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Billet de blog 14 mai 2015

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La réforme du collège, mythes, réalités et enfumages

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Alors que la mobilisation contre la réforme du collège est en plein essor, un contre-feu médiatique cherche à biaiser le débat, Mediapart apporte sa pierre à l'édifice avec un parti-pris en date du 13 mai.

Bonjour,

Je publie ici un billet en réaction à un article publié par Mediapart sur la réforme du collège, que vous pouvez trouver ici :

http://www.mediapart.fr/journal/france/130515/reforme-du-college-un-debat-hallucine

Je suis en désaccord profond avec la façon dont cet article traite de la « réforme du collège ». Son intitulé mentionne qu'il s'agit d'un parti-pris, je le prend donc comme une invitation au débat, sur l'analyse que l'on peut faire de la réforme du collège.

Avant de développer mon propos, je présente ma relation avec le sujet étudié, où je pense avoir un certain niveau de compétence : je suis actuellement professeur en lycée général, et j'ai enseigné en collège pendant 6 ans (la dernière année était 2007-2008), sans être un expert sur le sujet, je me considère toutefois comme un praticien qui peut avoir deux ou trois idées intéressantes...

Détournement de débat...

Face à la mobilisation croissante des acteurs des collèges, sur des bases sociales et économiques, nous sommes confrontés à une vaste opération d'enfumage politico-médiatique, dont cet article n'est que l'une des composantes.

La fonction de cet enfumage est de recadrer le débat sur la réforme du collège dans le champ acceptable pour l'oligarchie française.

A propos de cette pratique de recadrage systématique par les media, vous pouvez visionner (si vous avez une demi-journée à tuer!) cette vidéo produite il y a un petit moment maintenant, présentant le point de vue de Noam Chomsky sur le fonctionnement des media :

https://www.youtube.com/watch?v=RO51ahW9JlE

Sur la forme de l'article, le titre est particulièrement mal choisi alors qu'il ne porte que sur le contenu des programmes de certaines matières, la manchette manque de justesse (d'honnêteté?) par rapport à la réalité du débat sur la réforme du collège. Pour celles et ceux qui sont intéressés par l'analyse que je fais de l'usage des manchettes par certain-e-s journalistes de Mediapart, j'ai publié un billet à propos d'un autre article, consultable ici :

http://blogs.mediapart.fr/blog/david-l/240415/la-cgt-deale-4-millions-que-fait-la-police-de-lusage-du-fond-et-de-la-forme

Donc, selon Lucie Delaporte, le débat « halluciné » sur la réforme du collège ne porterait que sur les programmes ! Et il s'agirait d'un affrontement idéologique entre réactionnaires, incarnés par la « droite », et les progressistes, opportunément incarnés par la « gauche ». Cet affrontement idéologique aurait pour enjeu essentiel la réduction des inégalités au sein du système scolaire, et les opposants à cette réforme ne seraient donc motivés que par une volonté farouche de défendre, voire de creuser davantage, les inégalités liées au système éducatif.

Qu'est-ce qui cloche vraiment avec cette réforme ?

Même en acceptant le postulat absurde selon lequel la solution aux inégalités croissantes dans la société résiderait essentiellement dans le fonctionnement de l'institution scolaire (pour aborder le problème sous un angle bêtement comptable, je rappelle que des élèves de collège ne passent « que » 900 heures environ par an en cours, et environ 1300 heures dans leur collège, sur plus de 5800 heures d'éveil, pour ceux qui dorment assez!), cette réforme est aux antipodes de la recherche de solutions égalitaires, il ne s'agit pas de « timides avancées » en ce sens...

La contestation de la réforme du collège porte sur ses aspects structurels, c'est sur ces bases-là que les acteurs (enseignants, parents d'élèves) se mobilisent, car elles posent de nombreux problèmes :

  • réduction du nombre des heures de cours pour tous les élèves

  • mise en place autoritaire et improvisée de modules pluri-disciplinaires

  • mise en place autoritaire et improvisée d'une liaison CM2-6e

  • absence totale de plan de formation pour les personnels censés mettre cette réforme en œuvre, parfaite illustration de cette improvisation généralisée

  • renforcement de l'autorité des chefs d'établissement, à travers la pseudo-autonomie

Pour plus de détails sur certains aspects techniques et la propagande gouvernementale, je vous dirige vers le site du ministère, c'est ici :

http://www.education.gouv.fr/cid86831/college-mieux-apprendre-pour-mieux-reussir.html

Mais je ne résiste pas au plaisir de vous inviter à consulter l'infographie ministérielle qu'on trouve comme premier lien quand on mène une recherche sur la réforme du collège 2016 sur Google, ici :

http://www.education.gouv.fr/cid88073/mieux-apprendre-pour-mieux-reussir-les-points-cles-du-college-2016.html

C'est à ne rater sous aucun prétexte, il y a des beaux dessins, des pourcentages de promotion, des slogans merveilleux, on se croirait dans un hypermarché...

