Invité pour la seconde fois d'"On n'est pas couché", Philippe Poutou, le candidat du NPA, a dû s'expliquer sur les critiques qu'il avait faites de l'émission lors son premier passage. Après le "mépris de classe", les animateurs ont-ils fait dans le mépris de caste ? Par Bruno Roger-Petit, chroniqueur politique.
Samedi soir, Philippe Poutou était l'invité d'"On n'est pas couché", l'émission animée par Laurent Ruquier, Audrey Pulvar et Natacha Polony sur France 2. Il y a quatre mois, le candidat du NPA y avait été fort maltraité, en mode mépris de classe. Il y a encore maltraité, mais cette fois-ci, en mode mépris de caste.

Philippe Poutou lors d'une conférence de presse à Metz le 27 janvier 2012 (POL EMILE/SIPA).
Ceux qui ont regardé samedi l'émission de France 2 ont pu assister à un curieux spectacle : pour la première fois, un candidat à l'élection présidentielle fut d'abord interrogé, non sur son programme, mais sur ce qu'il avait écrit dans un petit livre sur son précédent passage dans l'émission, où il raconte l'évidence : oui, pour beaucoup de téléspectateurs, Ruquier, Pulvar et Polony (bien aidé par Michel Onfray, soutien officiel d'Arnaud Montebourg) l'avaient considéré avec hauteur et condescendance lors de sa première prestation dans "ONPC".
Le spectacle fut hallucinant de narcissisme blessé. Entre tribunal révolutionnaire et procès de Moscou. Poutou pensait mal, il devait le reconnaître et l'avouer, avant exécution.
Chacun des trois animateurs, mué en procureur, y est allé de son petit couplet destiné à montrer que non, le mépris de classe, ce n'est pas le genre de la maison, en une formidable opération de démenti sous forme de réquisitoire, qui, in fine, démontrait le bien-fondé des propos de Poutou. A trop vouloir se disculper, on finit pas avouer, implicitement...
Laurent Ruquier a rappelé des origines ouvrières. "Je suis fils d'ouvrier chaudronnier dans les chantiers navals. [...] Quand on a été ouvrier, on le reste tout le temps" a-t-il dit dans un étonnant lapsus, puisqu'il n'a jamais été ouvrier, sans doute voulait-il dire que lorsque l'on est issu d'un milieu ouvrier, on n'en sort jamais.
Mais il a oublié en revanche qu'il y a belle lurette que la triplette Tchernia-Serrault-Poiret [1], alliée à Bourdieu, a démontré que le couplet "petit-fils d'ouvrier, fils d'ouvrier, ouvrier moi-même" était le triste alibi mis en avant par ceux qui ont l'habitus du bourgeois honteux, l'habitus de celui qui, changeant de classe, a changé de camp mais ne veut pas le reconnaître. Ce n'est pas parce que l'on est né fils d'ouvrier qu'on est à l'abri d'un habitus bourgeois.
Le décalage entre origine vraie et réussite apparente. Souffrance stendhalienne.
Natacha Polony a opté pour le rappel de ses amitiés paysannes, "J'ai beaucoup d'amis paysans" a-t-elle proclamé, "des gens qui se lèvent à cinq heures du matin et ne gagnent pas plus de 2000 euros par mois", ne manquait plus que le rappel de la terre qui ne ment pas pour expliquer à Poutou que le sel de la terre, c'est le paysan français de la classe laborieuse, pas l'ouvrier internationaliste de la classe dangereuse.
La nostalgie de la France des terroirs face à la mondialisation des classes populaires. Souffrance barrésienne.
Enfin, Audrey Pulvar, la plus inflexible, la plus déterminée à faire avouer Poutou, à prononcer sa condamnation, a choisi un registre dialectique authentiquement robespierriste, entre sous-entendus et insinuations.
Parlant du livre de Poutou, elle a dit : "c'est vous qui signez ce livre, donc vous êtes engagé par les propos qui sont tenus dedans", façon habile de sous-entendre qu'il n'en est peut-être pas l'auteur et de jeter un doute sur ces capacités d'écriture.
Évoquant la première et désormais inoubliable prestation de Poutou à "ONPC", elle a dit : "Personne ne vous avait mis de pistolet sur la tempe pour venir", oubliant que le candidat du NPA, si peu invité dans les médias, est obligé d'accepter les propositions, toutes les propositions, et que dans ces conditions, il ne peut qu'accepter, les rares sollicitations. Le pistolet n'est pas sur la tempe, il est dans le dos.
Abordant la thématique du mépris social brandi par Poutou, elle a dit : "Ce qui aurait été du mépris social de notre part, ça aurait été de vous traiter différemment des autres invités politiques [...] Demandez à Wauquiez, Séguéla, Moscovici, s'ils ont passé un bon moment", argumentation qui se retourne contre elle dans la mesure où elle est en train de questionner Poutou sur une thématique jamais abordée avec les autres invités, leur rapport personnel avec l'émission et ses animateurs, ce qui indique que justement, il n'est pas traité comme les autres, et que le téléspectateur en est témoin.
Audrey Pulvar n'a rien épargné à Poutou. Elle s'est affichée inflexible et rigide, incarnant terreur cathodique et vertu télévisuelle. Elle est même allée jusqu'à le traiter de "stalinien" alors que c'est elle qui usait et abusait d'une dialectique en rapport. Étonnant.
On a senti Audrey Pulvar profondément blessée par l'accusation de mépris de classe et/ou de mépris social à l'encontre du candidat du NPA, et on en souffre avec elle, par empathie. Mais il n'est pas certain que la posture et la dialectique adoptée dans l'émission contre Poutou soient de nature à effacer cette première impression.
Le héros s'élève et est contraint de nier ce qu'il fut. Souffrance Maupassantienne.
Cela étant dit, on aura noté également les progrès de Poutou et du NPA. D'une part, le public de l'émission a applaudi à plusieurs reprises le candidat, ce qui tendrait à prouver que les trotskystes savent encore vous bourrer une salle à l'occasion. D'autre part, il est évident que Philippe Poutou apprend à maîtriser davantage l'outil télévisuel, car il n'a pas répugné à se lancer dans des tirades que l'on devinait bien préparées à l'avance, le tout sans se laisser interrompre.
Ce fut donc, encore une fois, une passionnante émission de télévision. De notre époque. Il y a donc, comme toujours, une leçon à en tirer sur les temps que nous vivons.
A voir les trois animateurs se défendre de ne pas être ce qu'on dit qu'ils sont en montrant qu'ils sont bien ce qu'on dit qu'ils sont, on pouvait d'un coup comprendre le problème d'une partie de l'élite politico-médiatique française : elle n'est pas ce qu'elle dit, elle ne fait pas ce qu'elle dit, elle ne dit pas ce qu'elle fait. Elle fonctionne en caste, de manière verticale, à preuve la solidarité affichée par le tandem Polony/Pulvar, exerçant son pouvoir du haut vers le bas. caste supérieure et caste inférieure : transcendance des clivages horizontaux gauche/droite.
Étonnez-vous après cela que Nicolas Sarkozy ait choisi cette posture pour faire campagne...
Plus que de mépris de classe, Poutou a été la victime d'un mépris de caste. Est-ce plus grave ?
[ 1] : les cinéphiles les plus avertis sauront identifier le film d'où est extrait cette réplique culte. [retour au texte]
Ruquier, Poutou...une rare transparence politique des médias
Encore quelques remarques sur le passage de Philippe Poutou chez Ruquier...
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Philippe Poutou (NPA) : une parole ouvrière qui crève l'écran !