya mes yeux! ya mon
coeur! Cet enfant est si drôle Adeline! C'est si doux les enfants..."
"C'est vrai...je passerais ma vie à le chatouiller celui-là! D'ailleurs toi
aussi ma belle, il faut que tu fasses des enfants"
"Oh maalech...j'ai les tiens! et je les aime du fond de mon coeur! Je suis
leur tata Hind. "
"Oui, oui.....mais leur tata Hind n'a donc pas envie de les faire
elle-même, ses enfants?"
Un ange passa.
"Moi tu sais, je dois m'occuper de papa et maman. Il y a beaucoup de travail
ici avec toutes ces visites, et maman est fatiguée. Si fatiguée ma pauvre
maman..."
Je ne réponds pas.
Plus tard dans la journée, nous décidons d'aller nous promener avec les
deux petits. Mon beau père acquiesce pour cette grande virée à travers le village
"puisque qu'Adeline doit aller chez l'épicier".
Je trouve Hind plus que joyeuse pendant tout le trajet, mais je n'ai pas
encore compris.
L'épicier ...comment dire...l'épicier a fait fortune et cela se voit dés
qu'il ouvre la bouche.
Personnellement je ne suis pas très sensible à cet étalage d'or, mais
l'homme a des moyens, c'est une évidence tangible.
Durant le trajet, par la petite route qui serpente au milieu des oliviers,
on aperçoit des ruines au loin, c'est magnifique...Il fait doux. Hind
commence à me raconter que l'épicier n'a pas eu une vie facile. Un premier
mariage, mais sa femme est stérile. "Une femme admirable, néanmoins"
précise ma belle soeur avec l'air solennel. Il se remarie donc avec,
semble-t-il la bénédiction de la femme admirable. Une seconde femme , dont
il est fou amoureux, et qui lui fait trois filles. Il s’apprête à lui faire
un garçon (le rêve secret du couple si j'ai bien compris) quand madame
meurt d'un problème respiratoire. C'était il y a 6 ans.
"et donc, pas de garçon?"
"pas de garçon" répond-elle en riant.
A première vue je lui donnerais à peu près 55 ans à ce grand homme maigre
au regard doux et assez douloureux. Il court partout quand nous arrivons.
Il faut dire que c'est assez compliqué. Il fait aussi station service avec
des petits bidons, vendeur de poule vivante, gestionnaire des denrées
distribuées par l'état et épicerie. Une grand spécialité de bottes toute taille mais surtout la couleur vert pomme), comme
je l'écrivais précédemment. J'ai cru comprendre que nous étions en famille
avec la défunte et donc les trois filles nous pris immédiatement de rentrer
dans leur chambre/salon, boire le thé et papoter un peu.
Il va falloir demander à mon beau-frère de revenir avec le tracteur pour
récupérer les 4 énormes sacs de riz que nous avons en retard. Il y a des
répartitions par famille, avec aussi des sacs de farine et de sucre.
Donation de l'état. Comme la période était plutôt prospère à ce moment là
pour ma famille (les faucons aidant...), on a laissé stocker mais là, il
vient d'y avoir un nouvel arrivage et nos denrées
doivent débarrasser l’entrepôt. Bon. Penser au tracteur.
Pendant que je me saoule de thé à la menthe et me gave de gâteaux à la
pistache de manière éhontée, au grand bonheur des filles pour qui je
représente une expérience ethnique incontournable, Hind fait de nombreux
allers et retours à l'épicerie pour compter les sac de riz et "estimer
notre stock". Les garçons crapahutent sur les épaisses couvertures, boivent
leur thé refroidit au plateau (c'est à dire que l'on prend un plateau
propre dans lequel on verse du thé bouillant, on tourne un peu et l'on
remet l'ensemble dans un biberon. Trente seconde et il est buvable, qui dit
mieux?)
Nous repartons, avec un magnifique bouquet de persil et de menthe que les
filles ont été me cueillir dans le jardin. ça sent bon, nous sommes bien.
Mes fils gazouillent dans le rouge du soleil couchant.
" Adeline, toi tu penses vraiment que je dois avoir des enfants?"
"Oui oui. Si tu en a envie, je ne vois pas pourquoi..."
"Alors tu dois parler à mon père et lui dire"
"Mais lui dire quoi?"
"Lui dire que tu n"as pas besoin de moi pour mes chéris. Et que moi, je ne
serais pas loin. Mais moi, je veux ma maison, ma vie. Ce n'est pas que je
ne les aime pas tu comprends...ou que je ne vous aime pas....mais,
mais.....Khaled dit que..."
"Qui est Khaled?"
"Ben l'épicier Adeline! Pourquoi crois-tu que je suis resté si longtemps à
compter 4 sacs de riz? Je sais compter quand même! Khaled dit que tu es la
seule qui peut nous aider."
"Mais il n'a pas l'age de ton père Khaled? En plus tu serais le numéro
combien? la trois, non? ça t'ennuie pas , toi, tout ça?"
"Ecoute Adeline, dans les jeunes, il n'y a personne...et ils n'auront pas
la force contre mon père. Khaled, il est très bien" sourire enamouré "très
doux et très respectueux. Il veut des fils. Je vais lui donner ses fils inch Allah! et
moi j'aurais un mari aimant, une vie plus facile et de beaux enfants.
Aide-nous, s'il te plait."
"Mais je ne demande que ça, si c'est ce que tu veux! Il faut que je fasse
quoi?"
"Eh bien tu lui parle avec le coeur. Tu vois: de ce que tu
penses de moi, de ma vie... comme toi tu penses...Tu dis aussi que tes enfants
ils n'ont pas besoin de moi et que pour ce qui est d'aider à la maison, la
femme de mon frère vit avec eux , ça suffit. "
Est-il besoin de préciser que niveau consignes, Hind, elle sait y faire?
Ainsi fut fait. C'est somme toute ma belle mère qui fut la plus longue
à lâcher (je ne devais en comprendre la raison que bien plus tard)
Je sentais bien que toute la famille était furieuse contre moi et que même
mon mari, d'ordinaire très "modern mind" évitait le sujet avec
une troublante constance. Et puis un beau matin, la maison s'est vidée d'un
seul coup et j'ai vu Hind, rouge comme un coq et très énervée, débarquer
dans ma pièce avec un sac en plastique à la main dont elle a sorti
pèle-mèle une galabiyyé de princesse, des tonnes de maquillage et deux
grands voiles noirs...Elle ferma ma porte de fer à double tour et s'écroula
contre la porte entre rires nerveux, étouffement et larmes.
"Ils arrivent, ils arrivent! n'ouvre surtout pas!"
"Mais qui "ils" Habibté? (ma chérie)"
"Les gens du village!, c'est Khaled qui les envoie! Bon, il faut que je
t'explique pendant que tu me prépares... Ils vont rentrer de force et on va
m'enlever. Il va y avoir des coups de feu, mais ne t'inquiètes surtout pas!
Ah oui!, Si, quand même! Je dois te dire...on va t'enlever avec moi. Tu veux bien hein?"
(A suivre....)
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