On y apprend, par exemple, que l'État va abonder 4000 postes (4000 postes !!! Non, mesdames et messieurs, vous ne rêvez pas!) pour faciliter la mise en œuvre de la réforme, sauf que rapporté aux 7100 collèges, on arrive à un chiffre moins enthousiasmant : 0,56 poste par établissement, soit un peu plus de 10 heures de cours par collège...

Mais qu'est-ce que je lui reproche, au juste, à cette réforme ?

La réduction des heures de cours pour tous les élèves

Dans tous les niveaux, on assiste à une diminution des heures-matières pour les élèves, c'est à dire qu'on réduit encore plus l'impact des « enseignements fondamentaux » dans l'emploi du temps des enfants. Voilà comment cela se décline, niveau par niveau :

  • en 6e : passage de 27 heures de cours (dont 2 d' « Aide aux élèves et accompagnement de leur travail personnel ») à 23 heures de cours + 3 heures « d'accompagnement personnalisé » (- 2 heures d'enseignement « matières », - 1 heure de cours)

  • en 5e : passage de 25 heures de cours (dont 2 d' « Aide aux élèves et accompagnement de leur travail personnel ») à 22 heures de cours + 3 heures d'EPI + 1 heure « d'accompagnement personnalisé » (- 3 heures d'enseignement « matières », + 1 heure de cours, Champagne!)

  • en 4e : passage de 28 heures (dont 2 d' « Aide aux élèves et accompagnement de leur travail personnel ») de cours à 22 heures de cours + 3 heures d'EPI + 1 heure « d'accompagnement personnalisé » (- 6 heures d'enseignement « matières », - 2 heures de cours)

  • en 3e, c'est le carnage ! Passage de 28,5 heures de cours à 22 heures de cours + 3 heures d'EPI + 1 heure « d'accompagnement personnalisé » (- 6,5 heures d'enseignement « matières », - 2,5 heures de cours)

Concernant les heures d'accompagnement dit « personnalisé » (AP), les établissements vont bénéficier d'une grande « autonomie » pour leur mise en œuvre, mais la distribution des moyens se fera dans le cadre de la dotation horaire des établissements. C'est à dire que chaque heure d'AP correspond à un groupe classe dans cette dotation, c'est dans ce cadre-là que les élèves seront accompagnés de façon « personnalisée », c'est à dire en classe entière ou dans un groupe aussi nombreux...

Le point de vue d'un prof de lycée sur « l'accompagnement personnalisé »

Cet « accompagnement personnalisé » était déjà un des éléments de marketing utilisé par l'inénarrable Luc Chatel pour promouvoir la réforme des lycées en 2010, et je vois, dans ma pratique professionnelle quotidienne, ce que ça donne. Une telle appellation pourrait prêter à rire, si elle n'était pas la source d'un n-ième malentendu avec les élèves et leurs parents, qui crée des difficultés supplémentaires. Les attentes sont très fortes face à une réalité qui déchante. Pourquoi ?

Car l'autonomie des établissements dans ce domaine donne lieu à de vastes marchandages entre des équipes de direction et des équipes pédagogiques militant généralement pour leur paroisse (leur matière!). Tout d'abord elle a des effets déplorables sur l'ambiance de travail dans certains établissements (certains proviseurs utilisent ce battant d'heures pour faire de la gestion des ressources humaines), et même dans le établissements gérés dans une optique moins « managériale » ces négociations dévorent un temps et une énergie qui pourrait être employé de façon bien plus efficace... et utile pour les élèves !

Par ailleurs, l'intérêt supérieur des élèves est mis en balance avec les soucis matériels légitimes des personnels enseignants (le passage des heures d'AP d'une matière vers une autre peut impacter le nombre de postes dans une matière, et donc occasionner le départ d'un enseignant de son établissement), et le ministère de l'éducation nationale a trop vécu sur les sacrifices demandés sans contrepartie à ses personnels pour que ceux-ci continuent à faire passer l'intérêt des élèves avant leur propre vie privée, ou leur santé. Cela est d'autant plus vrai que les heures d'AP proviennent en fait d'heures de cours d'une matière spécifique dans le découpage horaire précédent.

Ces effets pervers du système d'AP crèvent les yeux des acteurs de terrain, l'insistance des hauts fonctionnaires de l'Education nationale sur ce gadget s'explique, selon moi, de 3 manières possibles:

1- ils ne sont pas au courant de ce qui se passe dans les établissements, et alors c'est l'appareil administratif dans son ensemble qui dysfonctionne de façon dramatique (ce qui ne serait pas étonnant, vu que l'ascension dans la hiérarchie de l'EN repose souvent sur les capacités à ingérer des couleuvres tout en cirant consciencieusement les pompes de ses supérieurs...).

2- ils ont les remontées du terrain et ils pensent que ça tourne plutôt bien, et alors ils sont d'une incompétence notoire (ce qui ne serait pas étonnant, car outre le motif invoqué ci-dessus, l'EN aussi est entré dans l'ère des « commu-niquants »)

3- ils savent parfaitement ce qu'il en est, et continuent de mettre en œuvre ce que les Anglo-saxons appellent « a hidden agenda », et alors ce seraient des fossoyeurs de l'éducation nationale dont le véritable projet serait la mise en concurrence déloyale de l'éducation nationale dans un marché de l'éducation en pleine explosion, dans le cadre de l'économie de la connaissance, de méchants valets du grand capital (ce qui serait quand même très étonnant...).

Les inconvénients des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) :

Ils représentent la mesure-phare de cette réforme, il s'agit de modules assurés par des enseignants de 2 matières dans le cadre de 8 grands thèmes. Quels sont les reproches qu'on peut faire à cette nouveauté ?

  • il n'y a aucun moyen supplémentaire attribué dans la dotation horaire pour ces modules. Cela a deux conséquences.

    1- En réalité les EPI sont prélevés sur les horaires prévus pour les matières des intervenants. Conséquence : alors que les élèves de 4e, par exemple, avaient auparavant 4 heures de français par semaine, ils passent officiellement à 4 heures 30 par semaine, mais en réalité, s'ils ont un EPI auquel va participer le professeur de français, ils perdent cette demi-heure supplémentaire en français stricto sensu, voire peuvent se retrouver avec seulement 3 heures 30 par semaine si leur professeur participe à deux EPI...

    2- La surcharge de travail pour les enseignants n'est absolument pas prise en compte. Ces travaux interdisciplinaires nécessiteraient d'une part une documentation active des professeurs par rapport au contenu de la matière de l'EPI qui n'est pas la leur (contenu des programmes, compétences attendues, objectifs pédagogiques...), ainsi qu'un travail de coordination qui ne serait pas intégré dans les emplois du temps des enseignants. A charge pour eux de trouver des plages horaires communes, ainsi qu'une salle de travail disponible, équipée comme il convient pour préparer ce travail. Comment est-ce possible concrètement, alors qu'il y aurait théoriquement 3 EPI par classe de 5e, 4e et 3e ? Où sont les heures de travail supplémentaires générées par cette nouveauté sur le bulletin de paye de l'ensemble des enseignants concernés ? Les seules compensations évoquées sont les Indemnités pour Missions Particulières (IMP) que le chef d'établissement pourra dispenser comme bon lui semble...

  • Aucune formation n'est prévue pour les enseignants qui seraient appelés à assurer ces EPI, comme si cela s'improvisait. En même temps cela, non-plus, n'est pas étonnant au regard de l'état de décrépitude clientéliste de la formation permanente au sein de l'Éducation nationale...

Le point de vue d'un prof de lycée sur les enseignements pratiques interdisciplinaires :

Étant professeur de lycée, tous les ans j'encadre et j'évalue des élèves de première lorsqu'ils mènent un Travail Personnel Encadré (TPE). Cette épreuve constitue la première étape chronologique dans le passage du baccalauréat, et on attend des élèves des filières générales qu'ils soient capables de produire un travail de synthèse à cheval sur deux disciplines majeures de leur filière. Je pourrais disserter longuement sur les dysfonctionnements liés à cette épreuve, mais ce n'est la finalité de mon propos.

Pour les TPE, comme cela semble être le cas pour les EPI, aucune dotation horaire supplémentaire n'est prévue dans le service des enseignants censés se coordonner. Donc ils improvisent... De mieux en mieux chaque année, mais ils improvisent. Et quelle est la conséquence de cette improvisation ?

Eh bien les TPE sont un catalyseur de l'hétérogénéité des élèves : les meilleurs élèves pourraient se passer d'encadrement, les élèves « moyens » glanent les conseils pragmatiques sans s'approprier l'exercice, les élèves les plus faibles traversent cette épreuve comme un interminable calvaire d'un semestre...

Apparemment je ne suis pas le seul à faire ce genre de constat, voir ici :

http://www.slate.fr/story/101073/ecole-debat-interdisciplinarite

Loin de lutter contre les inégalités, l'enseignement interdisciplinaire improvisé en est un redoutable catalyseur...

L'intégration de la 6e dans un « cycle 3 » avec le CM1 et le CM2

La classe de 6e fait l'objet d'un traitement spécifique, puisqu'elle est distinguée des autres niveaux du collège en intégrant le « cycle 3 » de la formation initiale, avec le CM1 et le CM2. Il n'échappera à personne que les deux autres niveaux de ce cycle sont dispensés dans des écoles élémentaires. Même les rédacteurs de la réforme y ont pensé, c'est dire... Et ils ont trouvé une solution : le « conseil école-collège » !

Ce conseil est censé réunir les enseignants des écoles et de leur collège de tutelle, ce qui est une idée légitime. Les enseignants des trois niveaux doivent y assurer les missions suivantes, je cite le ministère et son dossier de presse :

« Le conseil école-collège a la charge :

  • de garantir la cohérence de la construction et de la mise en œuvre des programmes de la maternelle à la 3e. Il s’assure de la prise en compte de la progressivité des apprentissages sur tout le temps de la scolarité obligatoire ;

  • d’assurer une harmonisation des pratiques éducatives pour garantir la continuité des apprentissages entre le CM2 et la 6e ;

  • d’échanger sur les besoins des élèves en amont de leur entrée au collège ;

  • de faciliter la mise en commun des ressources éducatives et pédagogiques des enseignants du premier et du second degré ;

  • de mettre en place des temps de formation en commun entre les professeurs des écoles et les professeurs du collège, indispensables à l’harmonisation des pratiques éducatives. »

Autant dire un sacré paquet de travail supplémentaire ! Pour les enseignants de collège comme pour les enseignants d'école élémentaire... Quels moyens humains sont prévus pour assurer un bon fonctionnement de cette nouvelle instance ? Je vous laisse deviner...

Là-aussi donc, le ministère excelle dans une stratégie de communication qui met les enseignants en porte-à-faux :

il crée de grandes attentes, tout à fait légitimes, au vu de la défaillance de la liaison école-collège. Mais il ne propose aucune compensation, ni sur le plan financier, ni sur le plan de la charge de travail, aux enseignants sommés d'assurer ces tâches supplémentaires. Donc il sera forcément très difficile aux enseignants de répondre à ces attentes, sauf la première année peut-être, au prix d'un burn-out généralisé...

Le choix insensé du calendrier de mise en œuvre de la réforme !

Nous avons vu précédemment la surcharge de travail qui va résulter de cette réforme pour les enseignants, dégradant la qualité de la préparation de leurs cours, ainsi que celle de leurs corrections. Mais cette réforme porte aussi sur les programmes scolaires, les media nous le rappellent suffisamment.

Or, quelles sont les implications de nouveaux programmes ?

De nouveaux contenus, bien sûr, mais aussi la garantie que la qualité générale des cours la première année de la mise en œuvre du nouveau programme sera moindre, car il comprendra pas mal de nouveautés (compétences, notions attendues).

J'utilise humblement mon expérience professionnelle pour illustrer mon propos. Comment est-ce que ça se passe, concrètement ?

La première année, on lit attentivement les instructions officielles, et on essaie naïvement de tout faire acquérir aux élèves : mission impossible ! Ca va mieux la deuxième année, avant que la troisième année permette de véritablement entrer dans le peaufinage des séquences pédagogiques. Donc, ce n'est qu'au bout de sa 3e mise en œuvre que je commence à être satisfait de la façon dont j'enseigne un programme. Je pense que je suis un prof moyen, confronté aux mêmes difficultés que la moyenne de mes collègues, donc je propose le postulat que chaque modification substantielle des programmes coûte deux ans de bricolage pédagogique. Je peux me tromper, mais pas dans les grandes largeurs, je pense...

Je ne trouve pas que cet aspect soit beaucoup abordé lorsqu'on parle de la manie de réformer les programmes de façon aussi fréquente, parce ces fameux programmes sont modifiés à peu près tous les 7 ans au lycée, sans que les évolutions scientifiques ne le justifient forcément, comme le démontrent à l'envie les débats purement idéologiques que provoque le contenu des programmes de certaines matières...

Je ne me suis pas documenté sur la question, mais je pense que les hauts fonctionnaires du ministère ont une perception certaine de ce problème, et de son corollaire : les élèves qui suivent durant toute leur scolarité à l'école, ou au collège, ou au lycée, de nouveaux programmes sont en réalité « sacrifiés » plusieurs années de suite à cette opération de com'. Ils veulent donc l'éviter, et on les comprend...

Quelle solution lumineuse ont-ils trouvé ?

La réforme est mise en œuvre intégralement en une seule fois ! Aah ! Là, ça va aller beaucoup mieux !

Cela signifie que les enseignants du collège vont devoir appréhender des nouveaux programmes dans tous les niveaux en même temps, que tous les élèves de collège, sauf les 6es entrants de 2016, qui ont entamé leur scolarité dans une logique de programme vont interrompre cette progression.

La méthode Attila en quelque sorte... On met le collège intégralement à feu et à sang à la rentrée 2016, et on voit si ça fonctionne mieux après.

Autant le dire franchement aux parents d'élèves qui auront leur enfant scolarisé au collège durant l'année scolaire 2016-2017 : vos enfants vont déguster cette année-là, et un certain nombre des années suivantes, qui reste à déterminer, parce que cette stratégie de mise en œuvre de nouveaux programmes est un saut dans l'inconnu. Pour les enseignants de collège, une seule certitude, cette année scolaire s'annonce comme la plus épuisante de leur carrière...

Plus d'autorité pour les chefs d'établissement, qui a vraiment à y gagner ?

L'impact de la réforme se lit également dans l'organisation des services. Les grands bénéficiaires sont les chefs d'établissement, auxquels est attribuée une plus grande « autonomie ». Bien sûr, dans la propagande ministérielle on parle d'autonomie des établissements, mais l'artifice ne trompe pas si on connaît un peu le fonctionnement des établissements et de l'institution Éducation nationale.

En effet, dans les établissements on va assister à un nouvel assouplissement des obligations d'enseignement dispensé aux élèves, dans des proportions inédites jusque-là :

  • les moyens d'enseignement dus aux élèves font l'objet d'une dotation par cycle. Le cycle concerné exclusivement par le collège est le cycle 4 (5e-4e-3e). Cela signifie qu'il va être possible, dans chaque établissement d'aménager les enseignements en déplaçant jusqu'à un cinquième des moyens pédagogiques par rapport aux chiffres nationaux, qui ne seront donc plus que des moyennes, plus des obligations.

    Cette idée géniale a été testée en lycée professionnel, et a engendré une grande confusion et une complexité croissante pour l'organisation des enseignements. Elle est jugée négativement par les enseignants de l'enseignement professionnel, comme la réforme plus générale dont elle fait partie : le bac professionnel en 3 ans (au lieu de 4, là, la motivation financière avait le mérite d'être évidente!). Voir ici : http://www.unsen.cgt.fr/le-systme-ducatif-mainmenu-27/les-enseignements-mainmenu-206/les-lyces-mainmenu-332/1576-bac-pro-3-ans-ou-en-est-on-ou-va-t-on

  • On peut donc parler d'autonomie, me direz-vous... Certes, mais l'aménagement de ces 20% de service est pris en charge par les conseils pédagogiques, un conseil où on trouve les coordonnateurs de discipline (dont le mode de désignation ne fait l'objet d'aucune règle générale), mais aussi des membres désignés par le principal. Sachant que c'est parmi tout ce joli monde que vont se partager les fameuses Indemnités pour Mission Spéciale, l'autonomie de ce conseil pédagogique par rapport au chef d'établissement semble bien faible. Jusque-là, la répartition des moyens attribués à l'établissement dépendait entièrement du Conseil d'Administration, ou siègent des représentants élus des personnels, des élèves, des parents d'élèves, mais aussi du Conseil général, on admire l'avancée démocratique...

  • A supposer que les choses se passent de façon constructive et rationnelle, ces répartitions souples présenteraient une cohérence interne propre à chaque établissement. Il n'y a aucune garantie, bien au contraire, pour les élèves qui seraient amenés à changer d'établissement en cours de cycle. Or les déménagements fréquents concernent en priorité les familles dont les parents sont en situation professionnelle précaire, où est la recherche d'équité sociale dans cet assouplissement, au juste ?

Puis il y a le corollaire de cet assouplissement des obligations d'enseignement, la plus grande flexibilité de service des enseignants du secondaire :

  • les enseignements artistiques pourraient être semestrialisés

  • les heures d'accompagnement personnalisé, comme les heures d'EPI, peuvent faire l'objet d'une annualisation (elles seraient permanentes pour les élèves, mais les enseignants en charge pourraient tourner)

  • la part des heures « disciplinaires », les heures pour lesquelles les enseignants ont eu une formation, devient de moins en moins importante

Cette flexibilisation des services d'enseignement constitue un moyen de pression supplémentaire des chefs d'établissement sur leurs subordonnés.

En réalité, cette réforme laisse le champ libre aux « initiatives des chefs d'établissement », leur donnant une autorité plus forte vis-à-vis de tous les personnels et usagers du collège. La fonction de ces chefs d'établissement est d'être la courroie de transmission des directives ministérielles, relayées par les rectorats et les inspections académiques, leur avancement dépend de leur capacité à le faire avec le plus d'efficacité. Donc la rhétorique de l'autonomie est un écran de fumée destiné à masquer la mainmise de plus en plus forte de la hiérarchie sur le fonctionnement des établissements, au détriment des personnels, bien sûr, mais aussi des élèves et des parents d'élèves...

A long terme, un projet cohérent de privatisation du secteur de l'éducation

Tout ce qui vient d'être décrit précédemment concernant le glissement des dernières décisions laissées aux conseil d'administration prend un autre relief si on considère que cette réforme affecte également l'enseignement privé.

Dans ces établissements, le chef d'établissement dépend, souvent, des autorités épiscopales, et surtout des parents d'élèves, qui doivent inscrire leurs enfants dans l'établissement pour lui permettre de prétendre à une dotation suffisante. Les parents d'élèves ont donc un plus grand pouvoir dans ce cadre, mais ce n'est pas un pouvoir démocratique, c'est un pouvoir économique, celui du client...

Or, l'assouplissement des obligations d'enseignement envers les élèves est une aubaine dans l'optique de la mise en place d'un « collège à la carte », où les parents d'élèves pourront encore plus faire leur « marché éducatif », en faisant pression sur le principal, qui n'a pas souvent à affronter des enseignants organisés syndicalement pour faire passer ses décisions d'autorité.

Si on ajoute cette opportunité un autre aspect de la réforme du collège, la disparition des classes à option, les intentions des réformateurs interrogent. En effet, ces classes à option sont une stratégie de contournement utilisée par les parents d'élèves des classes moyennes supérieures pour continuer à scolariser leurs enfants dans les collèges publics, sans qu'ils soient confrontés de façon trop directe à la mixité sociale (pardon... à l'hétérogénéité scolaire!). Que vont-ils faire à l'avenir ?

Par ailleurs, il paraît nécessaire de rappeler la stratégie de communication du ministère concernant le plan de « refondation de l'éducation prioritaire », à la fin de l'année 2014. La ministre a insisté sur la nécessité de renforcer les moyens dans les nouvelles zones prioritaires, au détriment des établissements qui en auraient moins besoin. Sachant que les mesures de restriction frappent en priorité les établissements publics (voir ici :http://blogs.mediapart.fr/edition/laicite/article/230211/public-prive-des-chiffres-edifiants ), si la ministre voulait inciter les parents d'élèves de collèges de « centre-ville » à se tourner vers le privé, elle ne s'y prendrait pas autrement...

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